Heureux qui, comme l’élève marocain, a lu Voltaire


Par Mouad Adham
Lundi 29 Février 2016

Il s’agit bien des élèves des écoles publiques et privées de l’enseignement marocain. Donner une chance à cette catégorie n’a rien d’abusif puisqu’elle est effectivement entre de bonnes mains, mais en est-elle consciente ? La question, il faut la poser aux professeurs de langue française, précisément à ceux qui enseignent le programme de la deuxième année du baccalauréat.
Le premier module du projet de cette année est réservé à un conte philosophique de Voltaire : «Candide ou l’Optimisme» présente le voyage et l’errance du jeune Candide qui découvre le Mal et la cruauté du monde après son expulsion du château considéré comme un paradis terrestre de son seigneur le baron. La narration de ce récit est assumée par une instance hétérodiégétique, c’est-à-dire un narrateur qui ne fait pas partie des personnages du conte. Cette position extérieure permet au narrateur d’être le délégué de Voltaire et de présenter ainsi l’absurdité d’un monde sans pitié pour les gens excessivement optimistes via un registre ironique et satirique.
La chance est là. Mais une personne qui n’a pas lu cette œuvre ne peut pas saisir les valeurs humanistes de ce programme en particulier et de l’école marocaine en général. En effet, ce module est une des concrétisations de l’école des valeurs et un des instruments de paix dans les sociétés modernes et religieuses. Les leçons de l’œuvre voltairienne sont nombreuses telles que l’inutilité de la guerre et le rôle du travail. L’objectif de cet article n’est pas de recenser les enseignements du conte et les expériences du jeune Candide. Mais une de ces expériences ne peut pas passer sans susciter l’intérêt d’un jeune élève marocain.
Le chapitre 6 de cette œuvre relate l’étonnement du jeune héros face aux comportements des « sages » d’une ville touchée par un grand tremblement de terre. Convaincus que la force de la nature est un châtiment divin, les responsables de cette ville organisent une cérémonie au cours de laquelle on brûle des innocents afin de mettre un terme aux agitations mortelles de la terre. Par hasard, Candide fait partie des victimes choisies d’une manière aléatoire. Il échappe à ce massacre d’abord pour témoigner de l’injustice de cet acte barbare et ensuite pour permettre de relancer le récit. Sauver le jeune héros d’une mort certaine est une stratégie de l’écrivain afin de garantir la continuité du récit, mais le témoignage du rescapé nous permet de voir l’inutilité d’une cérémonie qui n’a pas empêché la terre de trembler de nouveau et de décoder par la suite les conséquences du fanatisme religieux.
Le contexte historique pointe du doigt la religion chrétienne et souligne la barbarie involontaire ou inconsciente de ceux qui se croient au service d’une cause divine et salvatrice de l’être humain. La vision sarcastique du narrateur permet aux lecteurs, notamment à l’élève marocain, de cerner le recours à la religion afin de combler une ignorance des simples notions géologiques et scientifiques, et de dénoncer l’absence totale de sens critique qui ne peut engendrer qu’un sort tragique. La mort inutile des innocents lors de la cérémonie déclenche même chez un naïf comme Candide les mécanismes de la pensée rationnelle et la capacité de faire la différence entre la religion qui sert à diffuser la tolérance et la paix, et le fanatisme qui ne peut être défini que comme l’arme des incapables et des ignorants. Un lecteur raisonnable éprouve de l’empathie envers des personnes tuées par le fanatisme et sous les ordres des «sages» de la ville en détresse. En fait, substituer des «sages» à des terroristes ne tarde pas à germer dans l’esprit de l’étudiant marocain qui saisit instinctivement la différence entre les principes de paix véhiculés par la religion et l’idéologie des terroristes qui ne cherchent qu’à détruire et anéantir les sociétés qui croient au respect de l’autre et au rôle capital de l’esprit critique et scientifique. La mise en récit de ce que peut engendrer le fanatisme offre à l’élève une bonne assimilation des conséquences dévastatrices de la mauvaise manipulation de la religion et le danger qui guette toute la société sans protection contre le virus du terrorisme.
Si nous cherchons les moyens de protéger nos jeunes contre les idées obscurantistes des organisations terroristes, l’enseignement de la langue française, via les œuvres littéraires, offre une bonne méthode pédagogique qui ne fait que rendre palpable un enseignement basé sur les valeurs humanistes et universelles.
Si tel est le cas, la société marocaine sera à l’abri de la pensée rétrograde et meurtrière. Les esprits éclairés appellent à un enseignement qui adopte les dispositifs et les stratégies nécessaires afin de prémunir les citoyens contre les voix de la perdition et de la mort. Ainsi, nous pourrons reprendre le célèbre poème de Du Bellay en l’intitulant «Heureux qui, comme l’élève marocain, a lu Voltaire».


 


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1.Posté par imane le 29/03/2016 22:14
Bien dit
Bravo M.Adham

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