Entretien avec l'ex-agent du DRS, Karim Moulai, déballe tout à Libération : Révélations sur de multiples assassinats et sur l'attentat de l'hôtel Atlas Asni (4)


Propos receuillis par Jamal Hafsi
Lundi 6 Septembre 2010

Au titre des révélations faites à Libé, Karim Moulai déclare que la relation qu'entretiennent le DRS et le polisario est à l'image de celle qui lie généralement un décideur à un exécutant. Il parlera aussi du Sahara, d'un projet d'assassinat du fils de Abbassi Madani et de sa fuite en Grande-Bretagne.       

Libé : Vos révélations n'ont pas suscité de réactions notables au niveau de la presse algérienne. Comment expliquez-vous cette indifférence?

Karim Moulai : Il n'y a rien d'étonnant à cela. Mes témoignages ont été sciemment relégués en pages internes de certaines publications, avec comme objectif de les enterrer suivant une stratégie d'indifférence comme vous dites, mais celle-là calculée. Après quoi, certains journalistes se verront confier la mission de passer à la phase acharnement sur ma personne dans le but de me décrédibiliser afin de mettre en doute mon témoignage. Et, comme je vous le disais lors de notre prise de contact pour la réalisation de cet entretien, je prévoyais que le passage à cette phase n'allait pas tarder à commencer. Me voilà conforté dans ma conviction, puisque Anouar Malek, journaliste qui porte la marque de fabrique du DRS et dont on sait qu'il tourne casaque pratiquement à chaque fin de lune, a ouvert le bal en m'envoyant, il y a quelques jours, une première salve sous la forme d'un email dont je vous laisse apprécier le contenu ordurier. Après quoi, ça a été au tour de Said Bensedira, autre journaliste notoirement connu pour être un enfant de la "boîte", de m'accuser, comme l'a fait aussi Anouar Malek, d'intelligence avec l'ennemi. Comprendre avec le Maroc et la Grande-Bretagne. Aussi, le reste est à venir bien évidemment ! Ils enverront certainement d'autres journalistes au "front de la diffamation" pour tenter de démolir mes témoignages. En Algérie, la presse est mise au pas, et elle est en majorité entre les mains de quelques généraux du DRS. Il faut rappeler aussi que beaucoup de journalistes pour avoir refusé de collaborer avec le DRS l'ont payé relativement cher, quand ils n'ont pas eu le temps de partir en exil comme l'a fait la journaliste Khadidja Benguenna qui travaille à  Al Jazeera. A l'image de la jeune Hayat qui était encore étudiante en journalisme et que l'officier Mounir, de l'équipe de Abdelkader, a exécuté froidement avant de  jeter son corps près du zoo de Benaknoun.      
 
D'après vous quel est le niveau d'implication du  DRS dans la gestion du dossier du Sahara?

Tout le monde sait que l'attentat de l'hôtel Atlas Asni, commandité par le DRS, n'aurait jamais eu lieu s'il n'y avait pas l'affaire du Sahara. Et je peux vous dire à ce sujet, sans exagération aucune, que si  les généraux qui décident au sein du DRS pouvaient vivre quatre autres siècles, cette affaire du Sahara durera encore autant.

Qu'est-ce qui vous fait dire cela, avec autant de certitude ?

Je dis cela, pas seulement parce que c'est une conviction personnelle. Non, je le dis parce que c'est ainsi que sont les choses. Le milieu  du renseignement est certes très cloisonné et entouré d'un épais brouillard, néanmoins nous finissons, nous qui y travaillons, par savoir beaucoup de choses.
Concernant l'affaire du Sahara, très certainement le dossier le plus épais sur les bureaux de ces généraux, les intérêts en jeu relèvent du stratégique, du financier…et, pour une petite part, de l'ego. C'est pour dire qu'ils s'y accrochent avec une rare énergie et de manière obsessionnelle.

Pour rester sur la question du Sahara, pouvez-vous nous dire quels genres de rapports entretiennent le DRS et le Polisario ?

Je ne sais pas s'il convient de parler de rapports entre les deux dans le sens de rapports entre deux partenaires. Parce qu'entre le DRS et le Polisario, la relation est plutôt du genre de celle qui lie généralement un décideur à un exécutant. C'est pour ainsi dire le DRS qui décide de tout et qui pilote toute la stratégie et toutes les actions du Polisario. Ce dernier n'a absolument aucune marge de manœuvre, sinon très difficilement sur quelques détails.  
Les éléments du Polisario ont toujours été formés par le DRS aux techniques du renseignement dans le cadre de séminaires organisés par les formateurs du DRS et dans les locaux de ce dernier.
Aussi, lors de missions des premiers nommés à l'étranger, les éléments du DRS sont toujours là pour les encadrer.

Aviez-vous effectué quand vous étiez en activité quelque mission en rapport direct avec l'affaire du Sahara ? 

Permettez-moi de refuser de répondre à cette question dans l'immédiat. Je vous ai expliqué avant le début de cet entretien que mes témoignages visent avant tout à établir la vérité sur les pratiques de certains généraux du DRS. Parallèlement, ils me permettront, je le souhaite vivement, d'apaiser ma conscience en l'allégeant de ces lourds secrets que je rends aujourd'hui publics.
Ce pourquoi j'estime en avoir suffisamment dit sur certains sujets. Notamment sur la relation DRS-affaire du Sahara. J'y reviendrais quand l'exigeront d'autres circonstances.    
 
Quand vous étiez encore agent du DRS, comment était perçue l'affaire du Sahara par les citoyens algériens ? 

Pour la plupart, ils ne s'y intéressaient pas. C'est la conclusion à laquelle aboutissaient les enquêtes menées sur le terrain. Les citoyens algériens avaient d'autres préoccupations que de s'intéresser à l'affaire du Sahara.
Le même désintérêt prévaut aujourd'hui. J'en fournis la preuve par ce prêche du vendredi d'Ali Belhadj lors duquel ce dernier a évoqué l'affaire du Sahara en disant à peu près ceci : "Le président Bouteflika envoie un message de félicitations et de louanges  au Roi du Maroc à l'occasion d'une fête nationale et le soir même que voit-on à la télé : des marques et manifestations de soutien au peuple sahraoui que l'on dit colonisé par le Maroc. C'est le sommet de l'hypocrisie". Dans le même prêche Belhadj avait dit : "Ils nous  montrent à la télé quelques Sahraouis supposés avoir été violentés par les Marocains en leur faisant exhiber des photos sur lesquels ils présentent quelques petites blessures mais oublient de nous dire ce qu'ils ont fait à leurs propres citoyens… ".
Ces déclarations traduisent en gros les réflexions et le parallèle qui reviennent dans les propos de la plupart des Algériens quand il leur arrive d'aborder la question du Sahara. Bien évidemment il est une très faible minorité, tapie certainement derrière quelques intérêts, qui appuie de temps à autre la cause du Polisario.   

Quand vous est venue exactement l'idée de quitter le DRS ?

Dès le moment où j'ai commencé à réaliser que ce que je voyais n'était d'aucun rapport et d'aucune conformité avec l'idée que je me faisais du renseignement, de la défense des intérêts du pays et de la sécurité nationale. Je n'admettais pas en effet que le DRS puisse  liquider avec une insolente légèreté des citoyens innocents. Et quand bien même auraient-ils eu quelque chose à se reprocher il y a bien des tribunaux pour les juger. J'en ai souffert intérieurement pendant quelques années. Je savais aussi toute la difficulté et le danger que je courais si je venais à manifester l'envie de quitter le DRS. La conséquence d'une telle envie est sans équivoque : on vous liquide.
Pour avoir seulement manifesté son désaccord sur les méthodes utilisées, un officier du DRS, nommé Mouloud, a été liquidé.

Aviez-vous peur d'être assassiné ?

Oui, j'avais peur, je le reconnais. M'inquiétaient aussi des documents qu'Abdelkader m'avait fait signer à blanc, comme le veut la règle au DRS. Je me disais qu'ils pourront les utiliser pour me nuire. Eh, oui ! Si ça trouve, demain, ils pourront m'accuser d'avoir avoué par écrit ma participation à l'assassinat de feu le président Boudiaf. Ou que sais-je encore ? Ils sont capables de tout. C'est dire que j'étais sous une énorme pression.
Après mon mariage, en novembre 2000, le DRS a décidé de m'offrir, comme je l'avais demandé, un voyage de noces en Malaisie. En fait j'avais pris l'irrévocable décision de profiter de ce voyage pour m'enfuir. Après y être arrivé en compagnie de mon épouse, je suis allé, comme le veut la règle mais aussi pour faire diversion, prendre attache avec le responsable du DRS à l'ambassade d'Algérie à Kuala Lumpur. On m'informa alors que sur instructions venues d'Alger je devais exécuter une mission en Malaisie même.

Quelle mission ?

Assassiner Oussama Madani, le fils de Abbassi Madani, le leader du FIS. A cette époque il était étudiant dans une université de ce pays.
J'ai refusé net. Après quoi, ils m'ont demandé de prendre quelque temps pour réfléchir. J'en ai profité pour m'enfuir en Grande-Bretagne où je suis arrivé le 3 février 2001. Depuis j'y suis.

A notre connaissance Oussama Madani est toujours vivant. Pourquoi ne l'ont-ils pas assassiné ? Fallait-il absolument que ça soit vous qui le fassiez ? 

Non, non ! Un autre agent aurait pu le faire. Je crois savoir de source proche de cette affaire que s'ils ne l'ont pas fait, c'est parce qu'ils se sont rendu compte des conséquences que pouvait avoir l'assassinat d'un ressortissant allemand. Le fils Madani avait en effet la nationalité allemande. C'est ce qui a tranché en faveur de l'abandon de cette mission.
J'en profite pour vous signaler que Oussama Madani, qui m'appelait du Qatar, et moi avons discuté hier au téléphone pendant près de deux heures. Il m'a informé, entre autres, que son père, Abbassi Madani souhaiterait me voir.      

Votre épouse n'est pas venue avec vous en Grande-Bretagne, pourquoi ?

Mon épouse qui était enceinte lorsque nous étions en Malaisie ne savait pas ce qu'était ma profession exactement. Et savait vaguement que je travaillais dans une administration publique. Toutefois, elle se doutait que quelque chose n'allait pas. Ce pourquoi, elle ne m'a pas suivi dans ma fuite. Depuis je ne l'ai plus revue. Ni ma fille d'ailleurs que je n'ai même pas vue naître.

Vous êtes en Grande-Bretagne depuis près de dix ans, qu'y avez-vous fait depuis?

Arrivé en Grande-Bretagne, j'ai demandé l'asile politique, lequel m'a été accordé. Après m'être installé et avoir repris un peu mes esprits, j'ai cherché à entrer en contact avec l'opposition algérienne installée en Grande-Bretagne. Ainsi j'ai pu rencontrer en 2002 des officiers du Mouvement algérien des officiers libres (MAOL) auxquels j'ai remis un dossier contenant des éléments en rapport avec les révélations que je fais aujourd'hui. Mes contacts avec le MAOL ont duré jusqu'en 2005 ou 2006. Les choses avec le Mouvement des officiers libres n'ont pas été comme on l'avait souhaité.
Après quoi des contacts ont eu lieu avec le Mouvement Rachad.


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