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On savait
la comédienne Latefa Ahrrare persévérante et perfectionniste, mais pas metteur en scène qui a décidé de vivre une aventure singulière, celle de mettre en synergie trois genres
artistiques : poésie, chorégraphie
et théâtre. Une œuvre qu’elle présentera cette année même
sur les planches
marocaines, belges, espagnoles,
polonaises et
jordaniennes.
Sur scène, Latefa est
quasiment instinctive, difficile à cerner ou réfréner. C’est un être théâtral évoluant allègrement
dans son milieu
naturel. Elle nous parle dans cet
entretien du monde
de Capharnaüm,
le monde imaginaire/réel où elle vit son
Auto-Sirat.
Libé : Du Récif de l’effroi à Capharnaüm, vous avez dû effectuer un long périple, racontez-nous l’aventure.
Latefa Aherrare : C’est vraiment un voyage assez particulier, où le subjectif s’immisce et s’entrecoupe avec le philosophique et l’imagination avec le réel. Il s’agit d’un périple vécu dans l’âme, dans la réalité, dans les émotions et dans mes idées personnelles. Tout cela a donné vers la fin un spectacle aux multiples couleurs, et aux multiples facettes. J’avais lu « le Récif de l’Effroi » à deux reprises, la première fois en 2006, puis une seconde lecture, mais ce n’est qu’en juillet 2010 lors du Festival de cinéma africain de Khouribga que j’ai eu un autre regard et une autre vision sur ce recueil. C’est la richesse de l’œuvre, mais aussi la possibilité de la lecture plurielle en des périodes différentes.
Que s’est-il passé plus précisément ?
En fait, mon père venait de mourir, et j’étais à Khouribga avec le poète Yassin Adnan qui me lisait certains de ses poèmes. Le même recueil exerçait sur moi un autre attrait et avait une autre pesanteur et une profondeur singulière. Les premières images qui m’étaient venues en écoutant les poèmes étaient celles de mon défunt père couvert d’un linceul blanc. Là, j’ai commencé à m’interroger sur l’au-delà et sur l’effroi. Est-ce que c’est ce qu’on nous a toujours expliqué ou ce qu’on regarde aussi ici-bas ? Car, l’effondrement des « twin towers » est aussi un effroi, même chose pour Bagdad sous les feux de ses conquérants, ces jeunes sortis du détroit méconnaissables et qu’on démarque par un X ou encore ces femmes qui accouchent difficilement dans des endroits reculés.
Vous avez eu recours, en tant que réalisatrice, à la chorégraphie pour théâtraliser un recueil poétique, comment êtes-vous arrivée à marier ces genres artistiques ?
Je ne suis pas la première, plusieurs avant moi ont goûté à cette belle aventure dans le monde du théâtre, mais je suis peut-être pionnière en la matière dans mon pays. En fait, la poésie c’est des mots qui flottent et ce n’est point facile de les domestiquer, de les fidéliser. Les mots ne sont pas simplement dits, mais surtout accouchés. Dans ce travail en particulier, car j’ai dû d’abord m’imprégner du recueil, de son monde intérieur profond, puis passer à la phase d’enfantement de la forme artistique dans laquelle le texte original va vivre, en utilisant le corps, la voix et la gestuelle.
Vous avez dû donc recourir aussi à des chorégraphes pour améliorer vos compétences en la matière ?
Effectivement, une telle aventure ne pouvait s’achever sans l’aide consistante de vrais professionnels en chorégraphie. Et là, je dois dire que je ne remercierai jamais comme il se doit le chorégraphe marocain résidant en France Khalid Benghrib qui m’a bien encouragée à courir le risque et à relever le défi. Ce n’est pas facile d’être dans la peau d’une danseuse. J’ai travaillé également avec le chorégraphe iranien résidant au Canada, Sachar Zaref qui m’a appris les facettes de cette danse spirituelle et renforcé en moi les aptitudes d’expression corporelle.
Comment vous avez pu marier efficacement des thèmes philosophiques profonds tels la religion, le mythe, la destinée humaine, la mort… ?
Il n’y a pas de recette magique, rassurez-vous, car chaque travail doit être préparé longuement et sérieusement suivant son propre contexte, étant donné également ses propres spécificités. Ce spectacle a eu lieu suite à ce déclic provoqué par le décès de mon père. Ma réaction, ma réflexion après cet événement qui m’a beaucoup marquée, ont fait que je pensais aussi à la vie dans ses différentes ramifications : Amour, haine, religion, passion, sexe, relations humaines…Capharnaüm est donc tout cela à la fois et je ne peux m’en passer d’une des composantes de cette vie complexe…
En tant qu’espace de votre drame, Capharnaüm peut-il être un espace réel dans ce monde ?
Justement, les êtres humains sont devenus tellement individualistes dans leur choix des espaces. On a beau habiter une jolie résidence dans un joli endroit, on a toujours un faible pour un coin particulier. Et dans mon dispositif scénique, j’étais vraiment minimaliste, car j’aime aller au fond des détails, pour mettre de côté ce souci du décor que je n’aime pas vraiment. Ainsi, il y aura un bol de miel, une orange, un combiné téléphonique suspendu, des souliers rouges, une burqa. Et tout cela était fonctionnel et servait la trame aussi bien poétique que rythmique du spectacle, dans la mesure où elle m’a permis de décortiquer les relations femme/femme, femme/homme et finalement la fille à son père. Dieu sait que cela est très difficile voire complexe, car Capharnaüm peut se réduire à un corps en quête de son âme.
la comédienne Latefa Ahrrare persévérante et perfectionniste, mais pas metteur en scène qui a décidé de vivre une aventure singulière, celle de mettre en synergie trois genres
artistiques : poésie, chorégraphie
et théâtre. Une œuvre qu’elle présentera cette année même
sur les planches
marocaines, belges, espagnoles,
polonaises et
jordaniennes.
Sur scène, Latefa est
quasiment instinctive, difficile à cerner ou réfréner. C’est un être théâtral évoluant allègrement
dans son milieu
naturel. Elle nous parle dans cet
entretien du monde
de Capharnaüm,
le monde imaginaire/réel où elle vit son
Auto-Sirat.
Libé : Du Récif de l’effroi à Capharnaüm, vous avez dû effectuer un long périple, racontez-nous l’aventure.
Latefa Aherrare : C’est vraiment un voyage assez particulier, où le subjectif s’immisce et s’entrecoupe avec le philosophique et l’imagination avec le réel. Il s’agit d’un périple vécu dans l’âme, dans la réalité, dans les émotions et dans mes idées personnelles. Tout cela a donné vers la fin un spectacle aux multiples couleurs, et aux multiples facettes. J’avais lu « le Récif de l’Effroi » à deux reprises, la première fois en 2006, puis une seconde lecture, mais ce n’est qu’en juillet 2010 lors du Festival de cinéma africain de Khouribga que j’ai eu un autre regard et une autre vision sur ce recueil. C’est la richesse de l’œuvre, mais aussi la possibilité de la lecture plurielle en des périodes différentes.
Que s’est-il passé plus précisément ?
En fait, mon père venait de mourir, et j’étais à Khouribga avec le poète Yassin Adnan qui me lisait certains de ses poèmes. Le même recueil exerçait sur moi un autre attrait et avait une autre pesanteur et une profondeur singulière. Les premières images qui m’étaient venues en écoutant les poèmes étaient celles de mon défunt père couvert d’un linceul blanc. Là, j’ai commencé à m’interroger sur l’au-delà et sur l’effroi. Est-ce que c’est ce qu’on nous a toujours expliqué ou ce qu’on regarde aussi ici-bas ? Car, l’effondrement des « twin towers » est aussi un effroi, même chose pour Bagdad sous les feux de ses conquérants, ces jeunes sortis du détroit méconnaissables et qu’on démarque par un X ou encore ces femmes qui accouchent difficilement dans des endroits reculés.
Vous avez eu recours, en tant que réalisatrice, à la chorégraphie pour théâtraliser un recueil poétique, comment êtes-vous arrivée à marier ces genres artistiques ?
Je ne suis pas la première, plusieurs avant moi ont goûté à cette belle aventure dans le monde du théâtre, mais je suis peut-être pionnière en la matière dans mon pays. En fait, la poésie c’est des mots qui flottent et ce n’est point facile de les domestiquer, de les fidéliser. Les mots ne sont pas simplement dits, mais surtout accouchés. Dans ce travail en particulier, car j’ai dû d’abord m’imprégner du recueil, de son monde intérieur profond, puis passer à la phase d’enfantement de la forme artistique dans laquelle le texte original va vivre, en utilisant le corps, la voix et la gestuelle.
Vous avez dû donc recourir aussi à des chorégraphes pour améliorer vos compétences en la matière ?
Effectivement, une telle aventure ne pouvait s’achever sans l’aide consistante de vrais professionnels en chorégraphie. Et là, je dois dire que je ne remercierai jamais comme il se doit le chorégraphe marocain résidant en France Khalid Benghrib qui m’a bien encouragée à courir le risque et à relever le défi. Ce n’est pas facile d’être dans la peau d’une danseuse. J’ai travaillé également avec le chorégraphe iranien résidant au Canada, Sachar Zaref qui m’a appris les facettes de cette danse spirituelle et renforcé en moi les aptitudes d’expression corporelle.
Comment vous avez pu marier efficacement des thèmes philosophiques profonds tels la religion, le mythe, la destinée humaine, la mort… ?
Il n’y a pas de recette magique, rassurez-vous, car chaque travail doit être préparé longuement et sérieusement suivant son propre contexte, étant donné également ses propres spécificités. Ce spectacle a eu lieu suite à ce déclic provoqué par le décès de mon père. Ma réaction, ma réflexion après cet événement qui m’a beaucoup marquée, ont fait que je pensais aussi à la vie dans ses différentes ramifications : Amour, haine, religion, passion, sexe, relations humaines…Capharnaüm est donc tout cela à la fois et je ne peux m’en passer d’une des composantes de cette vie complexe…
En tant qu’espace de votre drame, Capharnaüm peut-il être un espace réel dans ce monde ?
Justement, les êtres humains sont devenus tellement individualistes dans leur choix des espaces. On a beau habiter une jolie résidence dans un joli endroit, on a toujours un faible pour un coin particulier. Et dans mon dispositif scénique, j’étais vraiment minimaliste, car j’aime aller au fond des détails, pour mettre de côté ce souci du décor que je n’aime pas vraiment. Ainsi, il y aura un bol de miel, une orange, un combiné téléphonique suspendu, des souliers rouges, une burqa. Et tout cela était fonctionnel et servait la trame aussi bien poétique que rythmique du spectacle, dans la mesure où elle m’a permis de décortiquer les relations femme/femme, femme/homme et finalement la fille à son père. Dieu sait que cela est très difficile voire complexe, car Capharnaüm peut se réduire à un corps en quête de son âme.