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Mohamed hmoudane est un écrivain marocain qui réside en France depuis 1989. Il a déjà publié aux éditions “La Différence” trois recueils de poèmes, “Parole prise, parole donnée”, “Blanche Mécanique”, “Attentat” et un roman, “French Dream”.
Libé : Pourquoi le choix de ce titre pour votre roman «Le ciel, Hassan II et Maman France» ? Est ce que vous faites allusion au destin d’une génération entre les deux pays (la France et le Maroc)?
Mohamed Hmoudane : Le titre tire sa justification de la trame même du roman, des évènements qui y sont relatés. Chacun de ces trois éléments, le Ciel, Hassan II et la France, renvoie, mais d’une manière non-linéaire, à une période précise de la vie de Mahmoud, le narrateur et personnage central du roman. Dans la cinquième partie, intitulée justement «Le Ciel, Hassan II», l’on découvre, au fil des pages qui évoquent l’enfance et l’adolescence de Mahmoud au Maroc, comment l’omnipotence divine et la monarchie absolue, incarnée par la figure de Hassan II, tendaient à constituer un seul bloc. Comme par un jeu de miroirs, le «monarque de droit divin» (sans compter ses multiples avatars) semblait refléter le Ciel, et vice versa. Les deux se faisaient pesants, menaçants et liberticides.
Sans doute, était-ce à cause de ce climat asphyxiant qui prévalait alors au Maroc que Mahmoud décidait de partir pour la France, terre d’accueil plus clémente, où il faisait bon vivre ?
La France, idée abstraite plus qu’autre chose dans l’esprit de Mahmoud, se mue, parce qu’il fallait la personnifier, en «mère adoptive». D’où le sobriquet «Maman France» qu’on rencontre dès la première partie du roman, intitulée «Papelards». C’est Walid, ami d’enfance de Mahmoud, étudiant marocain en France, devenu «sans-papiers», qui, le premier, attribue à la France ce côté maternel, en déclarant, déguisé alors en juif orthodoxe pour échapper, pensait-il, aux contrôles de police : «Maman France, mon pote, en a trop sur la conscience pour oser lâcher ses pitbulls sur un Hassidim!»
Vite, l’on se rend compte que cette «mère adoptive» est en fait une sorte de «mère fouettarde», autoritaire et acariâtre. Mais Dieu merci ! Mahmoud, après tant d’années de rapports tumultueux avec sa chère «Maman», se résout à «tourner la page», à «dissiper les malentendus» et à «sceller définitivement la conciliation avec elle», en devenant citoyen français.
Le roman retrace-t-il le destin de toute une génération ?
A aucun moment, je ne me suis préoccupé de cette question. Maintenant, si des lecteurs se reconnaissent dans les péripéties de Mahmoud, j’en serai ravi. Cela voudrait dire que le roman est «vivant» et que, par conséquent, j’ai réussi en quelque sorte mon pari.
Ce roman, est-ce le récit de votre vie, une sorte d’autobiographie?
Un roman est, par définition, une œuvre de fiction et je ne vois pas pourquoi «Le Ciel, Hassan II et Maman France», qui, faut-il le rappeler, en est un, dérogerait à cette règle. Il me fallait créer des personnages, les mettre en rapport les uns avec les autres et imaginer des situations. Mahmoud, le narrateur et «héros» du roman, demeure, à l’instar des autres protagonistes, un personnage de fiction, fabriqué de toutes pièces. Il n’a d’existence qu’au sein de ce roman, une existence évanescente, inconsistante. Ce n’est pas moi et, par conséquent, le roman ne saurait être le récit de ma vie. «Moi, j’écoute. J’observe. Je grave tout dans ma cervelle…Un jour, je ferai de vous deux les héros d’un roman. Vous y tiendrez le haut de l’affiche, je vous le promets!», dit Mahmoud à ces deux amis Walid et Boualem. Promesse tenue!
L’enjeu est en effet ailleurs que dans la «célébration autobiographique». Il consiste à «dépeindre», même si c’est par touches, comme autant de travellings, à la fois un certain Maroc, le Maroc démuni et laissé pour comptes et une France qui «en a assez d’être une poubelle» et qui tend de plus en plus à devenir un Etat policier, sécuritaire. L’enjeu est également, et surtout, d’ordre formel : le défi à relever était pour moi de parvenir à l’écriture d’un récit non-linéaire sans pour autant en sacrifier la cohérence, trouver une langue à la mesure de l’enjeu, au service de la stratégie de démontage en œuvre dans le roman - une langue qui ne soit pas châtiée et molle, une langue acerbe et sans concessions (le ton, on ne manquera pas de le remarquer, est souvent ironique et l’attaque, frontale) et enfin, mettre en place une narration polyphonique où ma voix se mêle parfois à la chorale, sans que ce glissement d’une voix à l’autre, d’un «je» à l’autre, ne se fasse forcément ressentir.
Peut-on dire que votre roman est réaliste ? Avez-vous un modèle d’écrivain ?
En tant qu’écrivain marocain pourquoi le choix d’écrire en français, c’est un «butin de guerre» comme l’a dit Kateb Yacine ?
Je me suis efforcé à ce que les événements rapportés dans le roman collent, à quelques exceptions près, au réel pour que le lecteur ait l’impression qu’on lui raconte la «vérité» et rien que la «vérité». Par jeu et pour l’induire en erreur, «je» dit à un moment : «Je n’invente rien, — je ne manque pas pour autant d’imagination, seulement mon esprit se refuse à «affabuler une intrigue» — je ne fais que raconter des faits avérés, et ce qui vaut pour cette partie, vaut pour tout le reste du roman. Même si en fin de compte les faits avérés, une fois passés par le filtre des mots, finissent par acquérir de quelque manière un caractère fictionnel».
Cela fait-il de ce livre un roman réaliste ?
Sans rabâcher mes vieux cours d’université, sans m’attarder sur les conventions du «Roman réaliste», je dirai que la réponse est, de toute évidence, non ! La fantaisie est en œuvre à différents moments du roman. Je songe par exemple au personnage Abou Qodaïb, supposé islamiste, et à sa saga sanguinaire. A la scène qui clôt les «amours homosexuelles» entre Walid et Mikaël, le sosie de l’écrivain Houellebecq. Aux «Nique la police» tagués, sur les murs de Saint-Denis, dans mille couleurs chatoyantes saupoudrées de paillettes dorées. A Walid et son «caniche toy» ou encore à Boualem, communiste «déchu», qui s’autoproclame «roi des Khoroto», dans une sorte de parodie du Pouvoir absolu !
Fantaisie certes mais fantaisie nécessaire, salutaire ! Car, c’est là un moyen qui me permet de tourner en dérision certains discours et pratiques de plus en plus banalisés en France : l’islamophobie, la violence policière faite à une certaine catégorie de la population dans la périphérie des grandes villes, les harangues d’intellectuels pseudo-humanistes, etc. «Maman France», qu’elle soit représentée en «vieille nonne sodomisée par le Général», en «Duchesse balladurienne» ou encore en «Sarkozette agitée», en prend plein la gueule mais le Maroc n’est pas épargné non plus ! A travers le récit qu’il fait de son petit séjour à Marrakech, Mahmoud met en lumière quelques contradictions, et pas des moindres, dans lesquelles le pays ne cesse de patauger. La pornographisation politique, l’assentiment à la domesticité, à l’asservissement, la marchandisation des corps, la makhzénisation des esprits, les prétendues «modernité» et «laïcité» des uns, l’arrivisme des autres, etc. Réalités que mille et un fumigènes n’arrivent pas hélas à voiler !
Passés au crible également, le long de certains épisodes, et toujours avec la même verve fantaisiste, les écrivains suffisants, tel ce Keddab qui se pavane dans un salon du livre, les poètes égocentriques et les pseudo-artistes ambitieux tel Walid qui, obligé d’un nabab, s’est lancé dans une carrière d’artiste peintre.
Ai-je un modèle d’écrivain ? Non, malheureusement ! Toute honte bue, je dois avouer, au risque de passer pour quelqu’un qui joue du pipeau, que je ne suis pas un grand lecteur. En tout cas, pas un lecteur assidu de romans. Ca m’ennuie ! Toujours est-il, certains écrivains, des poètes en particulier, ont nourri mon esprit et aidé au développement de mon imaginaire.
Venons-en maintenant au choix de la langue ! Pourquoi le français et non pas, sous entendu, l’arabe ? La langue française, est-elle, pour moi, un «butin de guerre» ?
Le malheur de l’ «écrivain maghrébin d’expression française» est qu’il passe son temps à se justifier ! Un écrivain de renom me disait l’autre jour, sans que je lui demande quoi que ce soit, que si les écrivains de sa génération écrivaient en français, c’est qu’ils ne connaissaient pas l’arabe. «Mais vous autres, hein ?», continua-t-il, en me grondant presque ! Perplexe, je ne savais pas si je devais le plaindre ou lui demander pardon !
Pour faire court, je dirai que rien ne me prédestinait à écrire — déjà — en arabe et encore moins en français, langue qui, on le sait, pour le cas du Maroc, reste l’apanage d’une certaine classe sociale qui est à des années-lumière de celle dont je suis issu. Alors, me poser des questions de cet ordre relèverait tout simplement du luxe.
Oui, j’écris en français, un français non complaisant et loin d’être docile, et ce choix-là, je l’assume pleinement comme je n’ai pas à le justifier.
Pourquoi avez-vous choisi le récit pour vous exprimer au lieu de la poésie ? Est-ce que cela vous donne plus de liberté que la poésie ? Ou bien la forme comme la langue, s’impose-t-elle au créateur?
Qu’il s’agisse du roman ou de la poésie, je m’exprime toujours avec la même liberté de ton. Je ne m’impose jamais des lignes rouges. Je me sens, pour ainsi dire, à l’aise dans les deux genres. Reste que, dirai-je pour schématiser, chacune des deux formes offre des possibilités que l’autre ne peut pas offrir. La poésie me permet de m’exprimer d’une manière fulgurante, lapidaire, saccadée. Avec le roman, je prends le temps d’essarter le terrain, de cheminer plus lentement. Toutefois, je fais souvent dans le «mélange des genres». Mes livres, y compris ce dernier roman, sont comme autant de laboratoires. Dans Blanche Mécanique, recueil publié à La Différence en 2005, certains poèmes présentent un caractère nettement narratif, dans Parole prise, parole donnée (La Différence, 2007), on assiste à un déferlement choral où vers et prose s’alternent et French Dream (La Différence, 2005, Tarik Editions 2010), ouvrage estampillé «roman», est traversé de long en large de poèmes.
Vous sentez-vous plus proche de Chraïbi ou de Khair-eddine ?
On me compare souvent à Khair-Eddine depuis que Salim Jay a écrit, dans son Dictionnaire, que certains de mes textes font de moi «une sorte de fils naturel de Khair-Eddine» et beaucoup s’étonnent de ne pas me voir sauter de joie, de ne pas m’entendre crier sur les toits, comme tout être «normalement constitué» : «Alléluia! Je suis le nouveau Khair-Eddine !», d’autant que, par un «heureux hasard», Salim Jay répondait indirectement à Abdellatif Laâbi qui déclarait, dans un entretien accordé à Al Quds Al Arabi à l’occasion de la parution de son Anthologie, qu’en matière de «poésie marocaine de langue française , rien qui vaille la peine ne s’est produit depuis Souffles !»
Est-ce pour autant que je dois me sentir plus proche de Khair-Eddine que de Chraïbi ?
De l’œuvre de Khair-Eddine, je n’ai malheureusement lu que des fragments et ce n’est qu’après coup, c’est-à-dire après la parution du Dictionnaire de Salim Jay. Quant à Driss Chraïbi, je ne connais pas, non plus, profondément son œuvre. Je ne me sens donc, parce que je n’ai pas vraiment lu ces deux grands écrivains, proche ni de l’un ni de l’autre. Soutenir le contraire relèverait de la supercherie et de la malhonnêteté intellectuelle.
Comment vous définissez-vous? Ecrivain de l’immigration ? Ecrivain marocain exilé en France?
Si je devais me définir, je dirai que je suis écrivain, point à la ligne ! Je refuse de me confiner dans des catégorisations. A lire profondément French Dream ou ce dernier roman — et laissons de côté mes ensembles poétiques — on se rendra compte que ce ne sont pas des livres sur l’immigration. Certes, elle est présente comme thématique dans les romans et dans certains poèmes, mais elle ne joue en fin de compte qu’un rôle d’arrière-plan, un fond sur lequel viennent se greffer des intrigues. En tout cas, je n’ai pas la prétention de traiter en profondeur les problématiques qui en sont liées. Par contre, et j’insiste là-dessus, bousculer des habitudes de lecture et des certitudes, en expérimentant des choses, créer un style qui me soit propre, trouver une langue, comme disait Rimbaud, bref, faire un travail d’écrivain, voilà mes vraies préoccupations.
Quel regard portez-vous sur l’immigration marocaine en France ?
L’immigration marocaine en France est, me semble-t-il, en permanente mutation ; c’est là un sujet épineux et si complexe qu’il faut être un spécialiste de la question pour ne pas raconter n’importe quoi. Et comme je n’en suis pas un, je préfère me taire!
Libé : Pourquoi le choix de ce titre pour votre roman «Le ciel, Hassan II et Maman France» ? Est ce que vous faites allusion au destin d’une génération entre les deux pays (la France et le Maroc)?
Mohamed Hmoudane : Le titre tire sa justification de la trame même du roman, des évènements qui y sont relatés. Chacun de ces trois éléments, le Ciel, Hassan II et la France, renvoie, mais d’une manière non-linéaire, à une période précise de la vie de Mahmoud, le narrateur et personnage central du roman. Dans la cinquième partie, intitulée justement «Le Ciel, Hassan II», l’on découvre, au fil des pages qui évoquent l’enfance et l’adolescence de Mahmoud au Maroc, comment l’omnipotence divine et la monarchie absolue, incarnée par la figure de Hassan II, tendaient à constituer un seul bloc. Comme par un jeu de miroirs, le «monarque de droit divin» (sans compter ses multiples avatars) semblait refléter le Ciel, et vice versa. Les deux se faisaient pesants, menaçants et liberticides.
Sans doute, était-ce à cause de ce climat asphyxiant qui prévalait alors au Maroc que Mahmoud décidait de partir pour la France, terre d’accueil plus clémente, où il faisait bon vivre ?
La France, idée abstraite plus qu’autre chose dans l’esprit de Mahmoud, se mue, parce qu’il fallait la personnifier, en «mère adoptive». D’où le sobriquet «Maman France» qu’on rencontre dès la première partie du roman, intitulée «Papelards». C’est Walid, ami d’enfance de Mahmoud, étudiant marocain en France, devenu «sans-papiers», qui, le premier, attribue à la France ce côté maternel, en déclarant, déguisé alors en juif orthodoxe pour échapper, pensait-il, aux contrôles de police : «Maman France, mon pote, en a trop sur la conscience pour oser lâcher ses pitbulls sur un Hassidim!»
Vite, l’on se rend compte que cette «mère adoptive» est en fait une sorte de «mère fouettarde», autoritaire et acariâtre. Mais Dieu merci ! Mahmoud, après tant d’années de rapports tumultueux avec sa chère «Maman», se résout à «tourner la page», à «dissiper les malentendus» et à «sceller définitivement la conciliation avec elle», en devenant citoyen français.
Le roman retrace-t-il le destin de toute une génération ?
A aucun moment, je ne me suis préoccupé de cette question. Maintenant, si des lecteurs se reconnaissent dans les péripéties de Mahmoud, j’en serai ravi. Cela voudrait dire que le roman est «vivant» et que, par conséquent, j’ai réussi en quelque sorte mon pari.
Ce roman, est-ce le récit de votre vie, une sorte d’autobiographie?
Un roman est, par définition, une œuvre de fiction et je ne vois pas pourquoi «Le Ciel, Hassan II et Maman France», qui, faut-il le rappeler, en est un, dérogerait à cette règle. Il me fallait créer des personnages, les mettre en rapport les uns avec les autres et imaginer des situations. Mahmoud, le narrateur et «héros» du roman, demeure, à l’instar des autres protagonistes, un personnage de fiction, fabriqué de toutes pièces. Il n’a d’existence qu’au sein de ce roman, une existence évanescente, inconsistante. Ce n’est pas moi et, par conséquent, le roman ne saurait être le récit de ma vie. «Moi, j’écoute. J’observe. Je grave tout dans ma cervelle…Un jour, je ferai de vous deux les héros d’un roman. Vous y tiendrez le haut de l’affiche, je vous le promets!», dit Mahmoud à ces deux amis Walid et Boualem. Promesse tenue!
L’enjeu est en effet ailleurs que dans la «célébration autobiographique». Il consiste à «dépeindre», même si c’est par touches, comme autant de travellings, à la fois un certain Maroc, le Maroc démuni et laissé pour comptes et une France qui «en a assez d’être une poubelle» et qui tend de plus en plus à devenir un Etat policier, sécuritaire. L’enjeu est également, et surtout, d’ordre formel : le défi à relever était pour moi de parvenir à l’écriture d’un récit non-linéaire sans pour autant en sacrifier la cohérence, trouver une langue à la mesure de l’enjeu, au service de la stratégie de démontage en œuvre dans le roman - une langue qui ne soit pas châtiée et molle, une langue acerbe et sans concessions (le ton, on ne manquera pas de le remarquer, est souvent ironique et l’attaque, frontale) et enfin, mettre en place une narration polyphonique où ma voix se mêle parfois à la chorale, sans que ce glissement d’une voix à l’autre, d’un «je» à l’autre, ne se fasse forcément ressentir.
Peut-on dire que votre roman est réaliste ? Avez-vous un modèle d’écrivain ?
En tant qu’écrivain marocain pourquoi le choix d’écrire en français, c’est un «butin de guerre» comme l’a dit Kateb Yacine ?
Je me suis efforcé à ce que les événements rapportés dans le roman collent, à quelques exceptions près, au réel pour que le lecteur ait l’impression qu’on lui raconte la «vérité» et rien que la «vérité». Par jeu et pour l’induire en erreur, «je» dit à un moment : «Je n’invente rien, — je ne manque pas pour autant d’imagination, seulement mon esprit se refuse à «affabuler une intrigue» — je ne fais que raconter des faits avérés, et ce qui vaut pour cette partie, vaut pour tout le reste du roman. Même si en fin de compte les faits avérés, une fois passés par le filtre des mots, finissent par acquérir de quelque manière un caractère fictionnel».
Cela fait-il de ce livre un roman réaliste ?
Sans rabâcher mes vieux cours d’université, sans m’attarder sur les conventions du «Roman réaliste», je dirai que la réponse est, de toute évidence, non ! La fantaisie est en œuvre à différents moments du roman. Je songe par exemple au personnage Abou Qodaïb, supposé islamiste, et à sa saga sanguinaire. A la scène qui clôt les «amours homosexuelles» entre Walid et Mikaël, le sosie de l’écrivain Houellebecq. Aux «Nique la police» tagués, sur les murs de Saint-Denis, dans mille couleurs chatoyantes saupoudrées de paillettes dorées. A Walid et son «caniche toy» ou encore à Boualem, communiste «déchu», qui s’autoproclame «roi des Khoroto», dans une sorte de parodie du Pouvoir absolu !
Fantaisie certes mais fantaisie nécessaire, salutaire ! Car, c’est là un moyen qui me permet de tourner en dérision certains discours et pratiques de plus en plus banalisés en France : l’islamophobie, la violence policière faite à une certaine catégorie de la population dans la périphérie des grandes villes, les harangues d’intellectuels pseudo-humanistes, etc. «Maman France», qu’elle soit représentée en «vieille nonne sodomisée par le Général», en «Duchesse balladurienne» ou encore en «Sarkozette agitée», en prend plein la gueule mais le Maroc n’est pas épargné non plus ! A travers le récit qu’il fait de son petit séjour à Marrakech, Mahmoud met en lumière quelques contradictions, et pas des moindres, dans lesquelles le pays ne cesse de patauger. La pornographisation politique, l’assentiment à la domesticité, à l’asservissement, la marchandisation des corps, la makhzénisation des esprits, les prétendues «modernité» et «laïcité» des uns, l’arrivisme des autres, etc. Réalités que mille et un fumigènes n’arrivent pas hélas à voiler !
Passés au crible également, le long de certains épisodes, et toujours avec la même verve fantaisiste, les écrivains suffisants, tel ce Keddab qui se pavane dans un salon du livre, les poètes égocentriques et les pseudo-artistes ambitieux tel Walid qui, obligé d’un nabab, s’est lancé dans une carrière d’artiste peintre.
Ai-je un modèle d’écrivain ? Non, malheureusement ! Toute honte bue, je dois avouer, au risque de passer pour quelqu’un qui joue du pipeau, que je ne suis pas un grand lecteur. En tout cas, pas un lecteur assidu de romans. Ca m’ennuie ! Toujours est-il, certains écrivains, des poètes en particulier, ont nourri mon esprit et aidé au développement de mon imaginaire.
Venons-en maintenant au choix de la langue ! Pourquoi le français et non pas, sous entendu, l’arabe ? La langue française, est-elle, pour moi, un «butin de guerre» ?
Le malheur de l’ «écrivain maghrébin d’expression française» est qu’il passe son temps à se justifier ! Un écrivain de renom me disait l’autre jour, sans que je lui demande quoi que ce soit, que si les écrivains de sa génération écrivaient en français, c’est qu’ils ne connaissaient pas l’arabe. «Mais vous autres, hein ?», continua-t-il, en me grondant presque ! Perplexe, je ne savais pas si je devais le plaindre ou lui demander pardon !
Pour faire court, je dirai que rien ne me prédestinait à écrire — déjà — en arabe et encore moins en français, langue qui, on le sait, pour le cas du Maroc, reste l’apanage d’une certaine classe sociale qui est à des années-lumière de celle dont je suis issu. Alors, me poser des questions de cet ordre relèverait tout simplement du luxe.
Oui, j’écris en français, un français non complaisant et loin d’être docile, et ce choix-là, je l’assume pleinement comme je n’ai pas à le justifier.
Pourquoi avez-vous choisi le récit pour vous exprimer au lieu de la poésie ? Est-ce que cela vous donne plus de liberté que la poésie ? Ou bien la forme comme la langue, s’impose-t-elle au créateur?
Qu’il s’agisse du roman ou de la poésie, je m’exprime toujours avec la même liberté de ton. Je ne m’impose jamais des lignes rouges. Je me sens, pour ainsi dire, à l’aise dans les deux genres. Reste que, dirai-je pour schématiser, chacune des deux formes offre des possibilités que l’autre ne peut pas offrir. La poésie me permet de m’exprimer d’une manière fulgurante, lapidaire, saccadée. Avec le roman, je prends le temps d’essarter le terrain, de cheminer plus lentement. Toutefois, je fais souvent dans le «mélange des genres». Mes livres, y compris ce dernier roman, sont comme autant de laboratoires. Dans Blanche Mécanique, recueil publié à La Différence en 2005, certains poèmes présentent un caractère nettement narratif, dans Parole prise, parole donnée (La Différence, 2007), on assiste à un déferlement choral où vers et prose s’alternent et French Dream (La Différence, 2005, Tarik Editions 2010), ouvrage estampillé «roman», est traversé de long en large de poèmes.
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Comment vous définissez-vous? Ecrivain de l’immigration ? Ecrivain marocain exilé en France?
Si je devais me définir, je dirai que je suis écrivain, point à la ligne ! Je refuse de me confiner dans des catégorisations. A lire profondément French Dream ou ce dernier roman — et laissons de côté mes ensembles poétiques — on se rendra compte que ce ne sont pas des livres sur l’immigration. Certes, elle est présente comme thématique dans les romans et dans certains poèmes, mais elle ne joue en fin de compte qu’un rôle d’arrière-plan, un fond sur lequel viennent se greffer des intrigues. En tout cas, je n’ai pas la prétention de traiter en profondeur les problématiques qui en sont liées. Par contre, et j’insiste là-dessus, bousculer des habitudes de lecture et des certitudes, en expérimentant des choses, créer un style qui me soit propre, trouver une langue, comme disait Rimbaud, bref, faire un travail d’écrivain, voilà mes vraies préoccupations.
Quel regard portez-vous sur l’immigration marocaine en France ?
L’immigration marocaine en France est, me semble-t-il, en permanente mutation ; c’est là un sujet épineux et si complexe qu’il faut être un spécialiste de la question pour ne pas raconter n’importe quoi. Et comme je n’en suis pas un, je préfère me taire!