Entretien avec le ministre de la Justice et Premier secrétaire de l’USFP : La réforme de la justice expliquée par Abdelouahad Radi


Entretien réalisé par Narjis Rerhaye
Jeudi 26 Novembre 2009

Entretien avec le ministre de la Justice et Premier secrétaire de l’USFP : La réforme de la justice expliquée par Abdelouahad Radi
Le ministre de la Justice le dit haut et fort : la spécificité de la réforme de la justice ne réside pas seulement dans le fait d’arrêter des principes et des mesures administratives. Ici, il est question de textes de lois.  Entre production, révision et amendement, des textes sont en préparation et vont porter une réforme que ce responsable gouvernemental  présente comme globale.
Abdelouahad Radi est sur tous les fronts de la justice pour que la réforme soit. Des tribunaux qui changent dès l’accueil, des procédures moins lourdes, un équipement informatique pour faciliter l’accès à l’information, la justice change doucement mais sûrement. « Nous pensons que d’ici la fin du mois de décembre, nous aurons bouclé la boucle et préparé les textes fondateurs comme ceux du Conseil supérieur de la magistrature, le statut des magistrats, l’organisation judiciaire, le code de procédure pénale, le code civil », déclare M. Radi dans l’entretien accordé à Libération.
Plus de magistrats et mieux déployés, un équipement informatique pour faciliter l’accès à l’information et lutter contre la corruption, une nouvelle organisation judiciaire, de nouveaux pouvoirs délégués au Conseil supérieur de la magistrature, celui qui est premier secrétaire de l’USFP fait  l’inventaire de ce qui va changer. « Nous allons procéder à une sorte de coordination entre la carte judiciaire et la carte administrative. L’objectif est d’aboutir à un parallélisme. Ce qui facilitera bien des choses », déclare notre interlocuteur.
La justice marocaine est réputée avoir la main lourde dans ses verdicts. Le ministre de la Justice en a pleinement conscience et annonce que son département est en train de réfléchir sur les questions des peines alternatives, des possibilités de réconciliations. « Nous allons également nous pencher sur la détention provisoire. La moitié des détenus attendent leurs procès. C’est aussi cela la réforme », conclut A. Radi.


Entretien

Libé : Il y a quelques jours devant les ministres arabes de la Justice, réunis au Caire, vous avez souligné la globalité de la réforme de la justice en cours au Maroc. Comment appréhendez-vous un chantier aussi immense ? Et comment se décline-t-il ?

Abdelouahad Radi : En parlant de la réforme dans son discours du Trône prononcé en 2007, SM le Roi a insisté avec force sur sa  globalité, sa profondeur et la nécessité de la mener avec les autres.
La globalité de la réforme de la justice signifie que l’on ne va pas s’occuper d’un détail au détriment d’autres. Il s’agit au contraire de ratisser grand et d’aborder tous les problèmes, qu’il s’agisse de problèmes liés à la réforme du tribunal, de ceux des magistrats, des fonctionnaires, de problèmes institutionnels et ayant trait à l’indépendance de la justice, sa moralisation, aux droits de l’homme et de la femme  ou encore de ceux relatifs aux constructions, aux équipements. Il est donc question de tout un système sans oublier que les métiers en relation avec la justice sont également concernés par la réforme. Je pense notamment aux avocats, aux experts, aux traducteurs, aux adoul, aux notaires…
Ce sera donc autant de textes qui seront produits ou soumis à la réforme…
Absolument. La spécificité de la réforme de la justice ne réside pas seulement dans le fait d’arrêter des principes et des mesures administratives comme c’est le cas par exemple pour l’agriculture ou l’enseignement. Dans le cas du secteur de la Justice, tout est précisé par des textes de loi. Tout cela nécessite une révision complète d’un grand nombre de textes, la création de textes nouveaux et l’amendement d’un certain nombre de textes anciens.

Vous avez déclaré devant les députés que la réforme devant la justice passera par le Parlement. A quel débat vous attendez-vous sous la coupole ?

La réforme passe devant le parlement parce que ce sont précisément des textes législatifs. De tels textes passent d’abord en conseil de gouvernement, puis en conseil des ministres que préside SM le Roi pour enfin être examinés, débattus, voire amendés avant d’être adoptés par le parlement. Je suis très optimiste. Au moment de la consultation à l’occasion de l’élaboration de la réforme, nous avons consulté les commissions parlementaires de la justice des deux chambres pour recueillir leurs visions et propositions. Des chefs de groupes et députés ont bien déclaré dernièrement en commission qu’ils se retrouvaient dans la réforme de la justice et que ce que je leur avais présenté correspondait bien à leurs propositions.
Résultat, je suis optimiste et de telles réactions démontrent que nous sommes sur la même longueur d’ondes que les parlementaires parmi lesquels il y a des représentants d’associations des droits de l’homme, d’avocats…

La réforme est globale. Plusieurs dizaines de textes sont attendus. Quel est le calendrier de ce projet de réforme ? Et quand les citoyens se rendront-ils compte du changement ?

Depuis le discours royal du 20 août dernier, nous avons constitué des commissions et nous avons commencé à préparer des textes. Il y a des textes nouveaux, d’autres qui ont été amendés et mis à jour en fonction du contenu du discours du Souverain en plus de ceux en préparation. Des textes ont déjà été mis sur la voie et envoyé au secrétariat général du gouvernement. Nous pensons que d’ici la fin du mois de décembre, nous aurons bouclé la boucle et préparé les textes fondateurs comme ceux du Conseil supérieur de la magistrature, le statut des magistrats, l’organisation judiciaire, le code de procédure pénale, le code civil…
Sur le plan institutionnel, nous avons commencé à préparer les textes. Ils vont suivre leur voie normale. Nous allons essayer de pousser pour que cela se fasse plutôt rapidement. Mais cela ne dépend pas de nous. Quand un ministère envoie un texte au secrétariat général du gouvernement, le SGG l’adresse à tous les ministres pour qu’ils donnent leur avis –parce que nous sommes solidaires-. Ensuite, le texte est débattu en conseil de gouvernement avant d’être examiné en conseil des ministres. Vient ensuite le Parlement. Quand le texte sort du ministère de la Justice, cela échappe au contrôle de ce département.

Mais il y a réforme du tribunal. Ceci est très important. C’est une telle réforme que le citoyen va sentir.
Et comment cette réforme du tribunal va-t-elle s’incarner?

La réforme du tribunal réside dans la réforme de l’accueil. Il y aura des guichets d’accueil dans tous les tribunaux. La réforme du tribunal, c’est également la simplification des procédures et  l’accélération du rythme des jugements. Ici, il s’agit de faire en sorte que les jugements se déroulent dans un laps de temps raisonnable. Il ne faut pas que cela soit expéditif ni que cela prenne un temps fou. Le but visé est au final le jugement équitable. C’est ce que recherche le citoyen. Le citoyen qui se rend au tribunal pour résoudre un problème cherche à être bien accueilli. Il veut ne pas rencontrer trop de difficultés dans ce parcours, ni trop d’intermédiaires. Il cherche aussi que cela ne prenne pas trop de temps. Le citoyen veut enfin un jugement équitable. Ce sont précisément à ces problèmes que nous nous attaquons en augmentant le nombre de fonctionnaires, le nombre des juges et en modernisant les tribunaux. L’introduction de l’informatique est très importante pour la moralisation. Cela participe à la transparence, cela fait gagner du temps, cela élimine les intermédiaires. L’informatique permet également à l’avocat de faire son travail dans de meilleures conditions. Aujourd’hui, grâce à Internet et dans un grand nombre de nos tribunaux, un avocat est en mesure de savoir  à quel stade se trouve tel dossier, s’il doit passer au tribunal, à quelle heure et dans quelle salle. Le simple citoyen peut accéder aux mêmes informations. Cette procédure vise à éliminer les intermédiaires et à moraliser les actions à l’intérieur des tribunaux. L’accès à l’information permet aussi de lutter contre la corruption et contre ces maux qui existent et que l’on a tendance à exagérer. Dans le même temps, le choix des responsables judiciaires est extrêmement important pour la mise en œuvre de toute cette réforme. Des constructions valables, de bonnes conditions de travail, des magistrats et fonctionnaires en nombre suffisant, tout cela entre en considération pour que le citoyen sente, une fois à l’intérieur d’un tribunal, le changement.

Vous êtes-vous fixé un délai pour ce faire ?

Cela est déjà engagé. A la commission du Parlement, des députés ont évoqué ce changement qui devient perceptible dans les tribunaux. Ils m’ont dit qu’ils avaient senti le changement à la fois quantitatif et qualitatif. Ils l’ont senti au niveau de l’accueil, du gain de temps mais aussi sur la qualité des jugements. Nous n’allons pas prétendre que nous avons tout changé mais il y a un début qui pousse à être optimiste. Nous sommes en train de faire des visites dans toutes les circonscriptions judiciaires pour sensibiliser les magistrats et fonctionnaires, les imprégner des valeurs et principes de la réforme, les mobiliser et les faire participer à cette réforme car ce sont eux qui la porte. Nous allons bien sûr les encourager en améliorant leurs conditions matérielles. Le travail est donc en cours et nous allons effectuer des visites dans d’autres régions. Des portes ouvertes ont été organisées dans l’ensemble des tribunaux du pays. En fait, nous mettons tout en œuvre pour que cette réforme démarre sur le terrain et que les citoyens sentent le changement et l’amélioration.

Les magistrats doivent porter la réforme de la justice. Que faites-vous pour qu’ils se l’approprient ?

Nous envoyons des circulaires, des explications. Nous les accueillons à Rabat, nous organisons des séminaires.

Des résistances se sont-elles manifestées ?

Au contraire, nous sentons une adhésion. Pour certains une véritable et réelle adhésion plus que pour d’autres peut-être. Mais l’adhésion existe et nous essayons de responsabiliser les magistrats et de les associer à tout ce que nous faisons. Nous allons avoir des cours de formation continue, l’Institut supérieur de la magistrature organise des rencontres et réunions, les différentes directions font de même. Il y a une mobilisation un peu partout. Et nous pensons que cela va donner de plus en plus des résultats positifs.

Justice de proximité, aides judiciaires, la réforme de la justice porte en elle des nouveautés. Quelles sont ces nouveautés que la réforme va introduire ?

Il faut d’abord normaliser les choses : l’accueil, la durée des procès, les procédures, le jugement équitable. La justice de proximité signifie la révision de la carte judiciaire de manière à ce que les citoyens pas n’aient de grandes distances à parcourir pour aller devant un tribunal.
La tendance est à la disparition des juges communaux et des juges d’arrondissements. Mais il faut les remplacer par des juges résidents. Nous rencontrons d’ailleurs des juges résidents qui par endroits n’ont pas de travail. De la même manière, il y a des endroits où les juges résidents font cruellement défaut. Nous allons procéder à un mouvement de redéploiement de ces juges. Toujours dans le cadre de la justice de proximité, nous allons faire en sorte que certains tribunaux de juges résidents deviennent des tribunaux de première instance. En fait, nous allons revoir la carte judiciaire du Royaume en fonction de critères objectifs qui visent les intérêts du citoyen.
A cela, il convient d’ajouter que nous allons procéder à une sorte de coordination entre la carte judiciaire et la carte administrative. L’objectif est d’aboutir à un parallélisme. Ce qui facilitera bien des choses.

Comment la réforme de la justice va-t-elle se greffer aux nouvelles prérogatives de la Région ?

Cela entre dans le cadre de la décentralisation. Nous allons donner aux directeurs régionaux des budgets et des moyens. Ils seront contrôlés, mais devront assumer toutes leurs responsabilités. Des possibilités de mutation, de contrôle, d’inspection seront données aux présidents de cour d’appel. Nous allons donc décentraliser, pas seulement sur le plan administratif mais aussi sur le plan judiciaire. Dans cette perspective, nous allons revoir l’organigramme du ministère de la Justice et déléguer des pouvoirs vers le bas mais aussi vers le haut en déléguant des pouvoirs au conseil supérieur de la magistrature.

De quoi le conseil supérieur de la magistrature sera-t-il précisément en charge ?

Nous allons donner un budget et une administration autonome au Conseil. Il disposera également de son propre local. Nous allons également faire en sorte que ses membres soient permanents en n’occupant pas d’autres responsabilités pour qu’ils puissent travailler sur les dossiers. Et si on leur donne des tâches nouvelles, il faut leur donner des pouvoirs nouveaux.

Après tout cela, quels seront les pouvoirs du ministre de la Justice ?

Le ministre de la Justice continuera de jouer son rôle en créant les meilleures conditions pour que la justice fonctionne bien. Construire des tribunaux, veiller à ce que la loi soit bien appliquée  autant que la moralisation, assurer l’indépendance de la justice, protéger les droits de l’homme et mettre en œuvre la politique judiciaire du royaume. Ici, il faut veiller à combattre le crime organisé, la drogue, protéger les citoyens, lutter contre le terrorisme et toutes les menaces nouvelles qui guettent les sociétés.
Vous parlez de politique judiciaire et justement on reproche aux tribunaux marocains d’avoir la main lourde, de privilégier les peines de prison ferme aux peines alternatives. La réforme de la justice s’est-elle penchée sur cette question.
Nous allons beaucoup travailler sur les questions des peines alternatives, des possibilités de réconciliations. Nous allons également nous pencher sur la détention provisoire. La moitié des détenus attendent leurs procès. C’est aussi cela la réforme. Nous avons passé une année à pointer tous les dysfonctionnements du système. Les consultations que nous avons faites auprès d’hommes et de femmes de terrain nous ont également beaucoup aidés.

La réforme de la justice est globale. Elle a aussi un coût. De quel ordre est-il ?

Cela a nécessité l’augmentation du budget de la justice. De 2007 à maintenant, il a augmenté en moyenne de 72%. J’espère que nous arriverons à 100% l’année prochaine. Doubler le budget en l’espace de trois ans n’est pas chose facile mais cela traduit la volonté du gouvernement de donner les moyens à cette réforme. Et ce sur instructions de SM le Roi.
La volonté matérielle est bel et bien là autant que la volonté politique qui se traduit par le soutien du Souverain qui pilote cette réforme.

Imaginons que nous soyons en 2012. C’est la fin du mandat du gouvernement de Abbas El Fassi dont vous faites partie. Où en sera la réforme de la justice ?

En 2012, sur  le plan des équipements, on aura 22  nouveaux tribunaux dont 4 tribunaux d’appel et 18 de première instance. On aura élargi et étendu plusieurs dizaines d’autres tribunaux. On aura augmenté le nombre de juges de 50%. Nous aurons recruté d’ici là plus de 1500 juges. Pour cette seule année par exemple, nous avons 393 juges en formation. Ce qui est unique dans les annales du ministère. Nous obtenons un millier de postes budgétaires chaque année. En 2012, tous les tribunaux seront équipés en informatique. Tous auront des guichets d’accueil. Nous aurons aussi un magistrat qui traite actuellement  1000 dossiers par an n’en traitant que 700 avant d’arriver en 2017 à la norme internationale qui est de 500 dossiers par magistrats. Nous espérons également qu’en 2012 la moyenne d’un procès passera de 1 an à 6 mois.
Sur le plan matériel, les magistrats et fonctionnaires auront des salaires qui leur permettront de vivre dans de bonnes conditions, protégés contre la corruption  et être dévoués à la mission qui est la leur. Et par-dessus tout, nous espérons qu’en 2012, nous serons arrivés à réconcilier les citoyens avec leur justice.



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