Le personnel politique évalue la liberté de presse au Maroc : “Les journalistes n’ont pas le droit de tout dire”


Narjis Rerhaye
Mardi 4 Mai 2010

D’un bout à l’autre de l’échiquier politique, ils l’avaient tous inscrite en gras sur leur agenda. Ce lundi 3 mai, le Maroc commémore la Journée mondiale de la liberté de presse et le personnel politique est loin de l’avoir oubliée. « Normal, explique M. Ansari, chef du groupe parlementaire istiqlalien à la Chambre des conseillers, la liberté d’expression et de presse a été des décennies durant une revendication constante des partis démocratiques et des associations de défense des droits humains. Parce qu’une telle liberté est essentielle pour l’exercice de la démocratie. Pour preuve, je suis de ceux qui demandent une sorte d’immunité juridique pour ceux et celles qui expriment une opinion, dénoncent un fait, loin de toute diffamation et atteinte à la dignité des
personnes ».
En cette journée mondiale où les journalistes procèdent à l’évaluation de l’exercice de la liberté de presse, il est de bon ton de s’interroger sur les avancées et les reculs en la matière. Partout à travers le monde, les mauvais élèves de la liberté de presse sont pointés. Des classements sont élaborés, de bons points rarement distribués. Au Maroc, le Syndicat national de la presse marocaine a rendu public, dimanche 2 mai, son rapport annuel sur la situation de la liberté dans notre pays. Cette année, le rapport du SNPM tente de répondre à une question essentielle. Le Maroc connaît-il des avancées ou, au contraire, un recul en matière de liberté de presse ? Difficile de répondre d’autant que les craintes de la structure syndicale des journalistes marocains ont fini par se confirmer. Les principes de l’Etat de droit, explique Y. Moujahid, n’ont pas été respectés et l’abus de pouvoir risque de se transformer en politique systématique.
La classe politique a un avis plus nuancé. De la majorité à l’opposition, l’itération est identique : le Royaume a connu en dix ans un formidable bond en avant en matière de libertés, notamment celle de presse. Nabil Benabdallah, membre du bureau politique du PPS et candidat non encore déclaré à la succession d’Ismaïl Alaoui à la tête du parti, est formel : jamais le Maroc n’a connu une telle liberté de ton.  « Il faut corriger cette idée répandue et selon laquelle il y a des reculs. Je préfère parler pour ma part d’accidents de parcours. Des accidents de parcours qui auraient pu certes être gérés autrement. Cela n’empêche pas d’affirmer que la liberté de presse a fait un énorme bond chez nous. La liberté de ton qui existe aujourd’hui est la plus large qui soit. On ne peut pas considérer qu’il y ait des lignes rouges. Tous les sujets sont traités par la presse, que ce soient les composantes essentielles de la Nation, à ce qui a trait aux mœurs et j’en passe ».

Pas de liberté de presse sans accès à l’information

Face à une telle liberté de presse, le problème de l’accès à l’information se pose avec force. Pour Rachid Talbi Alami, la liberté de presse n’a de sens véritable que si le journaliste accède à l’information. Le non-accès à l’information, soutient celui qui est le président du groupe parlementaire RNI à la Chambre basse, laisse libre cours à la fausse interprétation des faits. « Comment dès lors demander aux journalistes d’être objectifs s’ils n’ont pas accès à la vraie information. Il ne faut surtout pas oublier que la presse est un faiseur d’opinion, c’est pourquoi je suis de ceux qui disent qu’il faut l’associer à l’élaboration des politiques publiques », déclare R. Talbi Alami.
Face aux procès en série faits aux journalistes et aux amendes lourdes prononcées et qui font figure de la condamnation à mort d’une publication, l’interrogation est récurrente et traverse tous les débats. La presse a-t-elle le droit de tout dire au prétexte d’une liberté de presse sacrée ? Si au Syndicat national de la presse marocaine la réflexion est entamée sur le sujet et que le débat fait rage sur les nouvelles lignes rouges –caricature de la famille Royale, sondage autour de la personne du Roi, vie privée de la famille Royale- le personnel politique, lui, a déjà tranché. Non, les journalistes n’ont pas le droit de tout dire en se réfugiant derrière l’étendard de la liberté de presse. L’istiqlalien Ansari le dit sans ambages : pas de quartier pour les diffamations, les atteintes à l’honneur des personnes, à la diffamation, aux réputations détruites. « On ne peut pas tolérer de tels dérapages sous prétexte de la liberté de presse. Il y a actuellement une absence de maturité en la matière et cela peut être nuisible à une société comme la nôtre. »
Le RNI Rachid Talbi Alami promène un regard presque amusé sur ces journalistes va-t-en-guerre au nom d’une liberté d’écrire sacrée et donc intouchable.  « Il faut en même temps reconnaître que des institutions ne remplissent pas leur rôle et laissent le champ libre à une certaine presse qui reproduit les mêmes schèmes que l’opposition en tirant sur tout ce qui bouge. Il y a chez nous une certaine capacité à détruire tout ce qui se fait dans ce pays, une sorte de nihilisme aveugle qui a très peu à voir avec la liberté d’expression et de presse alors que de belles choses sont en train de se construire dans notre pays », soupire notre interlocuteur.
Même son de cloche chez le PPS Nabil Benabdallah qui fustige « cette presse qui s’est fait la spécialiste de la critique systématique des partis politiques ». « Des journalistes, pas tous bien sûr, qui ne voient dans l’action politique que luttes intestines, crises, impuissance et conflits personnels. Ils ne prennent jamais le temps d’aller chercher les positions, parfois audacieuses, de ces mêmes partis sur toutes les questions que connaît le pays et traverse la société. Il faut bien le dire, une telle presse ne contribue pas à consolider une culture politique qui pourrait faire avancer le pays », conclut N. Benabdallah.


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