Le pilote Benkirane est-il dans l’avion ? Face à la crise, le gouvernement navigue à vue


Narjis Rerhaye
Mercredi 8 Août 2012

Le pilote Benkirane est-il dans l’avion ? Face à la crise, le gouvernement navigue à vue
Doute et malaise. C’est le sentiment qui s’est emparé, depuis plusieurs semaines déjà, des états-majors des formations politiques composant  l’opposition.  Après les 100 jours du gouvernement Benkirane et le délai de grâce qui traditionnellement en découle, l’inquiétude a fini par s’installer à tous les étages des partis de l’opposition. Et jusque dans les rangs de la majorité, les cris et chuchotements sur l’incapacité du chef du gouvernement et de ses troupes à conduire des réformes et à relancer la machine économique se font  chaque jour de plus en plus audibles. Il y a quelques jours, le leader du PPS et ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Politique de la ville sortait les griffes et critiquait vertement la lenteur de l’action de son gouvernement.
« Depuis son installation aux commandes du pouvoir, il faut bien l’admettre, toutes les mesures annoncées tambour battant par cet Exécutif se sont réduites à des effets d’annonce. Rien de plus. En 8 mois de gouvernement,  Il n’y a pas eu jusque-là de mesures concertées  et encore moins d’études approfondies à la base. Le mode de gouvernance du gouvernement Benkirane a la fâcheuse tendance à se résumer à des sorties médiatiques aussi intempestives qu’incendiaires ! », s’exclame ce ténor de l’Union socialiste des forces populaires. « Il y a bien eu cette décision de procéder à la hausse des prix des carburants. Mais attention, le gouvernement n’avait pas d’autre choix. Et il s’agit-là d’une mesure isolée et de circonstance. Quant à la réforme de la Caisse de compensation, il n’y a pour l’heure que la promesse faite à la télévision par le chef du gouvernement et selon laquelle les familles nécessiteuses recevront des chèques à chaque fin de mois », ironise cet ancien ministre usfpéiste.
Le gouvernement navigue-t-il à vue ? La question se fait insistante tant l’équipe ministérielle au pouvoir donne l’impression, selon cette figure de l’opposition, de « ne maîtriser aucun dossier » et de « gouverner à vau-l’eau». Certains députés de l’opposition vont jusqu’à s’interroger si le pilote Abdelilah  Benkirane est bien dans l’avion. Les dernières déclarations du ministre PJD de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique ont semé bien plus que le trouble. Et pas seulement chez les politiques. Lahcen Daoudi en a en effet appelé à la fin du principe de la gratuité de l’enseignement supérieur, notamment dans les facultés de médecine et les écoles d’ingénieurs, pour les familles aisées. Vue de loin, la proposition est séduisante et fleure bon le socialisme généreux. «Sauf que la réalité est toute autre. Je suis atterrée de voir que le ministre de l’Enseignement supérieur ignore que l’écrasante majorité des étudiants de ces écoles et facultés  proviennent de milieu modeste et que les familles dites nanties qui y inscrivent leurs enfants ne représentent qu’une infime catégorie. Comment un responsable gouvernemental peut-il faire une telle proposition, passer à la télévision au Journal télévisé du soir pour la défendre et ce sans avoir fait d’étude au préalable, une étude chiffrée qui lui permettrait de savoir précisément la part des étudiants modestes et celle de ceux qui ne le sont pas? Sans parler du fait que M. Daoudi et le gouvernement auquel il appartient veulent toucher à des établissements qui forment des cadres essentiels, c'est-à-dire l’économie avec les écoles d’ingénieurs et la santé pour ce qui est des facultés de médecine», s’indigne cette universitaire de gauche.

Le f’tour de rattrapage de Nizar Baraka

Jeudi, les députés membres de la commission des finances en ont eu des sueurs froides. L’exposé de Nizar Baraka, le ministre istiqlalien de l’Economie et des Finances donne bien des motifs d’inquiétude. Croissance et relance économiques sont loin d’être au rendez-vous et malgré le f’tour de rattrapage organisé ce week-end par l’argentier du Royaume au profit d’une partie de la presse, le tableau est sombre. Face à la presse et malgré des propos se voulant rassurants, Nizar Baraka  a bien parlé de réserves couvrant à peine quatre mois d’importation de biens et de services. Il a bien rappelé que la facture pétrolière du Maroc a atteint 50 milliards de dhs et il a aussi martelé que les recettes touristiques et les transferts des MRE ne couvrent plus que 46% de nos besoins en devises. « Nous ne sommes pas dans une logique de plan d’ajustement structurel mais nous n’excluons pas une situation de crise », a-t-il fini par admettre  devant les journalistes invités à une rupture du jeûne inspirée de la méthode Coué.
Sur les bancs de l’opposition, l’inquiétude, elle, a atteint son paroxysme et beaucoup redoutent l’installation d’une crise économique profonde. «Il n’y a pas de dynamique économique, la situation  se dégrade. Les indicateurs sont au rouge. Cela fait près de 8 mois que ce gouvernement est en place. La crise ne lui est pas tombée soudainement sur la tête! Quelles mesures a-t-il prises pour atténuer les effets de la crise, relancer l’économie, redonner confiance aux investisseurs et aux opérateurs économiques? Au-delà des emprunts sur les marchés internationaux, quelle est sa stratégie en matière de financement économique? Malheureusement, cet Exécutif est incapable de nous donner des réponses claires, chiffrées et convaincantes», constate avec amertume ce député du Rassemblement national des indépendants.
Depuis les travées de l’opposition, le Parti authenticité et modernité, par la voix de son secrétaire général, menace déjà le gouvernement Benkirane d’une motion de censure.  Faut-il prendre une telle menace au sérieux et le chef du gouvernement devrait s’en inquiéter? «Il est beaucoup trop tôt pour une motion de censure. Pas question de frapper un coup d’épée dans l’eau», conclut ce membre politique de l’USFP avant de prédire qu’un «vrai motif déclenchant une procédure de motion de censure risque bien de surgir au train où vont les choses».


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