"Ammi Driss", icône d'un bon vieux temps : La mémoire collective d'une enfance simple et heureuse


MAP
Mercredi 8 Février 2012

"Ammi Driss", icône d'un bon vieux temps : La mémoire collective d'une enfance simple et heureuse
Sa barbe a blanchi, son corps est devenu frêle et les rides ont envahi son visage enfantin, même s'il conserve toujours ce regard étincelant qui révèle une intelligence et une vivacité innée que la persévérance et l'auto-apprentissage ont pris le soin d'aiguiser. Pourtant, avec le recul de ce temps, des générations d'enfants de ce pays ignorent qui est cet homme.
Devant un café de Tanger, la ville qui a ouvert ses bras à "Ammi Driss" (Oncle Driss), après une longue vie casablancaise, des élèves passent et repassent, chaque jour, sans prêter un brin d'attention à cet homme ordinaire, qui prend sa dose quotidienne de caféine.
Heureusement, chez d'autres, ces jeunes et "poussins " qui ont goûté au bonheur de la télévision des années 80 du siècle dernier, il est l'homme de la mémoire par excellence. Il représente cette nostalgie des Marocains pour l'ère d'or des médias de l'enfant. Ces moments où la petite famille se réunissait devant le poste de télévision pour suivre les créations de "Ammi Driss..Sadiqoun Aniss" (Oncle Driss un ami affable) alors sur l'unique chaîne de télévision nationale.
Oncle Driss se souvient, dans un entretien à la MAP débordant de nostalgie, de ce matin d'un jour de l'an 1958, quand le gardien du siège de la radio marocaine lui interdit d'accéder au studio de l'émission radiophonique "Boustane Al Atfal" animée par Driss Al Allam (Ba Hamdoun).
Ce qui peut être un incident banal pour les uns, il est synonyme de désir de vengeance pour Oncle Driss. "Depuis cet instant, j'ai rêvé d'avoir ma propre émission pour ouvrir les portes de la radio et de la télévision à tous les enfants", se rappelle Ba Driss.
En 1974, il fit son entrée, par la grande porte, à la télévision à travers la pièce de théâtre "les problèmes de papa" et l'œuvre opérale "le juge des enfants" montée en collaboration avec le compositeur Ahmed Al Ammari.
Malgré des réalisations dignes d'un précurseur, Oncle Driss ne prétend nullement être un fondateur des médias pour enfants. Avec un esprit inégalable d'humilité, il cite une à une les expériences des autres dans le domaine de l'animation pour enfants. Ce n'est qu'ensuite qu'il revendique son leadership en matière de drama pour enfants, à la faveur de la série "Pourquoi papa s'est-il énervé" (1976) inspirée du quotidien de son frère Miloud avec les méchancetés et interminables requêtes de ses neuf enfants. Et c'est dans un conte, de ce qu'il y a des plus simples, qu'il réussit magistralement à faire de la tragédie une belle comédie.
Oncle Driss est de ceux que le succès effraie. Par sens de respect et de responsabilité à l'égard d'un public qui a adoré ses créations télévisées au début des années 1970, il décida de prendre du recul, de jeter un regard critique sur sa personnalité d'artiste et son bagage d'intellectuel.
Il s'est mis alors à étudier le solfège et à explorer les univers de la psychologie et de la sociologie, pour préparer un éventuel retour sous le signe du "spectacle complet".
Avec amertume, Oncle Driss se remémore son histoire avec la télévision au début des années 80, lorsqu'un feuilleton, qui le qualifie lui-même de "déformé", fait de lui la cible de critiques assez blessantes. "Ils avaient raison d'attaquer ce programme. Mais, ils n'avaient point connaissance de la réalité des choses", dit-il la mort dans l'âme.
Et comme "l'échec est l'épice qui donne saveur au succès", Oncle Driss a fait son grand retour au petit écran avec un travail qui fera de lui, plus tard, une icône des médias de l'enfant au Maroc. Et c'est bien Ammi Driss, ce feuilleton qui a réuni tous les ingrédients du succès : l'humour, une dimension éducative et pédagogique et un tournage extérieur qui a créé une sorte d'interaction avec un large public d'enfants et d'adultes. Et c'est à partir de là qu'Oncle Driss est cité comme un modèle de réussite dans les médias pour enfants.
Sa vie professionnelle et artistique prit alors la forme d'un parcours en dents de scie. Après le succès d'Oncle Driss, il tente de revenir à la télévision avec une nouvelle création en 1989. Mais, le destin n'en voulait pas ainsi. Une fracture au pied et une grave maladie du cœur de son enfant Amal, dont les frais de l'opération dépassaient les 110.000 DH à l'époque, bouleversaient le cours de sa vie. "J'ai vendu la voiture et les meubles de la maison, emprunté beaucoup d'argent.  Mais à mi-chemin, la délivrance est venue d'un bienfaiteur qui a tout pris en charge".
Une épreuve qui résume son amour unilatéral de la télévision. Oncle Driss y est entré les poches à moitié pleines et en est ressorti bredouille. Pis encore, se rappelle-t-il sur un ton satirique, "j'ai même vendu ma télévision pour ramasser l'argent nécessaire à la réalisation d'une émission télévisée".
Aujourd'hui, il reste encore incapable de citer les raisons derrière la réussite de son émission phare auprès de générations d'enfants. "Peut-être, c'est cet enfant caché en moi, qui refuse d'accéder à l'âge adulte", tente-il, toutefois, d'expliquer.
Les fruits du succès ont été vite récoltés et sa célébrité a dépassé les frontières. Il se rappelle non sans fierté son invitation en France par le célèbre animateur français Jacques Martin, en sa qualité de symbole des médias agissants et constructifs.
Aujourd'hui, Oncle Driss apprend de ses enfants qui l'aident à gérer sa page facebook et répondre aux requêtes de ses milliers de fans. Son bâton de pèlerin ne l'a pas quitté pour autant. Il continue toujours d'animer des spectacles pour enfants, en se déplaçant d'une ville à l'autre, selon le calendrier des instituts culturels étrangers.
Avec sa benjamine Fatine, qui a hérité de lui ses gènes d'artiste, il se déplace en autocar pour aller à la rencontre de ses nombreux enfants : ces fils du Maroc, du peuple. Ses voyages sont peu couteux, car ses marionnettes ne revendiquent "ni chambre, ni nourriture".
Oncle Driss continue sur la voie de la persévérance; il n'a pas besoin de pitié, car il n'est pas un cas social ou humain. Il avance sur le chemin du travail et de la recherche, armé d'une conviction bien profonde, de l'enthousiasme et de la passion d'un débutant. Mais, il reste animé de l'espoir de voir ses travaux artistiques et médiatiques contribuer à l'éclosion d'un projet culturel national destiné aux jeunes générations qu'il porte particulièrement dans son cœur.


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