Faut-il brûler ou sacraliser les médias? : Quand les clients de la liberté se font porter pâle


Narjis Rerhaye
Vendredi 22 Octobre 2010

Débat passionné, passionnel par moments, ce mercredi soir à HEM-Rabat. Les médiatiques font recette, et, surtout, ne laissent personne indifférents. Rapporteurs (en principe) de l'information, ils sont aussi faiseurs d'actualité. Et leur actualité n'est pas toujours un long fleuve tranquille.
Les journalistes empêchent de tourner en rond, scrutent les trains qui arrivent en retard, se font la mauvaise conscience des gouvernants. Entre procès, journaux en faillite et lignes rouges et multicolores sans cesse mouvantes, la presse qu'elle soit écrite ou audiovisuelle fait débat.  Faut-il brûler ou sacraliser les médias? C'est justement la question qu'a choisie HEM-Rabat de poser, mercredi 20 octobre, à Ilham Boumehdi, directrice générale adjointe en charge du produit "Hit radio", la radio la plus sanctionnée du PAM, à Reda Benjelloun, directeur adjoint de l'information chargé des magazines d'information à 2M et à Driss Ksikes, directeur de la revue "Economia". Deux absents ce soir-là, Edwy Plenel, président et fondateur du journal en ligne "Mediapart" et Taoufiq Bouachrine, directeur du quotidien "Akhbar Al Yaoum" qui s'est excusé à la toute dernière minute pour cause de problèmes de bouclage. Quant à l'ancien directeur de la rédaction du journal "Le Monde", victime collatérale du mouvement social qui frappe la France, il n'a pu faire le voyage pour cause d'annulation de son vol. "En même temps, cet imprévu est une bonne illustration du thème que nous devions débattre ensemble. Faut-il sacraliser ou brûler les médias ? Parmi les réponses que j'aurais proposées à cette question, il en est une qui concerne l'actuelle crise française et la façon dont elle nous requiert, nous journalistes : les médias ne retrouveront la confiance du peuple qu'à condition d'être à son écoute, de comprendre ce qu'il vit, d'entendre ce qu'il dit, de suivre ce qu'il fait", a fait savoir Edwy Plenel dans un mot adressé, par courriel, au public.
Les journalistes ne sont ni des justiciers ni des procureurs. Reda Benjelloun, le talentueux père du magazine "Grand Angle", a eu les mots pour dire tout haut ce que beaucoup murmurent ici et là. "Non, les journalistes ne doivent pas être des diseurs de fetwas", s'est exclamé celui qui est en charge des magazines d'information de la télévision casablancaise. La télévision, justement, est au cœur de toutes les polémiques. Le journaliste a longuement raconté la mission de 2M en tant que service public, mais aussi toute la difficulté d'être une télévision publique sans grands moyens. Non, il ne faut pas ériger de bûcher à l'ex-télévision privée. Longtemps, 2M n'a pas pu bénéficier des subventions de l'Etat. "Il faut vivre, faire de l'audience, avoir des annonceurs. Bien sûr, de bonnes choses et de moins bonnes passent sur 2M. Les tele novelas font de l'audience. Nous n'y pouvons rien, même si une petite élite, sur l'axe Rabat-Casa n'apprécie pas de tels produits. On nous reproche de ne pas organiser suffisamment de débats politiques à la télévision. Combien sont-ils, parmi le personnel politique, à accepter la contradiction, le débat, le passage à la télévision? Je passe mes journées à essayer de convaincre les uns et les autres, presque à faire la danse du ventre".
La question de l'éthique et de l'influence supposée ou réelle exercée par les journalistes ont forcément traversé cette rencontre dédiée à ces médias qui dérangent.

Quels pouvoirs pour la presse ?
En introduisant le débat, le directeur de HEM-Rabat, Ali Serhrouchni, a eu raison de le relever.  Les médias, a-t-il expliqué,  ne forment pas un pouvoir, mais en exercent plusieurs. "Leur rôle n'est pas uniquement d'informer le peuple mais plutôt servir des intérêts. Tantôt en faveur des uns et tantôt en faveur des autres. Ceci dit, il devient difficile de juger les médias dans leur globalité car l'élément humain reste l'acteur principal dans cette problématique. Que ce soit un journaliste, un reporter ou le directeur d'une chaîne de télévision, c'est toujours le détenteur de l'information qui choisit la manière de la communiquer et la finalité de son action. Le sens moral et l'éthique dans les métiers de l'information sont comme ce vaccin sans lequel, les médias deviennent socialement venimeux et à tendance épidémique".
Driss Ksikes, lui, est formel : l'absence d'une loi réglementant l'accès à l'information pose un énorme problème. Le droit de savoir est ici bafoué alors que la transparence, nécessaire à toute bonne gouvernance, est malmenée. "Dans le même temps, ce qui est donné à voir ou à lire dans les médias, c'est du prêt à consommer. Il y a de moins en moins d'enquêtes et d'investigations. Un peu partout dans le monde, le jeunisme caractérise la profession alors que les journalistes seniors sont en voie de disparition", fait valoir celui qui s'est mis en réserve du journalisme tout en confirmant qu'il est et restera journaliste.
Des procès, des journalistes en prison et un très mauvais classement par Reporter sans frontières en matière de liberté de presse. "Mais combien sont-ils à s'en inquiéter ? Combien sont-ils à être sortis dans la rue pour protester contre les atteintes à la liberté de presse à l'image de ceux qui l'ont fait contre la cherté de la vie ? Ce qui me conduit à me demander si nous avons, au Maroc, des clients de la liberté", se demande D. Ksikes.
De la liberté à la libre antenne, il n'y a qu'un pas que Hit radio s'est empressée de franchir. A ses dépens… "Nous sommes la radio la plus sanctionnée du Maroc", relève Ilham Boumehdi. Cette jeune radio, née lors de la toute première vague de la libéralisation des ondes, s'est vu retirer une année de sa licence. "On parle beaucoup de lignes rouges, des lignes rouges qui, souvent, ne sont pas codifiées. C'est le cahier des charges qui détermine en principe les limites professionnelles à ne pas dépasser", précise Boumehdi.
 Faut-il donc repenser ou redéfinir le rôle des médias ? Comment peut-on discerner entre l'information et la désinformation ? Comment préserver la liberté d'expression  et se prémunir contre tout recul? La télévision s'adresse-t-elle aux Marocains ? Les questions ont été nombreuses ce mercredi soir, et le débat vif. Les médias, on le sait, ne laissent jamais indifférents.



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