«La Palestine est intéressée par le modèle marocain»
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“Nous avons créé toutes les motivations possibles et encouragé les hommes d’affaires palestiniens,
en Palestine ou à l’étranger, à investir et apporter leur pierre à l’édifice de l’économie nationale.
Cela a eu des effets très positifs sur notre pays, se traduisant notamment par la création de nouvelles opportunités d’emploi et la hausse de nos exportations”.
LIBE : Pourriez-vous préciser, d’abord, l’objet de votre visite au Maroc ?
Ahmed Majdalani : Cette visite s’inscrit dans le cadre du renforcement de la coopération entre le Royaume du Maroc et l’Autorité palestinienne, portée par la volonté politiquée exprimée à haut niveau par SM le Roi Mohammed VI et le président Mahmoud Abbas. Cette volonté se traduit par la multiplication des visites bilatérales entre les délégations des deux pays. Je profite ainsi de ma visite au Maroc pour exprimer à mon tour ma profonde gratitude pour le précieux soutien que le Royaume n’a eu de cesse d’apporter à la cause palestinienne. Il est sûr que ce n’est pas la première fois que je visite ce pays frère, mais cette fois je reviens avec l’objectif précis de signer une convention de coopération avec le ministère marocain de l’Emploi et de la Formation professionnelle comportant trois aspects fondamentaux. Un, l’emploi qui pose une problématique des plus difficiles notamment pour les pays du tiers-monde ou en voie de développement. Nous savons que le Royaume a accumulé une expérience pilote en la matière. Dans le cadre de l’échange d’expertises, notre souhait est que le Royaume nous aide à créer une Agence de l’Emploi en Palestine. Deux, la formation professionnelle. Le Royaume a traversé des étapes importantes à ce niveau, il dispose actuellement d’instituts de formation qui passent pour des modèles dans le monde arabe et dont le marché de l’emploi a aujourd’hui grand besoin pour remédier au problème du chômage. Sur ce point, nous allons demander au Royaume de nous permettre de dépêcher des délégation d’étudiants palestiniens afin qu’ils soient formés au Maroc. Le troisième aspect concerne le Code du travail et sa mise en œuvre au Maroc, ainsi que l’expérience que le Royaume a capitalisée sur le volet de la gestion du dialogue social, d’autant plus que le Royaume compte parmi les pays de grande tradition syndicale.
Voilà en résumé l’objet de ma visite au Maroc. Maintenant, après la signature du protocole d’accord, nous allons nous atteler à créer une commission conjointe pour veiller à sa mise en œuvre. Je vous annonce que la prochaine rencontre se tiendra en Palestine.
Quel est votre diagnostic de l’état de santé de l’économie palestinienne ?
Il n’échappe à personne que notre économie pâtit du blocus imposé par Israël à la bande de Gaza, mais je dois vous assurer que la structure de notre économie se distingue par sa vitalité. Sur la période 2009-2010, nous avons organisé deux Assises nationales de l’Investissement. Lors des 1ères Assises, en mai 2009, nous avons drainé plus de 2 milliards de dollars d’investissements alors que, pendant les Assises de 2010, nous avons récolté près de 900 millions de dollars. En 2009, l’économie palestinienne a réalisé un taux de croissance de 7%. Compte tenu du blocus imposé, en dépit de la crise financière et économique internationale, ce taux reste des plus élevés et des plus encourageants. Ce qui a permis d’enregistrer un recul notoire du taux de chômage en-deça de 18%. Le revenu du citoyen palestinien s’est, du coup, amélioré. Aujourd’hui, selon nos prévisions, le taux de croissance irait au-delà du seuil de 8% et, en cas de levée de l’embargo, il serait appelé à avoisiner les 11%.
A vous en croire, les indicateurs de votre économie seraient tous au vert. Mais compte tenu du siège, de la concurrence de l’économie israélienne, comment pourriez-vous expliquer cette reprise de l’économie palestinienne ?
A cela, il y a plusieurs raisons. S’agissant de la politique économique, nous avons créé toutes les motivations possibles et encouragé les hommes d’affaires palestiniens, en Palestine ou à l’étranger, à investir et apporter leur pierre à l’édifice de l’économie nationale. Cela a eu des effets très positifs sur notre pays, se traduisant notamment par la création de nouvelles opportunités d’emploi et la hausse de nos exportations. La deuxième raison concerne la stabilité politique et sécuritaire installée par l’Autorité palestinienne, à défaut de quoi il aurait été impossible d’envisager un quelconque investissement. A cela, il faudrait ajouter le fait que le gouvernement a réussi à tenir ses 1ères Assises de l’Investissement. Cela avait été l’occasion de réfléchir sur les secteurs à forte valeur ajoutée pour l’économie nationale. La quatrième raison, elle, se rapporte au progrès enregistré sur le plan législatif et juridique.
Vous citez, plus haut, la stabilité politique et sécuritaire comme l’un des facteurs clés du succès de l’économie palestinienne, alors que tout un chacun sait le clash politique entre Hamas et Fath et connaît les problèmes sécuritaires qui se posent naturellement à un territoire sous occupation.
Comment pourriez-vous alors expliquer cette stabilité ?
De 2001, année à laquelle s’est déclenchée la 2ème Intifada palestinienne, en raison de la visite provocatrice d’Ariel Sharon sur l’Esplanade de la Mosquée Al Aqsa, à 2005, les forces d’occupation israéliennes avaient reconquis plusieurs villages palestiniens et détruit les infrastructures sécuritaires bâties par l’Autorité palestinienne. En 2007, le mouvement Hamas était arrivé au pouvoir. Et tout un chacun se rappelle le noir putsch accompli par ce mouvement dans la deuxième moitié de l’année 2007. Ces événements n’ont toutefois pas empêché l’Autorité palestinienne de rétablir l’ordre, après avoir rebâti son appareil sécuritaire, favorisant ainsi la création d’un climat propice à l’investissement.
En début 2010, le président Mahmoud Abbas a validé un texte de loi interdisant le travail des
Palestiniens dans les colonies israéliennes. Quelles ont été les conséquences de cette décision sur le commun des travailleurs palestiniens ?
Cette décision s’est caractérisée par le réalisme et par la bravoure, d’autant plus que l’Autorité palestinienne mène un combat tous les jours contre la poursuite des implantations israéliennes dans les territoires palestiniens. Au-delà de cette décision, l’Autorité palestinienne a ordonné un boycott des produits en provenance des colonies israéliennes. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est plutôt Israël qui a pâti de ces décisions et non l’économie palestinienne. Les colonies israéliennes n’avaient pas lieu de survivre en l’absence d’une main d’œuvre palestinienne très peu coûteuse, pas plus d’ailleurs d’un marché palestinien où les produits israéliens coulaient à flots.
En ce qui concerne le travail des Palestiniens dans les colonies israéliennes, il fallait évidemment leur trouver d’autres alternatives. Ce dont acte. Nous avons créé ce que l’on a appelé « le Fonds pour la dignité » où nous avons injecté une enveloppe de 2,5 millions de dollars. Le résultat ? Il a été plus qu’excitant. 60.000 postes d’emploi ont été créés. Le boycott des produits israéliens a permis, quant à lui, de booster l’économie palestinienne. J’en veux pour exemple (et preuve) le fait que le secteur des produits laitiers palestiniens couvre à hauteur de 60 % des besoins de notre population. Parallèlement, nous avons prix plusieurs mesures pour intégrer les travailleurs palestiniens dans des différents secteurs (bâtiment, industrie, agriculture, services, etc).
Comment ces décisions ont-elles été accueillies par les syndicats palestiniens ?
Les syndicats palestiniens ont été unanimes sur ces décisions, d’autant plus qu’il s’agit d’une question de souveraineté palestinienne. Tout le monde est convaincu de l’impossibilité de toute forme de coopération avec un pays qui continue d’occuper nos terres et tuer nos enfants. Sur ce point, tout le monde est d’accord. Maintenant, si vous me posez la question sur la présence syndicale en Palestine, je dois vous dire que la revendication en Palestine a été à l’origine syndicale. Pour s’en rendre compte, il suffit de rappeler que la majorité des dirigeants palestiniens, morts ou encore vivants, ont été au départ des militants syndicalistes.
Comment s’organise l’action syndicale en Palestine ?
Au départ, deux Codes du travail étaient appliqués en Palestine. Le premier, jordanien, était mis en œuvre en Cisjordanie, alors que le deuxième, l’égyptien, avait cours dans la bande de Gaza. Ce n’est qu’en 1994 que la Palestine avait pu se doter de son propre Code du travail. Maintenant que nous avons pu recouvrer notre stabilité sécuritaire, nous nous attelons à favoriser la création d’un mécanisme national pour l’institution d’un dialogue social. En septembre dernier, nous avons crée une commission nationale pour statuer sur cette question. Nous avons commencé à préparer un agenda pour ce dialogue, en collaboration avec l’Organisation internationale du travail (OIT). Par la même occasion, nous avons adopté la Déclaration de Torino adoptée lors d’un atelier de travail organisé dans le courant 2010 en Italie. Maintenant, nous nous apprêtons à organiser un premier congrès sur le dialogue social. Nous espérons que ce congrès sera une introduction à la création d’un Conseil économique et social, à l’instar de celui qui se prépare au Maroc.
Autant nous sommes rassurés sur l’état de la Cisjordanie, autant nous sommes inquiets quant à la détérioration de la situation à Gaza. Que faites-vous pour venir en aide à vos concitoyens de Gaza ?
Nos divergences avec le mouvement Hamas, qui se sont aggravées depuis le putsch de 2007, le tout ajouté au siège inique dont souffrent nos concitoyens dans la bande, et la politique de punition collective mise en œuvre par Israël, ne nous ont pourtant pas empêchés de renoncer à nos responsabilités vis-à-vis de nos compatriotes sous embargo. Nous avons continué à nous acquitter de notre devoir vis-à-vis de la population de Gaza. Le gouvernement palestinien consacre 58 % de son budget à la bande de Gaza, sachant que la bande représente 38 % de la population palestinienne. Et ce n’est pas tout. Depuis le putsch de Hamas, les services sont offerts gratuitement à la population de la bande (électricité, adduction en eau potable, etc), sans compter que l’Autorité palestinienne verse un budget de l’ordre de 127 millions de dollars à titre de payement des salaires de nos compatriotes de la bande.
Comment envisagez-vous l’avenir de la réconciliation inter-palestinienne ?
Si quelqu’un devait profiter de nos divisions internes, ce serait bel et bien Israël. Israël trouve dans ces divisions un prétexte à son désengagement vis-à-vis du processus de paix, d’autant plus que le ministre israélien des Affaires étrangères avait déjà clairement appelé à une séparation définitive entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. Nous considérons nos dissensions fratricides comme étant une sombre page de notre histoire. Au-delà d’Israël, les divisions inter-palestiniennes servent plutôt des agendas extérieurs. Le mouvement Hamas sert un agenda politique iranien, au détriment de la cause palestinienne. Il fait partie d’une coalition régionale, dirigée et téléguidée par la République islamique d’Iran. Cette dernière possède cinq cartes de pression, en l’occurrence le Hezbollah (Liban), les Talibans (Afganistan), l’Irak chiite, les rebelles houtiyinnes (Yémen) et évidemment le mouvement Hamas. On comprend que la question de la réconciliation inter-palestinienne dépend largement de l’accord iranien. Or, l’Iran utilise la carte Hamas pour renforcer sa position dans son bras de fer avec les Etats-Unis.
Quand à cela, il faut ajouter que de hauts dirigeants de Hamas ont développé, durant le blocus israélien, un commerce juteux via les tunnels de contrebande situés à la frontière entre Gaza et Rafah (Egypte), que ce même mouvement parle depuis peu de son intention de créer à Gaza ce qu’il appelle un « Emirat islamique », on comprend bien pourquoi Hamas a refusé de signer le mémorandum d’entente relatif à la réconciliation préparé au Caire, en Egypte. De notre côté, l’adoption du document du Caire constitue un passage obligé pour la réconciliation palestino-palestinienne. Car, ce document promet de régler le problème des divisions sur des bases démocratiques en appelant les parties opposées à se référer au diktat des urnes.
Contrairement à son célèbre discours du Caire, au lendemain de son investiture à la tête de l’administration américaine, le président américain Barak Obama avait parlé de la solution des deux
Etats et considéré comme étant inadmissible la poursuite des implantations israéliennes. Mais vu la situation sur le terrain, ne pensez-vous pas que rien n’a été fait de tout cela ?
Nous avions accueilli le discours du Caire, comme celui d’Istanbul, comme étant un signal très positif pour les Palestiniens. Lors de ces discours, le président américain avait pour une fois parlé de règlement du conflit au lieu de la gestion du conflit mettant en garde contre la poursuite du processus de colonisation des territoires palestiniens. C’est pour cela que nous avions réservé un accueil positif à ce nouveau ton de l’administration américaine, en exprimant clairement notre disposition à coopérer pleinement avec cette administration. Mais, il s’avère maintenant clair que plusieurs obstacles avaient surgi devant le président Obama, notamment cette obligation de créer un équilibre entre les forces et les intérêts divergents au sein de son administration et du Congrès américain. Les promesses du président Obama n’avaient pu tenir que 3 mois, ni plus ni moins. Malgré tout, l’Autorité palestinienne a positivé avec l’administration Obama et veillé à ne pas entrer avec elle en conflit direct. Elle a veillé à montrer que le conflit existe plutôt entre la volonté américaine de relancer le processus de paix et les pratiques israéliennes sur le terrain. Comme vous le savez, l’Autorité palestinienne a résisté pendant 14 mois à toutes formes de pressions, refusant d’engager des négociations directes avec Israël en l’absence de garanties sur l’arrêt des implantations et sans une définition d’un cadre référentiel pour ces négociations. Vous n’êtes pas sans savoir que l’émissaire du président américain pour le Proche-Orient, Georges Mitchell, est parvenu récemment à lancer qui est appelé « les négociations de proximité ». Cette nouvelle formule n’a pas été acceptée non plus sans l’obtention de garanties offertes à l’Autorité palestinienne, dont la participation des pays arabes. Sur le plan du contenu, nous avons insisté pour que les négociations soient centrées sur la question de la sécurité et des frontières. Mais voilà, depuis le lancement de ces négociations, pendant lesquelles l’émissaire Georges Mitchelle a visité la région 6 fois, rien n’en fut. Israël a là encore réussi à faire capoter ce nouveau processus. Il est clair que ce qui importe le plus pour Benjamin Netanyahu, c’est l’avenir de la paix que ce souci de garder intacte sa coalition gouvernementale. Nous ne nous faisons donc aucune illusion sur ce gouvernement, l’un des plus extrémistes de l’histoire israélienne. Le chef du gouvernement israélien essaye de gagner du temps, en attendant les élections américaines de novembre 2010 et en spéculant sur une arrivée en force des sénateurs républicains pour saboter les efforts de l’administration Obama pour relancer les négociations de paix.
Vous êtes actuellement d’un parti socialiste progressiste, en l’occurrence le Front populaire de lutte palestinien. Ne constatez-vous pas que le rôle de la gauche internationale en général, et celui de la gauche arabe en particulier, a enregistré une baisse notable, notamment sur le front du soutien de la cause palestinienne ?
Sans doute enregistrons-nous un recul flagrant dans le rôle de la gauche en général, et cela est dû à plusieurs facteurs. Parmi ces facteurs, il y a eu d’abord l’effondrement du Bloc soviétique au début des années 90. Cet effondrement a eu des effets très négatifs sur la structure intellectuelle et politique du courant socialiste à travers le monde entier. L’un des autres facteurs, c’est cette incapacité de la gauche, arabe surtout, à mettre en œuvre une politique de proximité capable de préserver, ou renforcer, ses attaches avec les populations, laissant derrière un grand vide qui n’a finalement profité qu’aux forces islamistes. Cette gauche n’a pu faire une lecture exacte des transformations qu’ont connues leurs sociétés, d’autant moins que son discours est resté loin des réelles préoccupations de ces sociétés. Et puis, il y a ce narcissisme de certains dirigeants des forces de gauche qui ont privilégié leurs intérêts personnels à celui des citoyens.
Comment évaluez-vous les relations entre votre parti et celui de l’Union socialiste des forces populaires ?
Nous veillons à renforcer nos rapports avec toutes les forces arabes de gauche et je dois dire que nos rapports avec l’USFP sont plutôt bonnes, même si nous aurions souhaité que ces rapports soient au niveau de celles des années soixante-dix et quatre-vingt. Je profite de cette occasion pour exprimer mon entière disposition à examiner avec mes homologues de l’USFP toutes les voies susceptibles de hisser nos relations au plus haut niveau de la coopération.
en Palestine ou à l’étranger, à investir et apporter leur pierre à l’édifice de l’économie nationale.
Cela a eu des effets très positifs sur notre pays, se traduisant notamment par la création de nouvelles opportunités d’emploi et la hausse de nos exportations”.
LIBE : Pourriez-vous préciser, d’abord, l’objet de votre visite au Maroc ?
Ahmed Majdalani : Cette visite s’inscrit dans le cadre du renforcement de la coopération entre le Royaume du Maroc et l’Autorité palestinienne, portée par la volonté politiquée exprimée à haut niveau par SM le Roi Mohammed VI et le président Mahmoud Abbas. Cette volonté se traduit par la multiplication des visites bilatérales entre les délégations des deux pays. Je profite ainsi de ma visite au Maroc pour exprimer à mon tour ma profonde gratitude pour le précieux soutien que le Royaume n’a eu de cesse d’apporter à la cause palestinienne. Il est sûr que ce n’est pas la première fois que je visite ce pays frère, mais cette fois je reviens avec l’objectif précis de signer une convention de coopération avec le ministère marocain de l’Emploi et de la Formation professionnelle comportant trois aspects fondamentaux. Un, l’emploi qui pose une problématique des plus difficiles notamment pour les pays du tiers-monde ou en voie de développement. Nous savons que le Royaume a accumulé une expérience pilote en la matière. Dans le cadre de l’échange d’expertises, notre souhait est que le Royaume nous aide à créer une Agence de l’Emploi en Palestine. Deux, la formation professionnelle. Le Royaume a traversé des étapes importantes à ce niveau, il dispose actuellement d’instituts de formation qui passent pour des modèles dans le monde arabe et dont le marché de l’emploi a aujourd’hui grand besoin pour remédier au problème du chômage. Sur ce point, nous allons demander au Royaume de nous permettre de dépêcher des délégation d’étudiants palestiniens afin qu’ils soient formés au Maroc. Le troisième aspect concerne le Code du travail et sa mise en œuvre au Maroc, ainsi que l’expérience que le Royaume a capitalisée sur le volet de la gestion du dialogue social, d’autant plus que le Royaume compte parmi les pays de grande tradition syndicale.
Voilà en résumé l’objet de ma visite au Maroc. Maintenant, après la signature du protocole d’accord, nous allons nous atteler à créer une commission conjointe pour veiller à sa mise en œuvre. Je vous annonce que la prochaine rencontre se tiendra en Palestine.
Quel est votre diagnostic de l’état de santé de l’économie palestinienne ?
Il n’échappe à personne que notre économie pâtit du blocus imposé par Israël à la bande de Gaza, mais je dois vous assurer que la structure de notre économie se distingue par sa vitalité. Sur la période 2009-2010, nous avons organisé deux Assises nationales de l’Investissement. Lors des 1ères Assises, en mai 2009, nous avons drainé plus de 2 milliards de dollars d’investissements alors que, pendant les Assises de 2010, nous avons récolté près de 900 millions de dollars. En 2009, l’économie palestinienne a réalisé un taux de croissance de 7%. Compte tenu du blocus imposé, en dépit de la crise financière et économique internationale, ce taux reste des plus élevés et des plus encourageants. Ce qui a permis d’enregistrer un recul notoire du taux de chômage en-deça de 18%. Le revenu du citoyen palestinien s’est, du coup, amélioré. Aujourd’hui, selon nos prévisions, le taux de croissance irait au-delà du seuil de 8% et, en cas de levée de l’embargo, il serait appelé à avoisiner les 11%.
A vous en croire, les indicateurs de votre économie seraient tous au vert. Mais compte tenu du siège, de la concurrence de l’économie israélienne, comment pourriez-vous expliquer cette reprise de l’économie palestinienne ?
A cela, il y a plusieurs raisons. S’agissant de la politique économique, nous avons créé toutes les motivations possibles et encouragé les hommes d’affaires palestiniens, en Palestine ou à l’étranger, à investir et apporter leur pierre à l’édifice de l’économie nationale. Cela a eu des effets très positifs sur notre pays, se traduisant notamment par la création de nouvelles opportunités d’emploi et la hausse de nos exportations. La deuxième raison concerne la stabilité politique et sécuritaire installée par l’Autorité palestinienne, à défaut de quoi il aurait été impossible d’envisager un quelconque investissement. A cela, il faudrait ajouter le fait que le gouvernement a réussi à tenir ses 1ères Assises de l’Investissement. Cela avait été l’occasion de réfléchir sur les secteurs à forte valeur ajoutée pour l’économie nationale. La quatrième raison, elle, se rapporte au progrès enregistré sur le plan législatif et juridique.
Vous citez, plus haut, la stabilité politique et sécuritaire comme l’un des facteurs clés du succès de l’économie palestinienne, alors que tout un chacun sait le clash politique entre Hamas et Fath et connaît les problèmes sécuritaires qui se posent naturellement à un territoire sous occupation.
Comment pourriez-vous alors expliquer cette stabilité ?
De 2001, année à laquelle s’est déclenchée la 2ème Intifada palestinienne, en raison de la visite provocatrice d’Ariel Sharon sur l’Esplanade de la Mosquée Al Aqsa, à 2005, les forces d’occupation israéliennes avaient reconquis plusieurs villages palestiniens et détruit les infrastructures sécuritaires bâties par l’Autorité palestinienne. En 2007, le mouvement Hamas était arrivé au pouvoir. Et tout un chacun se rappelle le noir putsch accompli par ce mouvement dans la deuxième moitié de l’année 2007. Ces événements n’ont toutefois pas empêché l’Autorité palestinienne de rétablir l’ordre, après avoir rebâti son appareil sécuritaire, favorisant ainsi la création d’un climat propice à l’investissement.
En début 2010, le président Mahmoud Abbas a validé un texte de loi interdisant le travail des
Palestiniens dans les colonies israéliennes. Quelles ont été les conséquences de cette décision sur le commun des travailleurs palestiniens ?
Cette décision s’est caractérisée par le réalisme et par la bravoure, d’autant plus que l’Autorité palestinienne mène un combat tous les jours contre la poursuite des implantations israéliennes dans les territoires palestiniens. Au-delà de cette décision, l’Autorité palestinienne a ordonné un boycott des produits en provenance des colonies israéliennes. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est plutôt Israël qui a pâti de ces décisions et non l’économie palestinienne. Les colonies israéliennes n’avaient pas lieu de survivre en l’absence d’une main d’œuvre palestinienne très peu coûteuse, pas plus d’ailleurs d’un marché palestinien où les produits israéliens coulaient à flots.
En ce qui concerne le travail des Palestiniens dans les colonies israéliennes, il fallait évidemment leur trouver d’autres alternatives. Ce dont acte. Nous avons créé ce que l’on a appelé « le Fonds pour la dignité » où nous avons injecté une enveloppe de 2,5 millions de dollars. Le résultat ? Il a été plus qu’excitant. 60.000 postes d’emploi ont été créés. Le boycott des produits israéliens a permis, quant à lui, de booster l’économie palestinienne. J’en veux pour exemple (et preuve) le fait que le secteur des produits laitiers palestiniens couvre à hauteur de 60 % des besoins de notre population. Parallèlement, nous avons prix plusieurs mesures pour intégrer les travailleurs palestiniens dans des différents secteurs (bâtiment, industrie, agriculture, services, etc).
Comment ces décisions ont-elles été accueillies par les syndicats palestiniens ?
Les syndicats palestiniens ont été unanimes sur ces décisions, d’autant plus qu’il s’agit d’une question de souveraineté palestinienne. Tout le monde est convaincu de l’impossibilité de toute forme de coopération avec un pays qui continue d’occuper nos terres et tuer nos enfants. Sur ce point, tout le monde est d’accord. Maintenant, si vous me posez la question sur la présence syndicale en Palestine, je dois vous dire que la revendication en Palestine a été à l’origine syndicale. Pour s’en rendre compte, il suffit de rappeler que la majorité des dirigeants palestiniens, morts ou encore vivants, ont été au départ des militants syndicalistes.
Comment s’organise l’action syndicale en Palestine ?
Au départ, deux Codes du travail étaient appliqués en Palestine. Le premier, jordanien, était mis en œuvre en Cisjordanie, alors que le deuxième, l’égyptien, avait cours dans la bande de Gaza. Ce n’est qu’en 1994 que la Palestine avait pu se doter de son propre Code du travail. Maintenant que nous avons pu recouvrer notre stabilité sécuritaire, nous nous attelons à favoriser la création d’un mécanisme national pour l’institution d’un dialogue social. En septembre dernier, nous avons crée une commission nationale pour statuer sur cette question. Nous avons commencé à préparer un agenda pour ce dialogue, en collaboration avec l’Organisation internationale du travail (OIT). Par la même occasion, nous avons adopté la Déclaration de Torino adoptée lors d’un atelier de travail organisé dans le courant 2010 en Italie. Maintenant, nous nous apprêtons à organiser un premier congrès sur le dialogue social. Nous espérons que ce congrès sera une introduction à la création d’un Conseil économique et social, à l’instar de celui qui se prépare au Maroc.
Autant nous sommes rassurés sur l’état de la Cisjordanie, autant nous sommes inquiets quant à la détérioration de la situation à Gaza. Que faites-vous pour venir en aide à vos concitoyens de Gaza ?
Nos divergences avec le mouvement Hamas, qui se sont aggravées depuis le putsch de 2007, le tout ajouté au siège inique dont souffrent nos concitoyens dans la bande, et la politique de punition collective mise en œuvre par Israël, ne nous ont pourtant pas empêchés de renoncer à nos responsabilités vis-à-vis de nos compatriotes sous embargo. Nous avons continué à nous acquitter de notre devoir vis-à-vis de la population de Gaza. Le gouvernement palestinien consacre 58 % de son budget à la bande de Gaza, sachant que la bande représente 38 % de la population palestinienne. Et ce n’est pas tout. Depuis le putsch de Hamas, les services sont offerts gratuitement à la population de la bande (électricité, adduction en eau potable, etc), sans compter que l’Autorité palestinienne verse un budget de l’ordre de 127 millions de dollars à titre de payement des salaires de nos compatriotes de la bande.
Comment envisagez-vous l’avenir de la réconciliation inter-palestinienne ?
Si quelqu’un devait profiter de nos divisions internes, ce serait bel et bien Israël. Israël trouve dans ces divisions un prétexte à son désengagement vis-à-vis du processus de paix, d’autant plus que le ministre israélien des Affaires étrangères avait déjà clairement appelé à une séparation définitive entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. Nous considérons nos dissensions fratricides comme étant une sombre page de notre histoire. Au-delà d’Israël, les divisions inter-palestiniennes servent plutôt des agendas extérieurs. Le mouvement Hamas sert un agenda politique iranien, au détriment de la cause palestinienne. Il fait partie d’une coalition régionale, dirigée et téléguidée par la République islamique d’Iran. Cette dernière possède cinq cartes de pression, en l’occurrence le Hezbollah (Liban), les Talibans (Afganistan), l’Irak chiite, les rebelles houtiyinnes (Yémen) et évidemment le mouvement Hamas. On comprend que la question de la réconciliation inter-palestinienne dépend largement de l’accord iranien. Or, l’Iran utilise la carte Hamas pour renforcer sa position dans son bras de fer avec les Etats-Unis.
Quand à cela, il faut ajouter que de hauts dirigeants de Hamas ont développé, durant le blocus israélien, un commerce juteux via les tunnels de contrebande situés à la frontière entre Gaza et Rafah (Egypte), que ce même mouvement parle depuis peu de son intention de créer à Gaza ce qu’il appelle un « Emirat islamique », on comprend bien pourquoi Hamas a refusé de signer le mémorandum d’entente relatif à la réconciliation préparé au Caire, en Egypte. De notre côté, l’adoption du document du Caire constitue un passage obligé pour la réconciliation palestino-palestinienne. Car, ce document promet de régler le problème des divisions sur des bases démocratiques en appelant les parties opposées à se référer au diktat des urnes.
Contrairement à son célèbre discours du Caire, au lendemain de son investiture à la tête de l’administration américaine, le président américain Barak Obama avait parlé de la solution des deux
Etats et considéré comme étant inadmissible la poursuite des implantations israéliennes. Mais vu la situation sur le terrain, ne pensez-vous pas que rien n’a été fait de tout cela ?
Nous avions accueilli le discours du Caire, comme celui d’Istanbul, comme étant un signal très positif pour les Palestiniens. Lors de ces discours, le président américain avait pour une fois parlé de règlement du conflit au lieu de la gestion du conflit mettant en garde contre la poursuite du processus de colonisation des territoires palestiniens. C’est pour cela que nous avions réservé un accueil positif à ce nouveau ton de l’administration américaine, en exprimant clairement notre disposition à coopérer pleinement avec cette administration. Mais, il s’avère maintenant clair que plusieurs obstacles avaient surgi devant le président Obama, notamment cette obligation de créer un équilibre entre les forces et les intérêts divergents au sein de son administration et du Congrès américain. Les promesses du président Obama n’avaient pu tenir que 3 mois, ni plus ni moins. Malgré tout, l’Autorité palestinienne a positivé avec l’administration Obama et veillé à ne pas entrer avec elle en conflit direct. Elle a veillé à montrer que le conflit existe plutôt entre la volonté américaine de relancer le processus de paix et les pratiques israéliennes sur le terrain. Comme vous le savez, l’Autorité palestinienne a résisté pendant 14 mois à toutes formes de pressions, refusant d’engager des négociations directes avec Israël en l’absence de garanties sur l’arrêt des implantations et sans une définition d’un cadre référentiel pour ces négociations. Vous n’êtes pas sans savoir que l’émissaire du président américain pour le Proche-Orient, Georges Mitchell, est parvenu récemment à lancer qui est appelé « les négociations de proximité ». Cette nouvelle formule n’a pas été acceptée non plus sans l’obtention de garanties offertes à l’Autorité palestinienne, dont la participation des pays arabes. Sur le plan du contenu, nous avons insisté pour que les négociations soient centrées sur la question de la sécurité et des frontières. Mais voilà, depuis le lancement de ces négociations, pendant lesquelles l’émissaire Georges Mitchelle a visité la région 6 fois, rien n’en fut. Israël a là encore réussi à faire capoter ce nouveau processus. Il est clair que ce qui importe le plus pour Benjamin Netanyahu, c’est l’avenir de la paix que ce souci de garder intacte sa coalition gouvernementale. Nous ne nous faisons donc aucune illusion sur ce gouvernement, l’un des plus extrémistes de l’histoire israélienne. Le chef du gouvernement israélien essaye de gagner du temps, en attendant les élections américaines de novembre 2010 et en spéculant sur une arrivée en force des sénateurs républicains pour saboter les efforts de l’administration Obama pour relancer les négociations de paix.
Vous êtes actuellement d’un parti socialiste progressiste, en l’occurrence le Front populaire de lutte palestinien. Ne constatez-vous pas que le rôle de la gauche internationale en général, et celui de la gauche arabe en particulier, a enregistré une baisse notable, notamment sur le front du soutien de la cause palestinienne ?
Sans doute enregistrons-nous un recul flagrant dans le rôle de la gauche en général, et cela est dû à plusieurs facteurs. Parmi ces facteurs, il y a eu d’abord l’effondrement du Bloc soviétique au début des années 90. Cet effondrement a eu des effets très négatifs sur la structure intellectuelle et politique du courant socialiste à travers le monde entier. L’un des autres facteurs, c’est cette incapacité de la gauche, arabe surtout, à mettre en œuvre une politique de proximité capable de préserver, ou renforcer, ses attaches avec les populations, laissant derrière un grand vide qui n’a finalement profité qu’aux forces islamistes. Cette gauche n’a pu faire une lecture exacte des transformations qu’ont connues leurs sociétés, d’autant moins que son discours est resté loin des réelles préoccupations de ces sociétés. Et puis, il y a ce narcissisme de certains dirigeants des forces de gauche qui ont privilégié leurs intérêts personnels à celui des citoyens.
Comment évaluez-vous les relations entre votre parti et celui de l’Union socialiste des forces populaires ?
Nous veillons à renforcer nos rapports avec toutes les forces arabes de gauche et je dois dire que nos rapports avec l’USFP sont plutôt bonnes, même si nous aurions souhaité que ces rapports soient au niveau de celles des années soixante-dix et quatre-vingt. Je profite de cette occasion pour exprimer mon entière disposition à examiner avec mes homologues de l’USFP toutes les voies susceptibles de hisser nos relations au plus haut niveau de la coopération.