Le contexte pédagogiquement orientant, une nouvelle alternative éducative


Par Ismail Idabbou *
Samedi 24 Octobre 2015

Telle que perçue de l’extérieur du contexte éducatif marocain, la composante systémique orientation/pédagogie apparaît presque scindée. Comme s’il s’agissait de sphères injoignables, les aspects pédagogique et orientant semblent  démesurément différenciés au premier abord. Force est de constater que cette illusion perceptive est fréquente et que, malheureusement, certaines «pratiques»  habituelles de l’orientation  génèrent et ancrent davantage.  Cela nous mène à formuler les interrogations suivantes :
La notion du cheminement scolaire ne représente-t-elle pas un élément  fédérateur des efforts à consentir sous les étiquettes orientation et pédagogie ?
  N’y aurait-il pas, alors, un cadre où pourront se côtoyer symétriquement, pour l’intérêt de l’élève marocain, pédagogie et orientation? Et, pratiquement sous quelle perspective l’axe 3 des mesures prioritaires «L’intégration de l’enseignement général et professionnel et la valorisation de la formation professionnelle», et particulièrement la mesure 5 : «Parcours de découverte des métiers» sont susceptibles de nourrir une proposition aussi intégrative et systématisée?
Nous approcherons ces interrogations par des éléments de réponse qui s’organiseront selon un fil d’idées allant des considérations théoriques et pratiques vers des propositions «réparatives » de la réalité éducative.
Rappelons que l’orientation, en principe, ne se réduit pas aux outputs des processus éducatifs mais elle est censée répondre aussi aux conjonctures  des élèves de manière à assurer  l’accompagnement propice à  la formation de leurs choix et les prises de décisions qui en découlent. Or, la pratique orientante qui s’offre à l’observation est restreinte à une intervention généralisée de clôture, incarnée par la centration sur les paliers d’orientation qui  sanctionnent les parcours scolaires.
En effet, et la pédagogie et l’orientation partagent le processus scolaire comme socle commun bien qu’elles  diffèrent au niveau de leurs fondements et buts spécifiques. Autrement, l’orientation est  une forme de pédagogie à côté de la pédagogie communément vue sous l’angle didactique. Son dessein est aussi bien le processus que la clôture.  En se centrant sur les cheminements des élèves, la pédagogie est en mesure de devenir orientante. De même que sont utiles les connaissances vocationnelles à l’appropriation des savoirs disciplinaires et pédagogiques.
Et afin d’instaurer cette interaction multiplicatrice du rendement, la littérature scientifique a produit le concept d’infusion sous le modèle «orientation par le contexte» dite aussi l’Approche orientante. (’A.O).
Evidemment le contexte éducatif marocain n’a jamais souffert de l’absence de  théorisations créatives suggérant le concours de la pédagogie au profit de l’orientation éducative. L’inclusion de «L’approche éducative» dans les textes officiels illustre bien ce constat.  Mais puisque nous ne sommes pas obligés de réinventer la roue à chaque fois, autant revisiter les expériences étrangères. L’expérience canadienne, en l’occurrence l’A.O, se présente comme un champ de réflexion attractif. Il s’agit d’un paradigme novateur doté de ses bien-fondés théoriques et ses outils d’action cohérents qui méritent selon nous une révision.
Amplement analysée par Denis Pelletier dans son livre : «L’approche orientante: la clé de la réussite scolaire et professionnelle»* (2004), l’A.O regorge de philosophie et de scénarii éducatifs riches. Elle se profile ambitieuse et contextualisable au cadre éducatif marocain actuel. Atouts que nous considérons être  en mesure de répondre adéquatement à la  dernière  interrogation. Mais de quelles manières?
Le cadre de l’A.O est potentiellement  en mesure de satisfaire les prétentions et desseins éducatifs  de l’axe 3  et  notamment  la mesure 5,  de sorte que cette mesure se trouve située nécessairement dans la logique de l’A.O  même si cela  n’est pas déclaré nommément. En effet,  la pédagogie et la pratique orientante se trouveront unies et complémentaires dans l’A.O. Aussi les cheminements scolaires sont-ils  appréhendés dans leur développement et maturation. Laquelle condition sollicite le concours des professionnels pédagogiques et orientants. Pratiquement, cela est possible à travers  le principe d’«infusion» qui consiste à inclure des programmes de nature professionnelle dans les curricula de la fin du cycle primaire. Une intervention génératrice de réponses, le long du cheminement développemental, aux  fantasmes et interrogations vocationnels que connaît la pré-adolescence. Ainsi les choix se forment et mûrissent  sans se fixer précocement comme le stipule l’A.O. car l’intérêt de l’A .O c’est de permettre de faire des découvertes successives et enrichissantes. Le cheminement prévaut en importance sur l’urgence d’un projet à prédéfinir.
Par l’infusion, les apprentissages scolaires acquerront des portées instrumentale, fonctionnelle et pragmatique qui leur permettent de revêtir des sens autres que l’allure encyclopédique figée. L’infusion permet un «apprentissage signifiant» en termes de mouvance pédagogique récente. Les connaissances liées à leurs vocations professionnelles seront assimilées aisément  car l’élève reste motivé tout en adoptant un regard prospectif. Aussi le projet personnel s’élabore-t-il en fonction.
Cependant, il serait aberrant de concevoir une «A.O marocaine»  tronquée  où  seront  absents,  dans  le corpus de la mesure prioritaire 5,  la «collaboration communautaire» et «la mobilisation de l’élève». Il est impératif que la communauté éducative agisse de concert pour instaurer des interventions orientantes : activités conjointement élaborées par les conseillers en orientation éducative et les enseignants, visites aux entreprises locales pour découvrir les univers professionnels, témoignages de professionnels et de parents d’élèves, portes ouvertes, etc.  Il va de soi aussi qu’un élève motivé à apprendre est une condition  primordiale à  l’éclosion de ses  projet scolaires et professionnels. Cette motivation est, par ailleurs, un enjeu de la réussite des projets pédagogico-orientants endossés par l’institution scolaire. Sachant qu’il est fort probable qu’un élève bénéficiant d’un apprentissage signifiant par infusion et ayant un champ plus élargi de connaissances vocationnelles  sera candidat à la motivation scolaire tant souhaitée par les acteurs de la communauté éducative.
L’A.O,  loin de se suffire aux connaissances purement disciplinaires, relève le défi de l’acquisition des apprentissages transversaux. Ce qui ne peut se concevoir dans le «cloisonnement identitaire» actuel de l’orientation et de la pédagogie en contexte marocain. L’on comprendra bien que la transversalité des compétences  émergerait aussi bien des intersections disciplinaires que de la convergence des enseignements et de l’orientation. Bien évidemment,  l’on est conscient que les occasions de célébrer ladite transversalité dans les curricula nationaux demeurent rares. A ces occasions, l’A .O est attentive puisque chaque acte pédagogique devrait être intéressé et être orientant, d’où la cohésion des connaissances disciplinaires.       
L’A.O est riche en potentialités pouvant être de secours au système éducatif marocain sous sa mutation stratégique : l’intégration systémique d’apprentissage général/professionnel. Sous le cadre de l’A.O, la synergie de la pédagogie et de l’orientation serait prometteuse.
 Assurément, l’ouverture de l’école sur l’entreprise s’érige comme une nécessité puisque le caractère utilitaire des apprentissages s’impose davantage. En guise de réponse à ces préoccupations, le ministère de tutelle a pris les mesures prioritaires adéquates. Cette nouvelle politique éducative est le lot d’un monde changeant continuellement. Autrefois, dans une société plutôt stable, les individualités semblaient estompées, les connaissances encyclopédiques primaient et la maîtrise des formules savantes et définitionnelles prévalait. L’orientation avait un regard fixiste basé sur l’appariement individu/profession. Mais, actuellement, le monde n’est plus aussi normatif. Il s’inscrit plutôt dans le paradigme évolutif et fonctionnel. Dans ce monde en transformation, de technicité et de complexité vertigineuses, l’individu a la foi de se développer continuellement, il  s’impose par sa polyvalence et son adaptabilité. La jeunesse contemporaine  préfère apprendre par l’action et être mise dans des contextes diversifiés.
A ce titre-là, le profil de l’élève  proactif en tant que personnalité mûrissante et qu’apprenant de contextes est aussi bien  le vrai principe   philosophique de l’A.O que sa finalité souhaitée.
Nous souhaitons que l’A.O ait la chance d’être adaptée de manière intégrale (principes et outils) au contexte éducatif marocain, notamment au niveau des mesures prioritaires traitant de l’orientation. Et elle y serait efficacement rentable en misant sur sa généralisation entière au cycle collégial. En effet, une orientation par et dans le contexte est à notre sens un impératif philosophique dont a besoin la pratique éducative nationale.
La marocanisation de l’A.O a la vertu de permettre des gains en termes de cohérence et de synergie du système éducatif (fédération des efforts, partages hautement motivés), de sa productivité (centration aussi bien sur les processus que les outputs éducatifs). Il s’agit d’une formule dont l’institutionnalisation constituera le carrefour prometteur de la pédagogie et de l’orientation.
 
 *  Inspecteur en
orientation de l’éducation.
Délégation de Tan Tan.
* Denis Pelletier :
«L’approche orientante: la clé de la réussite scolaire et professionnelle». Septembre Editeur, 2004.


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