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Ex-militaire, journaliste, écrivain engagé... Mohammed Hanif sort enfin en ourdou, langue officielle du Pakistan, son roman phare "Attentat à la mangue", satire écrite en anglais de la soldatesque de son pays, que seules de rares voix s'aventurent à critiquer.
L'ouvrage raconte les derniers jours du général Zia-ul-Haq, qui a dirigé d'une poigne de fer le Pakistan de 1977 jusqu'au sabotage et au crash de son avion en 1988, dans lequel l'ambassadeur américain à Islamabad et plusieurs haut-gradés pakistanais ont également péri.
Le dictateur y est décrit comme un homme falot et bigot, dont l'entourage complote pour prendre la place. Le ton est léger. Mais la critique mordante pour la puissante armée pakistanaise, qui a dirigé le pays près de la moitié de son existence et goûte peu l'ironie à ses dépens.
Sous Zia, les dissidents étaient punis par le fouet. La censure était totale, les médias aux ordres. A la sortie du livre, au printemps 2008, un autre général, Pervez Musharraf, achevait un long règne de neuf ans à la tête du Pakistan.
Si Musharraf est reconnu pour avoir permis une plus grande liberté d'expression, "certains de mes amis journalistes ont eu peur pour moi", se souvient Mohammed Hanif, qui se défend de tout "courage" particulier.
"J'ai été chanceux car 2008 était une année particulièrement mauvaise au Pakistan avec beaucoup de massacres", notamment dans des attentats talibans, ce qui a "distrait" de potentiels censeurs, observe-t-il lors d'un entretien avec l'AFP.
L'écrivain, aujourd'hui âgé de 53 ans, venait de passer douze années à Londres, où il travaillait pour la BBC. Il était avant cela reporter à Karachi, après sept ans passés dans l'armée, où il a été formé comme pilote d'avion.
"J'aime l'armée. Certains de mes meilleurs amis sont morts au combat. Je n'ai rien contre l'institution", observe cet enfant de petit propriétaire foncier, qui s'est engagé à 16 ans pour fuir son quotidien rural.
"Mais si les militaires agissent mal, s'ils s'impliquent dans la politique ou font disparaître des gens, là je dois écrire sur le sujet".
"Attentat à la mangue", acclamé par la critique internationale, a remporté le Prix du livre du Commonwealth en 2009.
Il a pourtant fallu attendre octobre 2019 pour que ce roman disponible au Pakistan en anglais, l'idiome des élites, que ne maîtrise qu'une minorité des 207 millions de Pakistanais, soit traduit en ourdou, la langue nationale.
Pendant cinq ou six ans, un éditeur "s'est assis" sur la traduction, qui était pourtant prête, car il était "réticent" à publier l'ouvrage, pensant "risquer quelque chose", raconte Mohammed Hanif.
"Le temps d'un retour de flamme est passé", espère Hoori Noorani, l'éditrice pakistanaise qui a finalement relevé le défi. "Ce livre a été traduit dans les principales langues du monde, insiste-t-elle. Et même s'il est une satire et que l'humour peut être subversif, il décrit une partie de notre histoire."
Mme Noorani espère vendre quelques milliers d'exemplaires de ce "chef_d'oeuvre", une performance dans un pays pauvre au fort taux d'illettrisme, où certains doivent selon elle "choisir entre acheter un livre ou de la nourriture".
Mohammed Hanif a publié ensuite deux autres romans, qui abordent toujours du même ton léger des problématiques lourdes.
"Notre-Dame d'Alice Bhatti" raconte le rude quotidien d'une infirmière issue de la minorité chrétienne, luttant contre le patriarcat. "Des oiseaux rouge sang", paru l'an dernier, narre la guerre, les réfugiés et la misère.
Il a aussi écrit une pièce de théâtre, "La femme du dictateur", qui dépeint une épouse de général désabusée et en décalage avec le reste de la société.
M. Hanif, qui se dit "engagé", compose encore des articles d'opinion, souvent au vitriol, pour la presse internationale. En juillet, il a étrillé dans le New York Times le gouvernement du Premier ministre Imran Khan et l'armée pakistanaise, qualifiant son pays de "dictature à la peine".
En 2013, il avait aussi écrit un essai, intitulé "Le Baloutche qui n'est pas un disparu et ceux qui le sont". L'ouvrage rassemblait les témoignages de familles du Baloutchistan, province déshéritée du sud-ouest du pays, où l'armée est accusée de multiplier kidnappings et assassinats d'indépendantistes.
"Un tel pamphlet serait difficile à écrire maintenant", remarque-t-il.
Médias, société civile et opposition politique dénoncent une restriction drastique de la liberté d'expression depuis l'arrivée au pouvoir d'Imran Khan à l'été 2018 et un renforcement des pouvoirs de l'armée.
La sortie en ourdou d'"Attentat à la mangue" est en ce sens "très opportune", commente Harris Khalique, un poète et militant droit-de-l’hommiste, car "trente ans après l'assassinat de Zia, écrivains et journalistes vivent des pressions similaires".
Mohammed Hanif reconnaît ainsi "s'autocensurer" car "(il a) des enfants et (il) ne veut pas qu'ils aient des problèmes".
"J'ai (fait) reculer certaines frontières" par l'écriture, note-t-il. "Mais je suis maintenant plus prudent que je ne l'ai jamais été dans ma vie."
L'ouvrage raconte les derniers jours du général Zia-ul-Haq, qui a dirigé d'une poigne de fer le Pakistan de 1977 jusqu'au sabotage et au crash de son avion en 1988, dans lequel l'ambassadeur américain à Islamabad et plusieurs haut-gradés pakistanais ont également péri.
Le dictateur y est décrit comme un homme falot et bigot, dont l'entourage complote pour prendre la place. Le ton est léger. Mais la critique mordante pour la puissante armée pakistanaise, qui a dirigé le pays près de la moitié de son existence et goûte peu l'ironie à ses dépens.
Sous Zia, les dissidents étaient punis par le fouet. La censure était totale, les médias aux ordres. A la sortie du livre, au printemps 2008, un autre général, Pervez Musharraf, achevait un long règne de neuf ans à la tête du Pakistan.
Si Musharraf est reconnu pour avoir permis une plus grande liberté d'expression, "certains de mes amis journalistes ont eu peur pour moi", se souvient Mohammed Hanif, qui se défend de tout "courage" particulier.
"J'ai été chanceux car 2008 était une année particulièrement mauvaise au Pakistan avec beaucoup de massacres", notamment dans des attentats talibans, ce qui a "distrait" de potentiels censeurs, observe-t-il lors d'un entretien avec l'AFP.
L'écrivain, aujourd'hui âgé de 53 ans, venait de passer douze années à Londres, où il travaillait pour la BBC. Il était avant cela reporter à Karachi, après sept ans passés dans l'armée, où il a été formé comme pilote d'avion.
"J'aime l'armée. Certains de mes meilleurs amis sont morts au combat. Je n'ai rien contre l'institution", observe cet enfant de petit propriétaire foncier, qui s'est engagé à 16 ans pour fuir son quotidien rural.
"Mais si les militaires agissent mal, s'ils s'impliquent dans la politique ou font disparaître des gens, là je dois écrire sur le sujet".
"Attentat à la mangue", acclamé par la critique internationale, a remporté le Prix du livre du Commonwealth en 2009.
Il a pourtant fallu attendre octobre 2019 pour que ce roman disponible au Pakistan en anglais, l'idiome des élites, que ne maîtrise qu'une minorité des 207 millions de Pakistanais, soit traduit en ourdou, la langue nationale.
Pendant cinq ou six ans, un éditeur "s'est assis" sur la traduction, qui était pourtant prête, car il était "réticent" à publier l'ouvrage, pensant "risquer quelque chose", raconte Mohammed Hanif.
"Le temps d'un retour de flamme est passé", espère Hoori Noorani, l'éditrice pakistanaise qui a finalement relevé le défi. "Ce livre a été traduit dans les principales langues du monde, insiste-t-elle. Et même s'il est une satire et que l'humour peut être subversif, il décrit une partie de notre histoire."
Mme Noorani espère vendre quelques milliers d'exemplaires de ce "chef_d'oeuvre", une performance dans un pays pauvre au fort taux d'illettrisme, où certains doivent selon elle "choisir entre acheter un livre ou de la nourriture".
Mohammed Hanif a publié ensuite deux autres romans, qui abordent toujours du même ton léger des problématiques lourdes.
"Notre-Dame d'Alice Bhatti" raconte le rude quotidien d'une infirmière issue de la minorité chrétienne, luttant contre le patriarcat. "Des oiseaux rouge sang", paru l'an dernier, narre la guerre, les réfugiés et la misère.
Il a aussi écrit une pièce de théâtre, "La femme du dictateur", qui dépeint une épouse de général désabusée et en décalage avec le reste de la société.
M. Hanif, qui se dit "engagé", compose encore des articles d'opinion, souvent au vitriol, pour la presse internationale. En juillet, il a étrillé dans le New York Times le gouvernement du Premier ministre Imran Khan et l'armée pakistanaise, qualifiant son pays de "dictature à la peine".
En 2013, il avait aussi écrit un essai, intitulé "Le Baloutche qui n'est pas un disparu et ceux qui le sont". L'ouvrage rassemblait les témoignages de familles du Baloutchistan, province déshéritée du sud-ouest du pays, où l'armée est accusée de multiplier kidnappings et assassinats d'indépendantistes.
"Un tel pamphlet serait difficile à écrire maintenant", remarque-t-il.
Médias, société civile et opposition politique dénoncent une restriction drastique de la liberté d'expression depuis l'arrivée au pouvoir d'Imran Khan à l'été 2018 et un renforcement des pouvoirs de l'armée.
La sortie en ourdou d'"Attentat à la mangue" est en ce sens "très opportune", commente Harris Khalique, un poète et militant droit-de-l’hommiste, car "trente ans après l'assassinat de Zia, écrivains et journalistes vivent des pressions similaires".
Mohammed Hanif reconnaît ainsi "s'autocensurer" car "(il a) des enfants et (il) ne veut pas qu'ils aient des problèmes".
"J'ai (fait) reculer certaines frontières" par l'écriture, note-t-il. "Mais je suis maintenant plus prudent que je ne l'ai jamais été dans ma vie."