Les résultats dévoilés
ne manqueront pas
de susciter un débat approfondi parmi
les décideurs publics
et économiques, d’autant plus qu’il s’agit de la première enquête réalisée au Royaume. Le Haut commissaire au Plan évoque les principaux enseignements de cette étude ainsi que
la dimension politique de cette enquête.
Libé : Quels sont les principaux enseignements que vous avez tirés de l’enquête sur les clases moyennes au Maroc ?
Ahmed Lahlimi : Les enseignements que l’on pourrait tirer, d’une façon exhaustive, de toutes les données particulièrement riches de « L’enquête sur les revenus et les niveaux de vie des ménages » que nous avons menée pendant plus d’une année, doivent attendre la conférence-débat consacrée à l’exposé des niveaux de vie de ces classes ainsi que la nature et les facteurs de leur évolution.
Je vous rappelle que nous prévoyons d’organiser cette conférence-débat très prochainement. Mais, d’ores et déjà, on peut relever que la différence entre la part des classes moyennes dans la population d’un côté (53%) et celle qu’elles occupent dans les revenus des ménages (66%) et les dépenses de consommation (65%) de l’autre, permet de penser qu’une nouvelle politique de répartition des revenus devrait, déjà, viser à combler cet écart.
Pensez-vous que l’approche statistique sert fidèlement à la définition des classes moyennes?
C’est l’approche la plus appropriée parce qu’elle s’appuie sur des critères objectifs de distribution des revenus et des niveaux de vie dans la collectivité nationale. Elle n’est, de ce fait, biaisée par aucun modèle se référant a priori à une structure de consommation d’un ménage type idéal ou identifié empiriquement.
L’approche économique des classes moyennes qui se base sur la définition statistique est la plus objective.
Elle les situe, d’emblée, au centre de la distribution réelle des revenus ou des niveaux de vie de la collectivité nationale
Ne s’achemine-t-on pas vers une paupérisation de la classe moyenne (accès à l’éducation de qualité, au logement et à la santé) ?
La réponse à cette question sera amplement développée lors de la prochaine conférence-débat où sera traitée, plus particulièrement, l’évolution des classes moyennes au Maroc.
Mais, je peux vous dire, dès maintenant, que si la situation des classes moyennes s’est détériorée pendant une certaine période, elle connaît ces dernières années, un rattrapage significatif de ses déficits.
Peut-on réellement tracer une frontière entre les classes moyennes et les couches les plus défavorisées?
Définir les classes moyennes c’est par définition fixer, dans la structure sociale, les limites et les caractéristiques des strates les plus modestes, d’un côté, et les plus aisées de l’autre.
On a l’impression que c’est une enquête orientée, idéologique et par conséquent scientifiquement moins rigoureuse. Qu’en pensez-vous ?
Où voyez-vous l’idéologie dans une définition se référant à des critères, statistiquement établis, de revenu et de niveau de vie à partir d’une enquête nationale respectant les normes scientifiques universellement observées ?
Délimitation statistique selon les pratiques internationales
“Il convient, d’abord de dire, qu’en dehors de la Tunisie et la Chine, il n’y a pratiquement pas de définition officielle des classes moyennes. La pratique internationale recourt, en général, pour la délimitation de ces classes, à deux méthodes :
- l’une dite d’auto-évaluation où l’on considère comme appartenant à une classe moyenne les ménages qui se déclarent eux-mêmes dans une position intermédiaire entre les pauvres et relativement pauvres, d’un côté, et les riches et relativement riches, de l’autre. C’est le critère dit subjectif ;
- l’autre méthode définit les classes moyennes selon un critère économique dit objectif se référant au revenu ou au niveau de vie des ménages.
Dans le cadre de cette dernière méthode, la classe moyenne se situe dans une fourchette dont les bornes sont fixées par référence à la médiane des revenus ou des niveaux de vie et ce, en raison de l’inadéquation de la moyenne qui est toujours biaisée dans un système de distribution inégalitaire ou comportant des valeurs extrêmes.
Dans ce cas, les bornes, inférieure et supérieure, des classes moyennes sont calculées en multiple de la médiane. Pour l’OCDE, ces multiples sont fixés à 75% et 150%, pour Statistic Canada, 60% et 150% et pour l’Université du Québec 75% et 150%.
Pour la Banque mondiale, la classe moyenne se situe, pour les pays en développement, entre la médiane de leurs seuils de pauvreté et le seuil de pauvreté aux Usa, soit respectivement, en dollars PPA par jour et par personne, 2$ et 13$, ce qui correspond au Maroc à 9,76 Dh et 63,44 Dh ou encore de l’ordre 1464 DH et 9516 DH par mois pour un ménage de taille moyenne (5 membres). D’autres pratiques se basent sur des critères de salaire par mois. C’est le cas de la Chine pour qui la classe moyenne est constituée de toutes les personnes qui gagnent plus de 2000 yuans (soit l’équivalent de 2960 Dh) dans le milieu urbain et 1500 yuans (2220 Dh) dans le reste du pays. Il n’y aurait donc pas de classe aisée en Chine !