Les colons invétérés de l’Algérie

À rebrousse-poil


Mehdi Ouassat
Lundi 22 Juillet 2024

Les colons invétérés de l’Algérie
Il semble que l’Algérie ait trouvé une solution ingénieuse pour ses maux institutionnels : confier les clés des administrations civiles aux militaires. Dans un élan d'innovation débile, le président Abdelmadjid Tebboune a, en effet, décidé, via le décret N° 24-218, d’autoriser les officiers supérieurs de l’armée à diriger des secteurs civils sensibles. Quelle brillante idée ! Enfin, pourquoi s’embêter avec des spécialistes civils quand on peut avoir des colonels à la tête d’entreprises publiques ? 

On pourrait penser que cette décision est le fruit d'une réflexion approfondie, mais hélas, elle semble sortir tout droit d'un manuel de gouvernance surréaliste. Plutôt que d'investir dans la formation des cadres civils, Abdelmajid Tebboune, tel un visionnaire audacieux, a choisi de militariser ses institutions civiles. Une décision qui plonge le pays dans une gouvernance hybride et inefficace, un cocktail explosif d’autoritarisme militaire et d’incompétence administrative.

L’administration civile est un domaine d’expertise, pas un terrain de manœuvres militaires. Les compétences nécessaires pour diriger une entreprise ne s’acquièrent pas dans une caserne. La gestion des ressources humaines, la négociation avec des partenaires économiques, la compréhension des marchés, autant de domaines où l’expertise militaire est, pour le moins, limitée. Confier ces postes à des officiers supérieurs, c’est un peu comme demander à un chef pâtissier de concevoir des ponts : l’intention est peut-être bonne, mais le résultat risque de s'effondrer lamentablement. 

Et ce n’est que la partie émergée de l'iceberg. Le fameux décret présidentiel ne précise pas les secteurs sensibles et stratégiques concernés. Il ouvre donc la porte à une intrusion généralisée des militaires dans toutes les sphères de la gestion publique. Un véritable coup de force administratif où la compétence se mesure au rang militaire plutôt qu'à l'expérience et au savoir-faire civil.

Mais pourquoi s’arrêter là ? Le décret tebbounien précise que ces militaires seront détachés pour une année renouvelable jusqu’à trois ans, sauf prolongation exceptionnelle. Ils conserveront, par ailleurs, leur salaire militaire tout en empochant les primes civiles. Quelle générosité ! On dirait de nouveaux nababs de la fonction publique, cumulant allègrement les avantages des deux mondes. Les années de service dans le civil seront même comptabilisées dans leur ancienneté militaire. Double jackpot ! Il fallait y penser.

Il faut dire que cela ressemble davantage à une sinécure dorée qu'à une mission de service public. Une sorte de système féodal moderne où les seigneurs militaires jouissent de privilèges exorbitants pendant que les simples fonctionnaires civils triment pour des miettes.

Continuons à explorer cette farce magistrale. L’idée même de militaires à la tête d’administrations civiles est une tragédie burlesque. Imaginez un général en treillis, arpentant les couloirs d’une administration civile, distribuant des ordres avec la même ferveur qu’en plein champ de bataille. Cette militarisation de la gouvernance est une absurdité qui révèle une profonde méconnaissance de ce que signifie administrer des institutions civiles.

Mais attendez, ce n’est pas tout. Chaque rose a ses épines. Les déplacements de ces nouveaux responsables nécessiteront l’autorisation préalable du ministère de la Défense. Une simple mission à l'étranger deviendra un véritable parcours du combattant. Pensez un instant à cette scène: « Mon général, puis-je assister à la conférence internationale sur la gestion des infrastructures portuaires à Hambourg ?» – «Permission refusée, restez à Alger et comptez les containers».  Cette mesure, sous couvert de contrôle, révèle une méfiance profonde envers ces nouveaux administrateurs militaires.

Quant à la discipline, tout manquement sera rapporté au ministre de la Défense. Une double hiérarchie pour des directeurs poussés vers la schizophrénie et coincés entre les ordres militaires et les méandres de la bureaucratie civile. C'est un peu comme demander à un maître d’échecs de jouer une partie de Monopoly en respectant les règles du karaté. Une schizophrénie institutionnalisée, orchestrée avec un cynisme déconcertant. 

Le décret tebbounien, en plus de présager une gestion chaotique, montre une fois de plus que les solutions les plus farfelues ne peuvent naître que des esprits les plus dérangés. Plutôt que de renforcer les compétences civiles et d'investir dans la formation et l'efficacité administrative, on choisit de confier les rênes à ceux qui n'ont ni le savoir-faire ni la vocation. Les militaires ont leur place dans les casernes, pas dans les bureaux d’entreprises publiques.

Ce détournement de la fonction publique à des fins connus de tous n’apportera que chaos et inefficacité. Le pays, déjà confronté à de nombreux défis, n'a nul besoin d'une gouvernance hybride et stérile. Les Algériens méritent une administration compétente, transparente et dédiée à leur service. Espérons que ce décret sera le dernier acte d’une farce déjà trop longue. 

Mehdi Ouassat


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