Greg Duvivier, un trublion de gauche dans le Brésil de Bolsonaro

Je crois que l'humour est une arme, un outil pour mieux comprendre la réalité


Lundi 3 Février 2020

Greg Duvivier, un trublion de gauche dans le Brésil de Bolsonaro
Pas facile d'incarner un Jésus gay dans le Brésil de Bolsonaro. Gregorio Duvivier l'a appris à ses dépens la veille de Noël, quand le siège à Rio de son collectif d'humoristes a été attaqué au cocktail molotov.
Depuis, ce comédien franco-brésilien de 33 ans, l'âge du Christ, se déplace en voiture blindée avec un garde du corps.
"Sur le coup, je me suis dit que c'était peut-être le moment de quitter le pays", déclare à l'AFP ce barbu aux cheveux châtains, père d'une petite fille. Mais en fait, ça n'a fait que renforcer ma volonté de me battre".
Fils d'un sculpteur et d'une chanteuse, Greg, comme il se fait appeler, a d'abord trouvé dans l'humour un moyen de vaincre sa timidité. Ce natif de Rio prend des cours de théâtre dès l'âge de neuf ans.
Il a compris à 16 ans qu'il pouvait faire de l'humour un métier, quand la pièce d'improvisation montée avec des amis a commencé à remporter un grand succès dans tout le Brésil. Elle est restée une quinzaine d'années à l'affiche.
Greg est non seulement un clown mais aussi une plume. Les recueils de poèmes de ce diplômé en lettres ont été salués par la critique et il signe chaque semaine une chronique dans le très respecté quotidien Folha de S. Paulo.
Au cinéma, il s'est essayé à un rôle dramatique dans "La Vie invisible d’Euridice Gusmao", prix Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes.
Ses influences dans l'humour: les Monty python et leur "nonsense", mais aussi les Guignols de l'Info ou les Inconnus qu'il a découverts grâce à ses amis du Lycée français de Rio, tout comme les grands classiques de Louis de Funès.
Adolescent, il se sentait beaucoup moins inspiré par les émissions humoristiques qui passent alors à la télé brésilienne.
"Même s'il y a toujours eu d'excellents comédiens au Brésil, ces émissions étaient pleines de préjugés", explique-t-il.
"Cet humour très répétitif et basé sur les exagérations montrait sans arrêt des femmes stupides, des homosexuels très efféminés, des paysans ploucs qui parlaient bizarrement ou des noirs pauvres et édentés", poursuit le jeune humoriste.
"En gros, c'est un humour qui tapait sur les mêmes personnes que la police", résume-t-il.
C'est pourquoi Greg décide de fonder en 2012 avec d'autres humoristes en pleine ascension le collectif Porta dos Fundos, pour proposer un humour non "pasteurisé".
Pour éviter d'être bridés dans leur créativité, ils se sont tournés vers Internet.
Le succès a dépassé toutes leurs attentes, avec plus de 30 millions de vues sur YouTube en six mois et 1 milliard en deux ans, pour des sketches délirants qui dépassent rarement trois minutes.
Racisme, religion, violence policière... Tous les sujets sont abordés, sans tabou ni pudeur. Porta dos Fundos est encore aujourd'hui une des plus grandes chaînes YouTube du Brésil, avec plus de 16 millions d'abonnés.
Mais Greg Duvivier veut aller plus loin, en ajoutant une dimension politique absente des vidéos de Porta dos Fundos.
C'est ainsi que naît en 2017 Greg News, une émission hebdomadaire sur HBO qui décortique l'actualité avec ironie et surtout beaucoup de pédagogie.
"Je crois que l'humour est une arme, un outil pour mieux comprendre la réalité. C'est difficile de bien comprendre la réalité brésilienne sans humour", dit-il.
Sa cible préférée: le président d'extrême droite Jair Bolsonaro, qu'il considère comme un "ennemi de la planète", la déforestation en Amazonie ayant pratiquement doublé lors de sa première année de mandat, en 2019, par rapport à l'année précédente.
En s'affichant régulièrement dans des rassemblements politiques de gauche, Greg Duvivier sait qu'il s'attire les foudres d'une partie de la population et qu'il ne sera jamais vu comme un comédien grand public.
"Les marques ne s'intéressent pas aux gens qui parlent de politique. Plus un comédien parle de politique, moins il fait de publicités", dit-il.
"Mais pour moi, tout artiste est un militant, je ne pourrais pas me voir autrement", poursuit-il.
Même si Greg admet qu'il "prêche souvent pour des convertis", il considère que, dans le Brésil de Bolsonaro, "la gauche a besoin d'humour et de réconfort".
"Ceux qui pensent comme moi et voient mon émission peuvent se dire qu'ils ne sont pas seuls dans ce pays de fous", lance-t-il.


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