Les politiques d’immigration prônées par les pays de l’Union européenne sont d’une extrême complexité. N’empêche que les
restrictions et le contrôle rigoureux démontrent que les droits de l’Homme,
la tolérance et l’ouverture sont les derniers soucis des politiciens de l’UE. En revanche, ceux-ci protègent souvent des régimes africains dictatoriaux tant que ces derniers soutiennent les intérêts économiques, pétroliers et autres de l’un des pays de l’UE. Heureusement, tous les députés européens ne
partagent pas des points de vue identiques et critiquent sans la moindre ambiguïté les politiques européennes d’émigration en vigueur. Entretien avec Mme Lale Akgün, députée au Parlement allemand.
Libé : Comment évaluez-vous la politique européenne d’immigration ?
Lale Akgün: Pour l’instant, il n’y a pas de politique commune de l’émigration en Europe. Ce sont toujours des politiques nationales et l’Europe essaie avec Frontex de mettre en place une sorte d’agence pour protéger ses frontières extérieures. J’ai personnellement de grands problèmes avec Frontex qui ne respecte pas toujours les droits de l’Homme ainsi que les droits des émigrés et des réfugiés. Frontex essaie par des méthodes draconiennes de repousser les émigrés au-delà de certains milles pour ne pas être obligé de les accueillir en Europe. Je ne suis pas la seule qui pense ainsi, de nombreuses organisations des droits de l’Homme critiquent systématiquement les méthodes de Frontex.
En ce qui concerne les différentes politiques d’immigration en place, les différents pays tentent de mettre en œuvre une politique qui doit garantir la migration vers l’Europe des forces les plus compétentes. Cela peut paraître légitime pour un pays d’immigration mais ne peut se faire, finalement que sur le dos des pays émetteurs de migrants. Nous devons, donc, veiller à ce qu’il y ait une répartition équitable, à savoir que les pays d’origine qui ont formé ces jeunes peuvent aussi bénéficier de leur savoir-faire. Le Ghana, à titre d’exemple, souffre d’une pénurie de médecins alors que des médecins ghanéens travaillent aux USA ou en Suède.
Etes-vous pour ou contre l’immigration sélective, d’autant plus qu’on demande au Maroc de jouer le gendarme de l’Europe alors que les Marocains ont contribué à la construction des économies de l’Europe ?
Il est vrai que les pays d’accueil ne peuvent accepter un émigré que dans le cadre d’un système bien défini, tel que le système de points mis en place au Canada ou encore le système australien qui définit le quota dont ce pays a besoin. C'est-à-dire le quota des professions requises. Cela dit, la migration ne peut pas être la solution des problèmes socio-économiques du monde. Cela signifie qu’il faut régler les problèmes socio-économiques dans ces pays. La coopération dans ce sens est extrêmement importante. De ce fait, la coopération et l’aide économiques doivent être les deux facettes de la même médaille.
Ne croyez-vous pas qu’il soit nécessaire de changer les approches appliquées jusqu’alors et d’opter peut-être pour le co-développement par exemple ?
Je dois reconnaître que je n’ai pas encore posé de questions sous l’angle du co-développement, mais cette approche a, semble-t-il, les fondements de sa légitimité. C’est une perspective justifiée pour les pays du Tiers-monde, notamment ceux émetteurs d’émigrants.
Le Maroc n’est pas seulement un pays émetteur d’immigrants, c’est aussi un pays de transit notamment pour les émigrés en provenance de l’Afrique subsaharienne.
Est-il raisonnable qu’il gère à lui seul cette situation ?
On constate une baisse significative des immigrants qui transitent par le Maroc pour aller vers l’Europe. Les chiffres auraient baissé de 90% pour les pateras qui débarquent en Espagne à partir du Maroc. N’empêche que beaucoup de Subsahariens arrivent toujours au Maroc.
L’Union européenne exerce des pressions énormes sur le Maroc pour qu’il accepte d’accueillir les Subsahariens dans des camps aménagés à cette fin. Qu’en pensez-vous ?
Il y a une coopération entre le Maroc et l’Union européenne. L’opinion publique n’appuie pas forcément le rôle joué par le Royaume, ce que je comprends. Mais je ne suis pas l’avocate de l’Union européenne qui doit assumer sa part de responsabilité et réfléchir à de nouvelles voies. Nous venons d’apprendre que dans les prochaines vingt années, il y aura plus d’un milliard deux cent millions d’habitants en Afrique subsaharienne dont près de la moitié vivra sous le seuil de pauvreté. C’est un défi pour l’Europe mais aussi pour le Maroc. Mais je ne pense pas que le Royaume joue actuellement le rôle du gendarme. C’est un maillon actif et agissant dans cette politique.
Que pensez-vous des demandes d’ouverture au Maroc de centres de réadmission des immigrés interceptés en Europe ?
L’idée que le Maroc soit le premier front de l’Union européenne existe depuis des années. Si le Maroc subit des pressions, on pense qu’en Europe on ne devrait pas se simplifier la vie non plus. Octroyer des fonds au Maroc est loin de régler le problème. En somme, si nous voulons mettre en œuvre une politique d’un monde juste, nous devons assumer notre responsabilité. On ne peut pas se contenter de dire au Maroc d’assumer ses tâches parce qu’il a une position géographique idéale. Je ne pense pas que l’Europe doit assumer la responsabilité de l’Afrique sub-saharienne. On ne peut pas non plus dire que la situation est bonne en Europe et qu’il suffit de consolider notre citadelle pour pouvoir vivre en toute quiétude. On ne pourra jamais marcher selon cette approche.
L’Union européenne a accordé dernièrement au Maroc le Statut avancé. Cela concerne évidemment les biens et services ainsi que les ressources humaines hautement qualifiées. Or, en ce qui concerne le déplacement des Marocains vers l’UE, les conditions sont devenues plus draconiennes qu’auparavant. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que le Statut avancé accordé au Maroc est plus important pour l’Union européenne. Hormis l’adhésion à part entière, il y a d’autres formes de coopération. Nous considérons que le Maroc est un excellent exemple montrant comment l’UE peut travailler avec un partenaire sans que ce dernier soit membre de l’Union européenne.
Ne pensez-vous pas que la question d’immigration soit exploitée à fond pour des raisons souvent électoralistes ?
Vous savez, nous sommes avant tout des hommes et des femmes élus. Nous représentons une masse électorale. Nous devons, donc, mener une politique acceptée par nos électeurs et il y a beaucoup de citoyens allemands qui sont d’accord pour donner une nouvelle dynamique à notre coopération avec l’Afrique en général et le Maroc en particulier, et ce dans des domaines différents. Cela dit, je pense que l’acceptation de la migration en Europe a atteint ses limites du fait qu’il y a un sentiment chez les citoyens européens qu’il y a beaucoup de changements en rapport avec les flux migratoires. En Allemagne, à titre d’exemple, 15 millions d’habitants sont issus de l’émigration. C’est un chiffre important. Je pense que si nous poursuivons, dans l’avenir, la politique de frontières ouvertes, nos électeurs n’accepteront pas cette situation.
Parce qu’aujourd’hui, vous menez une politique de frontières ouvertes ?
J’ai seulement voulu dire que nous avons toujours essayé de diriger, de bien contrôler les flux migratoires et de scinder deux choses : la migration de travail et l’asile. Pour ce qui est de l’asile politique, il est ouvert à quiconque se sentant poursuivi ou persécuté dans son pays. Aujourd’hui, nous avons introduit de nouveaux éléments en faveur de la femme car au-delà des persécutions politiques, il y a celles qui sont spécifiques aux femmes. Pour ce qui est de la migration de travail, elle doit prendre en considération les intérêts du pays récepteur.
Mais cela ne signifie pas que cela doit se faire au détriment des pays d’origine. Il faut une répartition équitable des tâches. Les pays d’origine doivent aussi assumer leurs responsabilités. Je suis, toutefois, convaincue que la gestion de la problématique de la migration nécessite impérativement un dialogue sérieux, continu et responsable entre les pays émetteurs et récepteurs des émigrés.