Autres articles
La soprano martiniquaise Christiane Eda-Pierre, décédée à l'âge de 88 ans, était une grande voix française "à la tessiture unique" et la première cantatrice noire de l'Hexagone à faire une carrière internationale d'envergure. Née le 24 mars 1932 à Fort-deFrance en Martinique, Christiane EdaPierre, qui était également une grande pédagogue au Conservatoire de Paris, est décédée dimanche de mort naturelle dans sa maison des Deux-Sèvres, dans le centre-ouest de la France, selon ses proches. "L'opéra français perd une voix irremplaçable et la Martinique un de ses enfants les plus talentueux", a réagi le ministère des Outre-mer dans un tweet. Première cantatrice noire française à connaître une carrière internationale, elle défendait la représentativité des artistes noirs dans tous les arts. "Elle disait que plus on les mettrait sur scène, plus ça se normaliserait", a déclaré à l'AFP sa biographe Catherine Marceline. Celle qui a chanté dans les plus grandes maisons d'opéra, de l'Opéra de Paris à New York, en passant par Londres ou Vienne, avait notamment triomphé en 1977 dans "Les Contes d'Hoffmann" d'Offenbach, mis en scène par Patrice Chéreau. Soprano au répertoire éclectique, elle a participé à la création de "SaintFrançois d'Assise" du compositeur français Olivier Messiaen, dans le rôle de l'Ange. "Quelle voix, quelle belle personne qu'est Christiane Eda-Pierre", affirmait l'actuelle ministre de la Culture Roselyne Bachelot en 2018 dans une chronique sur France musique. Elle qualifiait cette "reine française de l'art lyrique" de "mozartienne d'une subtilité incomparable". "Elle a su imposer son style, sa voix, sa personnalité, son rire. Elle n'a jamais oublié d'où elle venait, la Martinique", a réagi Fabrice Di Falco, lui aussi martiniquais, chanteur lyrique et organisateur du concours "Voix des Outre-mer", sur Outre-mer La 1ère. Née dans une famille d'intellectuels, nièce de la femme de lettres Paulette Nardal --première étudiante noire à la Sorbonne--, elle apprend très jeune le solfège auprès de sa mère, professeure de piano. "Son premier contact avec l'opéra, c'était avec son grand-père, qui connaissait tous les airs lyriques grâce aux troupes qui faisaient des va-etvient entre l'Europe et les Etats-Unis et qui s'arrêtaient pour se produire à Saint-Pierre ou Fort-de-France", raconte à l'AFP sa biographe, dont le livre "Christiane Eda-Pierre, une vie d'excellence" est sorti en 2019. La jeune femme arrive à Paris à la fin des années 50 pour des études de piano. Mais Charles Panzéra, grand baryton suisse, "m'a entendue, il m'a dit +je vais te présenter au Conservatoire+, j'ai ouvert de grands yeux parce que je me suis dit +moi, une noire, rentrer au Conservatoire, ce n'est pas possible+", raconte-t-elle dans un podcast diffusé en 2013 par Qobuz. Elle garde à l'esprit "les avanies qu'a rencontrées la grande chanteuse américaine Marian Anderson, qui a mis tant de temps à être acceptée dans son pays", avait raconté Mme Bachelot dans sa chronique. "Il a fallu que je perde mon accent, que je prononce les +R+ (...) j'ai suivi des cours de diction", se rappelle la soprano. "Elle n'a jamais pris ça comme une perte d'identité, ça aurait été la même chose si elle avait été italienne ou allemande", déclare la biographe. Sa voix avait "une tessiture unique". Christiane Eda-Pierre fait ses débuts à l'Opéra de Nice dans "Les pêcheurs de perles" de Bizet avec Gabriel Bacquier, baryton-basse français décédé en mai. Elle se distingue l'année suivante au Festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence puis enchaîne les rôles à Paris, à l'Opéra-Comique et au Palais Garnier avant de s'illustrer à l'international. Au début des années 80, "elle chante dans un concert avec Pavarotti à Central Park devant 300.000 personnes, à l'issue duquel le public américain lui réserve une ovation extraordinaire", rapporte Catherine Marceline. La cantatrice s'était arrêtée de chanter en 1995 pour se consacrer à l'enseignement.