Dr. John, le sorcier vaudou blues de la Nouvelle-Orléans

Personnage picaresque à la voix rauque, qui n'hésitait pas à mélanger l'anglais au patois créole, il a à son actif une trentaine d'albums


Mercredi 12 Juin 2019

Dr. John, le sorcier vaudou blues de la Nouvelle-Orléans
Dr. John, mort jeudi à 77 ans, était une figure emblématique de la scène musicale de la Nouvelle-Orléans, dont il restera comme le sorcier blanc ayant réussi à façonner son propre son, mariant jazz, funk, rock'n roll, boogie-woogie et blues sur des ondes vaudou.
Ce chanteur et musicien dans la grande lignée des pianistes issus du "Big Easy" comme Fats Domino ou Allen Toussaint, a succombé à une crise cardiaque. Il n'était plus apparu en public depuis fin 2017, période où il avait annulé plusieurs concerts.
Né à New Orleans, qui restera sa ville de coeur malgré une riche carrière internationale, Malcolm John Mac Rebennack pour l'état civil, fils d'un père qui fut un temps disquaire, s'est tôt fait son éducation musicale dans une famille où ses grands-parents, oncles et tantes, jouaient du piano.
A l'adolescence au milieu des années 50, il écume déjà les clubs où il fait la rencontre des grands de l'époque comme Professor Longhair, dont le style flamboyant et la voix d'outre-tombe l'inspireront. Il joue surtout de la guitare avec son mentor mais aussi avec Art Neville, James Booker ou encore Bo Diddley.
La musique le passionne mais le jeune homme a aussi de mauvaises fréquentations, il vend de la drogue, en consomme (il ne décrochera de l'héroïne qu'en 1989), et finit par faire de la prison au début des années 60. Entre-temps, il manque de perdre son annulaire gauche, blessé par un coup de feu, avant un concert à Jackson (Mississippi). Il fera sa rééducation --et sa carrière-- devant un piano.
C'est à Los Angeles, où il collabore notamment avec Sonny & Cher et Frank Zappa, qu'il emprunte le surnom de Dr. John à un praticien vaudou du XIXe siècle venu à la Nouvelle-Orléans en provenance d'Haïti. Il sort en 1968 son premier album "Gris-Gris", qu'il défend déjà sur scène avec des costumes recouverts de plumes et de perles.
Cet opus, un des premiers à mêler habilement musiques noire et blanche, dressant un pont entre l'Afrique de l'Ouest et le psychédélisme californien au son du Mardi Gras, figure en 143e position du classement des 500 plus grands albums de tous les temps recensés par Rolling Stone.
Personnage picaresque à la voix rauque, qui n'hésitait pas à mélanger l'anglais au patois créole, il a à son actif une trentaine d'albums, dont quelques chefs d'oeuvre comme "Dr John's Gumbo", "The Sun, Moon & Herbs" avec Mick Jagger aux choeurs, "Desitively Bonnaroo" avec les Meters, groupe essentiel de funk à la Nouvelle-Orléans, ou "Tango Palace" produit par Tommy LiPuma qui deviendra son producteur fétiche.
Jamais il n'oubliera les racines jazz et dixieland de la musique de "Crescent City", les honorant dans un disque en piano solo, "Dr John plays Mac Rebennack" (1988). A la fin des années 90, il se frotte au rock indépendant, conviant notamment Paul Weller, Jason Pierce (Spiritualized) et Gaz Coombes (Supergrass) pour l'album "Anutha Zone".
Bête de scène, il avait aussi crevé l'écran au cinéma, en 1976, en jouant "Such a Night" lors du concert d'adieux du groupe The Band filmé par Martin Scorsese ("The Last Waltz"). Il apparaîtra plus tard dans son propre rôle dans la série "Treme" (2010-2013), chronique des lendemains de La Nouvelle-Orléans après le passage de l'ouragan Katrina.
Lauréat de plusieurs Grammys, il aura collaboré avec des artistes aussi prestigieux que les Rolling Stones pour "Exile on Main Street", Aretha Franklin ou Van Morrison dont il a produit l'album "A period of transition" (1977), et a été introduit au Rock & Roll Hall of Fame en 2011.
A propos de sa musique et ses accoutrements, Dr. John assurait n'avoir rien inventé "car tout existait depuis longtemps déjà à la Nouvelle-Orléans". "J'ai été au bon endroit, mais probablement pas au bon moment", résumait-il.


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