La recrudescence notable de violence familiale dans les différentes régions du Maroc vient d’être attestée par trois faits divers. De celui qui tue son père à celui qui frappe violemment sa mère en passant par celui qui a failli commettre un parricide doublé de fratricide, cette semaine a connu des remous et malheurs à outrance dans différentes villes du Royaume (voir ci-contre encadré pour les détails. Ames sensibles s’abstenir).
Ces constats alarmants ont permis de porter sur le pavois les affres des parents persécutés par leur chair et leur sang. Et si par chance, certains sont écroués par les parquets, d’autres sont encore tapis dans l’ombre parce que, justement, ce ne sont que quelques histoires de famille, au final, qui atterrissent aux postes de police. D’aucuns suggéreront des opérations de sensibilisation qui auront le double mérite de briser le silence et de cibler les actions à entreprendre. Des opérations qui permettront de lever le voile sur des aspects relevant jusque-là du domaine du latent.
En attendant et au gré de l’habitude de voir des sondages qui nous renseignent sur la situation des personnes âgées au Maroc ainsi que le rôle du gouvernement dans leur soutien, il n’est pas superflu de tirer chapeau au Haut commissariat au plan qui a donné le la, dans son Enquête nationale sur les personnes âgées au Maroc (ENPA) datant de 2006, en relevant de pertinentes prévisions pour au-delà même de 2030 et en annonçant des signes précurseurs. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, ce rapport avait déjà fait mention d’une relation parent /enfant pas vraiment au beau fixe. En effet, l’analyse montre que les personnes âgées restent menacées par des sentiments de solitude et d’insécurité : 63,2% déclaraient souffrir de la solitude et 4,8% des personnes âgées se sentaient en insécurité à l’intérieur du foyer avec un taux de 5,3% en milieu urbain et 4,1% en milieu rural.
Et comme un malheur ne vient jamais seul, au Maroc, les personnes âgées subissant déjà la double menace des maladies de la sénilité et les maladies infectieuses non encore éradiquées (30,7% sont incapables d’effectuer des tâches de la vie quotidienne; 86,7% des personnes âgées n’ont aucune couverture médicale - 77,6% dans l’urbain et 96,8% dans le rural - et 62,8% des femmes et 55,1% des hommes malades n’accèdent pas aux soins de santé par manque de moyens matériels), doivent également affronter la menace récurrente de leur progéniture.
Toujours selon les projections démographiques du HCP, les effectifs des personnes âgées deviendraient 5,8 millions en 2030. Elles représenteraient 15,4% de la population totale à cet horizon, soit le double du niveau actuel. Et en 2050, le Maroc en comptera 10 millions, soit un accroissement annuel de 3,3% (contre 0,6% pour l’ensemble de la population du Maroc). Il en ressort ainsi que si le vieillissement est inéluctable sur le plan démographique, il importe d’en relativiser les implications sociales et économiques. «Mais quid de l’avenir incertain de cette frange fragilisée de la société ? », telle est la question qui taraude cette population âgée qui finalement n’aspire qu’à quitter cette terre aussi dignement que possible.
La solidarité familiale ne
se porte pas bien au Maroc
En fait et sans vouloir jouer les Cassandre, si les données de cette enquête révèlent une certaine solidarité entre les générations et que les personnes âgées sont loin d’être livrées à elles-mêmes ou abandonnées par leurs enfants et proches, pour certains cas, leur relation est sujette à caution et bat tout de même de l’aile. Certes les enfants vivent encore avec leurs parents mais à quelles visées et fins et aux dépends de quoi ? De sévères diatribes à être à couteaux tirés en passant par un bras de fer permanent, tel est le quotidien et le lot de plusieurs citoyens dont la solidarité familiale ne se porte pas bien au Maroc. La gravité des comportements violents des descendants peut changer énormément, allant d’actes mineurs à plus graves. Les parents doivent ainsi étudier le comportement de leurs progénitures et déterminer s’il est acceptable ou s’il est devenu violent. En règle générale, les facteurs de risque d’apparition de la maltraitance sont liés à la personne âgée (selon le degré de dépendance physique ou psychique, les états démentiels, la situation financière, ou encore l’isolement social); à la situation familiale au sein de laquelle la personne âgée évolue (alcoolisme, toxicomanie, problèmes financiers, fragilité psychologique, antécédents de violence familiale ou encore épuisement physique et nerveux des enfants qui s’occupent de la personne âgée) et last but not the least, à l’infrastructure du lieu de vie (locaux trop exigus ou inadaptés).
C’est dire que le constat de la condition de victimes se trouvant dans tel bourbier montre outre un vif recul de la solidarité familiale, une quasi absence d’action publique et associative efficace pour soutenir cette population vulnérable.
En effet, des experts en le domaine tirent la sonnette d’alarme et rappellent que pour subvenir aux besoins de cette frange de population, le gouvernement et la société civile devraient œuvrer de concert afin de trouver des solutions à la fois en termes de famille et de moyens. Leurs efforts devraient s’intensifier avant qu’une grande partie de cette population ne se retrouve dans la rue ou dans le cimetière dans certains cas d’espèce.
Très vite, les questions achoppent sur la place réelle accordée actuellement aux personnes âgées dans la politique du gouvernement?
Jusqu’à quelle mesure, les Organisations non gouvernementales agissant dans le domaine social, participent à l’amélioration des conditions de vie de cette population ? Les réponses semblent se pencher sur le proverbe qui dit : aux grands maux les grands remèdes.
«La place des personnes âgées revêt une grande importance au Maroc et leur nombre a également augmenté, mais cette évolution crée des problèmes notamment de logement, de vie, de santé et de divertissement. Parce qu’il faut souligner qu’une grande partie de ces personnes ne touche aucune retraite et se retrouve démunie de toute entrée d’argent, surtout lorsqu’aucun membre de leur famille ne les prend en charge», avait affirmé, se souvient-on il y a deux ans, Ahmed Addioui, président de l’Association pour la protection des personnes âgées au Maroc (ESPAM) à la presse à l’occasion de la Journée internationale des personnes âgées.
De fil en aiguille, un constat indéniable qui ne date pas d’aujourd’hui vient ajouter son grain de sel : avec un taux de chômage avancé des jeunes et un Maroc qui connaît un stade avancé de la transition démographique avec une espérance de vie dépassant les 72 ans et une fécondité de 2,2 enfants par femme, qui prendra en charge ces personnes qui sont, il est vrai, en terme de parcours mais qui ont donné, pour plusieurs d’entre eux, de leur dur labeur à ce pays ? C’est dire que cette transition a son revers, car le processus du vieillissement de la population qui en est le corollaire se profile à l’horizon avec ses multiples implications. Sachant, chiffres du HCP à l’appui, que seuls 16% des Marocains âgés perçoivent une retraite tandis que les autres doivent compter sur le soutien de leurs familles et de l’Etat !
Et l’on imagine mal comment justement les pouvoirs publics peuvent se défausser face à ce qui se déroule ! A fortiori quand plusieurs enfants, aigris par les difficultés de leur condition sociale (chômage, problèmes de drogue, pauvreté…) s’acharnent sur leurs ascendants, en leur témoignant plus de fiel que de miel, dira-t-on, oubliant par ricochet les préceptes de notre religion et tradition ancestrale d’être bienfaisants envers ses père et mère.
Haro sur les
comportements violents
En revanche, pour mettre du baume au cœur des victimes se trouvant dans ce genre de nasse et quant à la justice dans ce bas monde, des solutions, certes drastiques, existent. En effet, les comportements violents ne devraient pas être tolérés et la dénonciation dans ce type de cas est plus qu’opportune.
C’est là où le Code pénal marocain intervient pour jouer son rôle de garde-fou. Ainsi, ce dernier stipule dans son article 396 qu’en cas de guet-apens : quiconque donne intentionnellement la mort à son père, à sa mère ou à tout autre ascendant est coupable de parricide et puni de la peine de mort. Et quiconque porte des coups volontairement ou cause des blessures à l’un de ses ascendants, à son kafil ou à son époux, est puni dans les cas et selon les distinctions prévues aux articles 400 et 401, du double des peines édictées auxdits articles à savoir (en cas de préméditation ou guet-apens ou emploi d’une arme, la peine est l’emprisonnement de six mois à deux ans et l’amende de 120 à 1 000 dirhams. Et toujours dépendant d’une incapacité supérieure à vingt jours, la peine est l’emprisonnement de deux à cinq ans et l’amende de 250 à 2 000 dirhams.).
Si pour devenir plus convaincant, il est nécessaire de rappeler que le coupable peut, ainsi, être jugé pour cinq ans, dix ans voire même, de la réclusion à vingt ans (l’article 402, alinéa 1) et dans le cas prévu à l’alinéa 2 de la réclusion de vingt à trente ans et finalement la réclusion perpétuelle (alinéa 1 de l’article 403).
Dans la foulée, l’on insiste que même en cas de légitime défense, l’article 422 stipule clairement que le parricide n’est jamais excusable.
Troublante lapalissade eu égard à la minorité de plaintes enregistrées, il est plus difficile d’installer des mesures de sécurité avant d’arriver à l’irréversible. L’une des raisons de cette réticence pointée du doigt est que pour les personnes âgées, la négligence de la famille occupe la deuxième place dans l’ordre d’importance des problèmes qu’elles affrontent avec tout le sujet tabou que cela englobe, alors que la violence, qui plus est, pouvant entraîner la mort, doit arriver en tête de liste !
Plusieurs Marocains sont enclins à se dire qu’au train où vont les choses, la fin du monde est proche !