La réponse est oui; en Europe, du moins. Les enquêtes nationales sur la toxicomanie, les statistiques des confiscations de narcotiques et les chiffres des cures de désintoxication ne suffisent pas aux spécialistes de la question; ils ont donc décidé de tenter une autre approche. Des projets sont en cours à Nuremberg, Valence et Dublin. Leur but: tenter d’établir une corrélation entre le taux de contamination des billets de banque en euros venant d’être mis en circulation ,et les statistiques de la consommation de cocaïne en Europe. (Le choix de la cocaïne n’est pas anodin: beaucoup de drogués la sniffent à l’aide d’un billet roulé, et ses cristaux s’incrustent parfaitement entre les fibres du papier).
Après avoir récolté plus de 13 000 billets en huit ans, l’équipe allemande a découvert que les billets les plus contaminés provenaient d’Espagne (ce qui est logique: ce pays sert de porte d’entrée à l’importation sud-américaine de cocaïne, et il présente le taux de consommation le plus élevé d’Europe. Selon les estimations, 3% des Espagnols sont consommateurs, contre 2,3% des Américains). Les billets portugais, en revanche, présentent un taux de contamination parmi les plus bas d’Europe; selon les estimations, le Portugal est aussi l’un des plus faibles consommateurs de cocaïne du Vieux Continent. Cette corrélation pourrait s’avérer très utile: les tests sur billets sont moins coûteux et plus rapide à mener que les enquêtes nationales.
Aux Etats-Unis, en revanche, il est peu probable que les billets contaminés soient d’une grande aide pour se faire une idée de l’évolution de la consommation. Les études montrent que le taux de consommation de cocaïne décline (ou reste stable) depuis 1993. Or les études menées sur les billets américains (qui remontent à 1989) démontrent que le degré de contamination grimpe. Il y a certes là un problème de méthodologie: les auteurs des études américaines n’ont jamais réussi à s’accorder sur la valeur monétaire des billets analysés, leur nombre et leur provenance. (Les statisticiens d’Europe ont plus de chance: l’euro est une monnaie «propre» et très récente. Les études ont donc un point de départ commun, et leur méthodologie est stable.)
Même si, aux Etats-Unis, l’on ne peut utiliser les billets pour mesurer l’évolution de la consommation de cocaïne, ces études pourraient néanmoins permettre de comparer les taux de consommation d’une région à une autre, comme en Europe. L’étude qui vient d’être rendue publique est la première tentative visant à analyser les taux de contamination nationaux (les expériences précédentes se contentaient d’étudier les billets venus de certaines villes ou Etats).
Comme on pouvait s’y attendre, les billets les plus contaminés provenaient des grandes zones urbaines (Détroit, Boston et Washington); et les enquêtes montrent que les habitants de ces villes consomment plus de cocaïne qu’ailleurs. Reste que cette étude ne s’appuyait que sur quelques échantillons (234 billets seulement); il faudra donc mener d’autres travaux pour confirmer ces estimations.
On pourrait également avoir recours à différentes variables environnementales: une autre présentation faite à la conférence de l’American Chemical Society a ainsi évoqué la possibilité de filtrer les eaux usées pour y déceler les dérivés d’une contamination à la cocaïne. Les Etats-Unis analysent les eaux usées ici ou là depuis 2001, mais la première tentative à grande échelle n’a vu le jour qu’en 2008. Les résultats semblent prometteurs. Ces tests s’avéreront peut-être plus efficaces que la seule analyse des billets: ils permettent en effet d’évaluer la consommation de plusieurs drogues à la fois.