Hervé Morin : La menace climatique est un sujet tout à fait crucial. C’ est un truisme. Il n’y a que DonaldTrump pour ne pas la voir


Propos recueillis par Youssef Lahlali
Jeudi 8 Octobre 2020

La Normandie a organisé le Forum mondial Normandie pour la paix les 1er et 2 octobre 2020 à Caen à l’Abbaye aux Dames sur le thème «Prévenir la guerre : répondre aux nouvelles menaces». Il a mis à l’honneur le rôle des femmes dans l’édification de la paix. La région des plages de Normandie, théâtre du débarquement des alliés le 6 juin 1944, a organisé pour la troisième année ce forum pour parler de la paix et prévenir la guerre. Hervé Morin, président de la région Normandie et ancien ministre de la Défense de la France entre 2007 et 2010, expose son point de vue à Libé sur les enjeux de ce forum.

Libé : Pourquoi votre région la Normandie a-t-elle choisi d’organiser chaque année un Forum pour la paix ?
Hervé Morin : On a notre histoire, la paix et la démocratie sont revenues en Europe à partir de la Normandie (après le débarquement en juin 1944 et la fin de la Deuxième Guerre mondiale). Il me semblait que sur ces questions de sécurité, de développement durable, la réflexion ne se limite pas à ces deux jours de débat. On essaye de faire un travail en profondeur, qui concerne non seulement les adultes mais aussi les jeunes. Il y a un énorme travail qui a été effectué avec les lycées dans le cadre d’un programme pédagogique. On a des milliers de jeunes dans la région de la Normandie qui travaillent sur ces questions. Un travail de fond est mené dans toute la société normande en partenariat avec l’Education nationale. Il y a également la chaire universitaire qui est un moyen de réfléchir sur les questions de la prévention de la guerre. Il y a aussi des actions comme le manifeste pour la paix qui a été signé l’année dernière par 5 prix Noble de la paix. Il y a une prise de conscience collective sur le monde d’aujourd’hui qui est un monde dangereux. Il est temps de trouver des solutions notamment liées à la question du réchauffement climatique comme les propositions faites dans la conférence de ce forum.

Pourquoi avez-vous choisi certains thèmes pour ce forum comme la sécurité et les enjeux climatiques ?
Vous avez constaté que le thème de nos travaux porte notamment sur les nouvelles menaces, les menaces climatiques, sociales et technologiques notamment, toutes ces externalités négatives d’une croissance trop souvent irrespectueuse de l’homme et de l’environnement. Ce travail sur les menaces est une thématique totalement en ligne avec notre objectif de départ, objectif qui n’a jamais varié : comprendre la guerre pour mieux construire la paix. Les menaces liées à l’environnement, comme la menace climatique, sont un sujet tout à fait crucial. C’est un truisme. Il n’y a que Donald Trump pour ne pas les voir. Les phénomènes climatiques sont de plus en plus violents, la ressource en eau diminue, le désert gagne chaque jour du terrain. Derrière ces catastrophes climatiques, il y a des populations.

Lors de votre intervention dans ce Forum, vous avez soulevé l’importance de l’approche du développement pour la paix face à cette course vers l’armement que connaît notre monde. Croyez-vous que la France et l’Europe peuvent faire plus pour le développement ?
L’intervention française dans le Sahel a été nécessaire en 2013 pour éviter le pire, mais on voit qu’elle ne conduit pas à un but. Quand on fait la guerre, il faut avoir un but. Et derrière tout cela, il y a d’autres enjeux comme l’éducation, la justice sociale, la démocratie et la lutte contre la pauvreté et la corruption. Consacrer par exemple 1% de la dépense militaire pour le développement, c’est deux fois le PIB du Niger, c’est autant que le PIB du Mali. Un peu moins d’équipement militaire permettrait de financer le développement et l’éducation qui sont les clés si on veut stabiliser cette région du monde.

Il va falloir convaincre les décideurs politiques, pourtant vous étiez ministre de la Défense ?
Quand je vois la situation au Sahel, je me rappelle de la situation que j’avais à gérer, qui était celle de l’Afghanistan. Cela dépend aussi de la prise de conscience au niveau international. Vous savez, il a fallu Yalta pour construire un monde nouveau et trois hommes qui ne partageaient pas la même vision du monde. Il y aura un moment d’alignement des planètes et les grands responsables politiques des plus grandes nations qui se partagent et construisent le monde, prendront conscience et bâtiront ce monde-là.

L’actuelle crise sanitaire du Covid-19 sera-t-elle un moyen pour déclencher cette prise de conscience à votre avis ?
Oui mais avec l’actuelle crise sanitaire, il faut aussi un ressort démocratique et ce sera plus facile si les Américains n’élisent pas Donald Trump pour le prochain mandat à la Maison Blanche. Il ne faut pas désespérer de cette situation, il y a de plus en plus de conscience au niveau mondial. Une partie de l’humanité est consciente que le monde ne peut pas continuer comme ça. Par ailleurs, on peut rêver qu’un alignement des planètes permettra à la demi-douzaine de dirigeants capables de construire un monde de se mettre autour de la table pour dire : «On arrête la compétition mondiale qui mène à notre perte pour bâtir un modèle nouveau».

Beaucoup de jeunes lycéens ont participé à ce Forum pour la paix. Quel est votre message à ces jeunes lycéens présents ?
Notre message est de leur dire qu’une partie des solutions est entre leurs mains. La solution ne dépend pas que de nous. Il y a certes beaucoup de souffrances mais il y a aussi des solutions. La solution vient du fait qu’ils refusent de se résigner et c’est cela le message que j’ai envie de leur dire : ne vous résignez pas.

La Commission européenne a proposé un nouveau pacte de la migration. Croyez-vous que l’Europe soit capable de trouver un consensus sur ce sujet ?
Vous voyez bien que cette question est très liée à celle du développement. Il faut consacrer au moins 1% de dépenses militaires pour le développement.

Les dirigeants européens trouveront-ils des solutions à la question de l’immigration ?
Etes-vous optimiste? Je ne crois pas que la solution ne soit qu’européenne. Mais l’Europe devient le creuset d’une solution qui sera partagée par le monde. Pour cela, il faut aussi des dirigeants d’autres grands pays pour le faire.

Caen : Propos recueillis par Youssef Lahlali


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