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Le spectacle débute par l'entrée en scène du porte-parole de "Il", "ILLANE" qui jette dans un geste accompagné magistralement par le violoniste virtuose habillé en policier. Le décor est fort sobre et dénudé; ce qui traduit une volonté d'écarter tout ce qui est superflu. Trois djellabas côté cour et trois autres côté jardin délimitent l'espace clos de la pièce. Ces tenues vestimentaires tendues et mises debout sont des moules traditionnels qui dénotent d'une volonté rétrograde de scléroser l'individu d'empêcher son épanouissement et de le réduire à un état animal où tout esprit critique est banni. La scène est, comme au début de la création, à peine éclairée par une lumière d'aurore. Les comédiens se débattent à quatre pattes pour naître à la vie. Ils sont comme englués dans une toile visqueuse dont ils essayent de se libérer . Cette quête de l'affranchissement du statut animal horizontal et de l'accès à celui vertical et humain est une métamorphose tout à fait aux antipodes de celle de Kafka.
Au début, les comédiens déclament leurs répliques cachées derrière les djellabas. Ils sont dépourvus de visage donc d'identité. Ils sont comme condamnés à se consommer en luttes aussi absurdes que vaines. Ils se muent en troupeau ne jouissant que d'un instinct grégaire. Ils vivotent dans un univers sans issue où tout est chronométré. Ils sont surveillés par "Illane", l'œil de "lI". Ce dernier rappelle" En attendant Godot" de Becket et "Schrichmatury" de l'autre dramaturge iconoclaste Nabil Lahlou. Il est omniprésent. Il épie et guette chaque mouvement, chaque pensée comme le fait Big Brother de G. Orwell dans son roman "1984". Comme Godot, IL ne se manifeste jamais. C'est Illane qui veille à transmettre ses messages à la plèbe afin de la garder asservie et assujettie. Les protagonistes se débattent mais n'arrivent pas à se doter d'une consistance individuelle et humaine pour se débarrasser de l'état d'utérins dans lequel ils sont empêtrés.
Pourquoi l’intitulé « Il » ? Lors du débat qui a suivi le spectacle à l’institut français, Ksikes a affirmé que il renvoie au nom que les hébreux donnent à Dieu «Yahvé». C’est, en tout cas, une entité transcendante et métaphysique représentant ce pouvoir religieux qui freine et fige l’élan vital de l’homme et le cantonne dans des moules bourrés de tabous. En outre, « il » s’emploie en arabe pour s’adresser à une personne vénérée. C’est comme le vouvoiement en langue française. En effet, pour s’adresser en arabe classique à un monarque, à titre d’exemple, on ne lui dit pas « vous », ce qui serait un manque de respect envers son auguste personne, mais « il ». C’est comme en italien ou en espagnol. Ksikes exprime haut et fort sa volonté de fustiger la mainmise de tout pouvoir tyrannique.
Le fils de l’imam qu’incarne Amine Naji pointe du doigt vers le ciel pour signifier son défi au religieux . La sourate du tremblement de terre et les formules répétitives qu’il ne cesse de déclamer traduisent le désir de s’affranchir de ce cancan qui tue l’esprit critique par ces formules mécaniques et abrutissantes.
Dans la pièce chaque personnage contient en son sein son double contraire : l’enseignant se mue en footballeur, l’avocate en voyante, le fils de l’imam en rebelle et le porteur du jeu d’échecs en pseudo-révolutionnaire portant le kouffié palestinien…La tentative de se libérer du joug de « Il » est vaine car absurde : au lieu de creuser un trou dans le mur ou de l’escalader, ils perdent leur énergie à chercher la clef. Ce qui rappelle la dialectique du maître et de l’esclave nietzschéenne: le maître l’est grâce à la complicité de son serviteur qui finit par se délecter de son état de servilité.
Seul l’accomplissement humain du désir sexuel affranchit l’homme. En effet, il faut « gravir les murs de la honte sexuelle ». Les allusions aussi bien verbales que gestuelles soulignent la volonté de rompre les tabous. Oser avouer le non-dit est la mission par excellence du créateur.
Il est vrai que la pièce est très bien ficelée, mais il n’en demeure pas moins que la prédominance du verbe altère le jeu des acteurs qui sont handicapés à cause de la non maîtrise du français (mise à part Amal Ayouch). Ils évoluent sur scène comme s’ils avaient chacun une jarre sur la tête qu’il risque de faire tomber.
A mon humble avis, il aurait fallu édulcorer l’atmosphère trop absurde et lugubre de la pièce et permettre aux acteurs plus de liberté pour qu’ils puissent s’épanouir et offrir le meilleur d’eux-mêmes. Le public risque d’avoir une indigestion cérébrale à force d’absurde d’autant plus que cette saison ne se prête pas à cet exercice périlleux
Professeur agrégé de traduction Meknès*