Le 16 mai 2003, cinq jeunes Marocains à la marge de la vie, du développement, du savoir, nous ont renvoyé à une réalité. La nôtre, celle d’un pays qui a laissé pousser ses bidonvilles, ses habitations clandestines, des sous-citoyens livrés à la précarité et à la manipulation de prédateurs de la religion. Cette nuit-là, et au fil d’une enquête policière qui aura son lot de dérapages, les Marocains découvraient une dure réalité, celle-là même dont ils préféraient détourner les yeux, pour des raisons de commodité.
Les quatorze kamikazes vivaient, ou plutôt tentaient de survivre, dans le même bidonville casablancais, celui de Sidi Moumen. On découvrait aussi –l’ignorait-on vraiment ?- que des zones de non-droit existaient dans les grandes villes de ce pays. Que des centaines de mosquées improvisées et clandestines étaient érigées ici et là, au plus près de la précarité et de la misère. On découvrait que le Maroc, aussi, avait ses apprentis-kamikazes. De jeunes Marocains nourris d’une religion qui n’est pas l’Islam, épousant d’étranges causes pour livrer de mystérieux jihad. Ben Laden était une idole, ses cassettes prônant la guerre sainte en vente libre. Des prêches promettaient le paradis à ceux qui vivaient l’enfer alors que des jumelles mineures manipulées et livrées à elles-mêmes n’étaient pas loin de commettre l’irrémédiable au nom, encore, d’une religion qui n’est pas la nôtre.
Alors que le pays s’engageait doucement mais de manière irréversible vers la démocratie, le respect des droits humains, la modernité et le progrès, cinq explosions et autant d’attentats ont essayé de freiner net l’élan d’une transition marocaine. Dans le même temps, et il faut le dire, le pays, ceux qui le gouvernent, les partis politiques, la société civile et l’immense majorité silencieuse avaient compris l’urgence d’une nécessaire prise de conscience.
Comment en est-on arrivé là ? C’est toute l’interrogation qui a traversé les uns et les autres, le temps du choc de la nuit casablancaise. Passée la manifestation dominicale de "Matquish Bladi", il a fallu pourtant trouver des réponses et des pistes pour essayer de comprendre l’incompréhensible. La riposte sécuritaire ne saurait résoudre l’essentiel, c'est-à-dire lutter contre les extrémismes, la haine, l’intolérance. La réponse se devait d’être structurante et structurelle pour que "le plus jamais ça" ne soit pas un slogan de plus dans un pays qui les collectionne.
C’est d’abord sur le front de la religion que la bataille s’est faite. L’organisation du champ religieux –l’édification de mosquées obéit désormais à des règles très précises- la diffusion de l’Islam malékite et le rôle de la mosquée devenue aussi un lieu d’apprentissage puisque des cours d’alphabétisation s’y donnent ont constitué les premiers jalons de la nouvelle "politique" religieuse menée en terre marocaine. Et la première promotion de prédicatrices vient confirmer le choix d’un Islam tolérant et ouvert qui n’exclut pas la moitié de la société.
Le pays s’est depuis engagé dans une politique volontariste d’éradication des bidonvilles et de construction de logements sociaux. Une dignité retrouvée pour des milliers de Marocains qui avaient coutume de dire, presque avec le sourire, qu’ils habitaient derrière le soleil. L’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) est venue, plus tard, comme réponse à la précarité. L’espoir renaît, la confiance comme rétablie. 16 mai 2003-16 mai 2006. Jamais il n’eut autant de musiques, de festivals, mille raisons de faire la fête, sortir, rire. Les vendeurs de la haine sont seuls regardant, médusés, des plages bondées de femmes en maillot. Trois ans après les attentats de Casablanca et leur quarantaine de morts, le pays creuse son sillon vers la modernité.