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Un huissier de justice accompagné d’une armada de gendarmes s’est présenté à 7h30 pour me signifier mon expulsion », raconte M. Talha, avant d’expliquer : « C’est une vieille affaire qui remonte aux années 1980. Mon père - Allah yerahmou - avait acheté un lot de terrain dans les années 1950 et avait réglé cette transaction selon les usages de l’époque. Puis, il a pris le maquis et il est mort les armes à la main en 1957. Quelques années après l’indépendance, l’ancien propriétaire a voulu nous expulser au motif qu’il n’était pas satisfait des termes de la transaction. L’affaire a été portée devant les tribunaux alors même que j’avais tout réglé : les papiers, le livret foncier. J’ai tous les documents. En 2004, la Cour suprême a prononcé un jugement contre nous. Il y a déjà eu une autre tentative d’expulsion qui n’avait pas abouti. Puis, la justice est revenue à la charge et voilà le résultat. Pourtant, nous avons introduit plusieurs demandes en référé pour arrêter l’exécution, en vain. » Joignant le geste à la parole, M. Talha exhibe une liasse de décisions de justice.
Dans le lot, « l’attestation de chahid » de son défunt père, estampillée par la puissante ONM, l’Organisation nationale des moudjahidine. Et de faire remarquer : « Le bien-fondé de la transaction est attesté par des dizaines de témoins qui connaissaient mon père. Si cette transaction était entachée d’un vice quelconque, le peuple de « Kalitouss » ne se serait pas soulevé comme ça pour me soutenir». De fait, tous les émeutiers que nous avons rencontrés disaient leur indignation de voir « ammi Lyès » comme ils l’appellent, traîné ainsi dans la boue. « Je ne peux désormais plus accéder à ma propriété », s’émeut l’homme d’un ton digne. A l’intérieur, les enfants de l’ancien propriétaire, Mustapha Kadem, prenaient possession des lieux comme ils pouvaient, sous un impressionnant dispositif de sécurité.
De fait, tout le quartier était étroitement quadrillé par les forces antiémeutes de la Gendarmerie nationale. Ceux-ci étaient harnachés avec tout l’attirail de rigueur : casques, boucliers, genouillères… Des échanges de projectiles contre des grenades lacrymogènes ont ponctué la journée du mardi noir. « Je n’aimerai pas être à la place des gens qui ont mis ammi Lyès et sa famille à la rue. Sans la protection des gendarmes, le peuple les aurait bouffés », fulmine un voisin. Une mission d’autant plus difficile pour les néo-occupants que la propriété est située au beau milieu du clan « Talha ». D’ailleurs, le quartier porte le nom de « Lotissement Talha ». « Nous sommes tous des cousins ici », affirme l’un d’eux, avant de s’indigner sur le sort fait à son oncle. « Sachez qu’avant, il n’y avait absolument rien ici. Notre oncle, le martyr Ali Talha, avait acheté un terrain vierge, et c’est mon oncle Lyes qui a construit cette maison à la sueur de son front. » D’après lui, ce que cache cette affaire, ce sont les convoitises suscitées par un terrain de 10 000 m2. Aux Eucalyptus, le prix du mètre carré caracole autour de 40 000 Dinars algériens.
Jusqu’en fin de journée, les émeutes continuaient de secouer cette partie de la ville. La route nationale a été coupée dès la mi-journée par des pneus en feu. Dans la foulée, deux poteaux électriques ont été abattus. Un impressionnant dispositif antiémeute a été déployé. Si les choses revenaient peu à peu à la normale sur les grandes artères, ce n’est pas le cas à l’intérieur du quartier embrasé où le « clan Talha » et l’ensemble des riverains espéraient renverser le rapport de force et réintégrer Lyes Talha et les siens dans leur foyer.
Au-delà de cette expulsion unanimement qualifiée d’injuste, l’arrestation de jeunes du quartier acheva de mettre le feu aux poudres. Notons enfin que l’affaire « Talha » risque de faire tache d’huile dans d’autres quartiers de la ville où la situation sociale est particulièrement préoccupante.