Houssa Azmi, artiste peintre : “Le vrai critique d’art doit être armé d’une bonne culture générale”


Entretien réalisé par Rida ADDAM
Mercredi 29 Décembre 2010

Houssa Azmi, artiste peintre : “Le vrai critique d’art doit être armé d’une bonne culture générale”
Peintre de
conception
symbolique par excellence, militant au sens large du terme, Azmi Houssa est un homme peu ordinaire. L’artiste qui porte un lourd fardeau cogite et souffre en silence.
Un silence digne des grands guerriers qui militent pour une cause. Et sa cause
à lui, c’est de
ressusciter une
culture ancienne qui date de plusieurs siècles : dans ses tableaux, il s’inspire de la pensée de son maître Moulay Ahmed Cherkaoui qu’il traduit sous différentes formes
en puisant dans des symboles berbères. D’ailleurs, c’est dans cette culture berbère et son origine
ethnique, qu’a germé la graine de l’artiste peintre Houssa. Entretien.

Libé : Qui est Houssa Azmi?

Houssa Azmi : Azmi Houssa est un peintre de conception symbolique par excellence, mais il est surtout un militant au sens large du terme. Pourquoi? Je suis un homme qui porte un lourd fardeau que je traîne partout dans un silence digne d’un grand guerrier des temps anciens. Je m’inspire dans ces illustrations plastiques qui font le tour du monde de mes origines berbères, dont je suis fier. D’ailleurs, j’ai présenté ma galerie d’art au Caire entre juillet et août 2008 dans l’atelier de sérigraphie de peintures rupestres sur papyrus  représentant la monarchie de l’Egypte ancienne. Durant la même période, j’ai exposé au hall des artistes à l’Hôtel Rayhana à Al Ghardaka avec deux artistes de Nubie. Pour s’en apercevoir, il suffit de contempler les symboles utilisés dans mes tableaux. Le tableau qui figure sur la clé de mon dernier catalogue (voir illustration) s’appelle en berbère «Agga». Ce mot berbère signifie être responsable dans un sens où l’historien Ibn Khaldoun nomme la société cousine. Il signifie également le sacrifice sans rien recevoir afin de rendre les autres heureux. Ce concept est le berceau de ma philosophie dans la peinture. Cette étincelle est la suite de toute une recherche esthétique dans le domaine de l’art en général et surtout dans la peintre abstraite et naïve marocaine. Et ce, sur les traces d’un grand maître de peinture marocain d’origine bejaadie, Moulay Ahmed Cherkaoui, décédé le 26 juillet 1976. Grâce à ce monsieur, j’ai appris les ba-b.a de l’art plastique. Sans lui, je ne serais pas présent sur la scène artistique marocaine. Jusqu’à nos jours, la vision de Moulay Ahmed surgit à chaque fois des cendres dans mes tableaux pour nous rappeler que la peinture marocaine composée de symboles est riche en lumière. D’ailleurs, la thèse de doctorat soutenue par mon maître Khalil M’Rabet a été suivie par le docteur Mehdi El Menjra dont la soutenance porte sur «L’authenticité et la lumière dans la peinture de Moulay Ahmed Cherkaoui». C’est là où a germé la graine de la peinture du modeste artiste Houssa Azmi. 

Parlez-nous de cette graine et comment a-t-elle évolué dans vos travaux ?

Dès le jeune âge, je me contentais d’observer avec innocence le tissage du tapis, les motifs composés par des artistes femmes illettrées et d’écouter la musique du khoulkhal. J’étais émerveillé par ce monde modeste auquel j’appartenais et que je continue à porter en mon âme. Chose qui se reflète dans mes toiles avec beaucoup d’amour et d’amertume, sous forme de clichés d’écritures berbères. Ces clichés gravés dans ma mémoire et que nous voyons aujourd’hui à travers les galeries nationales, les manifestations, les séminaires linguistiques, le travail des collègues spécialisés en socio-anthropologie pour décortiquer les valeurs et les connotations des 38 lettres du Tifinagh, ont à la fois une valeur fonctionnelle et visuelle. A titre d’exemple : la lettre «S» symbolisée par deux cercles graphiques l’un à l’intérieur de l’autre dans les civilisations anciennes surtout chez les Aztèques et même chez les Pharaons, les gravures sur les stèles funéraires, les tombeaux et sur les cartouches, représentent plusieurs connotations. Chez les Grecs, elle symbolise l’acte d’allumer le feu. En berbère, elle est représentée sous forme de four en pisé.
Dans l’espoir de retrouver une pénombre ou une lumière, les musiques graphiques, la mouvance de la couleur, mènent l’artiste à opter pour l’acte de pénétration, à percer le silence des lettres et des mots et faire parler de manière plastique mes toiles. Cette symbolique dans l’élaboration de ma toile conduit à une autre optique, celle de décortiquer la valeur des Tifinaghs parrainés par les champs verts, l’odeur des lilas, les roses rouges des coquelicots et ocre brûlé des bûcherons et surtout la sueur indigo des forgerons.

En général, quelle est votre perception de la peinture marocaine au cours des dix dernières années où le nombre de galeries a quadruplé?

Jean-Jacques Rousseau disait : «Apprenez difficilement les choses faciles ». C'est-à-dire chez l’être humain, il n’y a pas de graine qui s’appelle le mal qui n’est tout autre qu’une déviation accidentelle de la nature humaine. Ce contraste entre le mal et le bien est l’essence de cette existence. Même dans la philosophie asiatique, le maître Morihei Oeishiba a pu comprendre le «tschi» qui est le centre de gravité de l’être humain. Hélas, les exposants ne différencient pas entre la peinture et ce qu’elle véhicule. Ils se contentent d’offrir un produit commercial sans âme. Les dizaines de galeries ne sont que des marécages où patauge  l’aspect matériel au lieu de véhiculer des concepts, des messages concernant l’humain.

Que faudra-t-il d’après vous pour être un bon critique d’art?

Le proverbe français dit : «Quand il ne reste plus rien à faire, reste la culture ». Ceci dit, le vrai critique d’art doit être armé de connaissances et d’une bonne culture générale. N’est-il pas vrai qu’un homme informé est un homme libre ? 



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