Amir al-Mouarri, du rap enragé pour scander les maux d’Idleb

Pour dénoncer le conflit syrien, le jeune rappeur s’en prend aux pouvoirs qui se nourrissent de la guerre et du sang


Jeudi 24 Octobre 2019

Amir al-Mouarri, du rap enragé pour scander les maux d’Idleb
Devant le tableau criblé de balles d’une salle de classe, Amir al-Mouarri scande son rap enragé, dénonçant pêle-mêle les bombardements meurtriers du régime syrien dans sa province d’Idleb, les universités fermées, mais aussi les jihadistes et les rebelles.
“J’ai choisi le rap parce que c’est un genre politique”, confie à l’AFP le jeune homme de 20 ans, dans sa ville de Maaret al-Noomane, dans le nord-ouest de la Syrie. “Un genre qui dénonce la dictature, la tyrannie, la corruption du gouvernement et qui permet d’aborder des questions sociales”.
Cheveux noirs gominés plaqués en arrière, barbe taillée, jean serré et chemise sombre: dans son premier clip posté sur les réseaux sociaux, le rappeur martèle ses rimes en dialecte syrien, devant des immeubles en ruines.
Dans la région d’Idleb, où vivent quelque trois millions de personnes et qui échappe toujours au pouvoir du président Bachar al-Assad, près d’un millier de civils ont été tués dans des frappes meurtrières du régime et de son allié russe, entre fin avril et fin août, date à laquelle un cessez-le-feu est entré en vigueur, rétablissant un calme précaire.
La région est contrôlée par les jihadistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTS), l’ex-branche syrienne d’Al-Qaïda, et accueille aussi des rebelles affaiblis par HTS, qui avaient afflué de tout le pays après la reconquête de leurs fiefs par le régime syrien et ses alliés.
La chanson “Sur tous les fronts” a été mise en ligne en septembre. “Sur qui dois-je m’apitoyer: mon ami mort en martyr ou celui effondré devant le cercueil de sa mère?”, scande Amir al-Mouarri au début du morceau.
Pour donner un visage aux millions d’anonymes de la province d’Idleb, le rappeur a invité dans son clip des habitants.
Vendeur de falafels, mère de famille, jeunes garçons jouant aux échecs, secouristes des Casques blancs ou ambulancier devant son véhicule: tous sont filmés face caméra, au coin d’une rue ou devant des décombres, accompagnant de la tête le rythme saccadé des paroles.
Pour dénoncer un conflit syrien qui s’éternise depuis 2011 et qui a fait plus de 370.000 morts et implique puissances internationales et régionales, le jeune rappeur s’en prend “aux pouvoirs qui se nourrissent de la guerre et du sang”.
Les jihadistes de HTS, accusés par des ONG internationales de “tortures” ou de “détentions arbitraires”, n’échappent pas à ses diatribes.
“Ça ne sert à rien de manifester, l’idéologie est pétrifiée (par les jihadistes)”, lance dans son clip le rappeur, qui continue: “L’université a été scellée, à la cire rouge”, déclame-t-il en référence à des universités privées que les jihadistes ont été accusés d’avoir fermées, sous le prétexte qu’elles ne disposaient pas des autorisations requises.
Malgré son ton critique, Amir al-Mouarri assure ne pas avoir été inquiété, même si des militants affiliés à des groupes rebelles ou d’autres organisations lui ont parfois conseillé “d’alléger” la teneur de ses propos, alors que les voix dissidentes sont souvent menacées, voire liquidées.
“J’exprime ce que je vois”, dit-il à l’AFP.
“Et les gens sont avec moi, tout le monde a positivement réagi à ce que j’ai dit, ils ont aimé les sujets évoqués dans la chanson”, assure-t-il, alors que son clip s’est propagé à Idleb.
Dans un coin de sa chambre, dans sa maison à Maaret al-Noomane, il s’est improvisé un petit studio d’enregistrement, avec des boîtes d’oeufs et des plaques de mousse aux murs.
“A travers le rap je me suis fait des amis en ligne”, explique le rappeur qui les sollicite notamment pour des conseils techniques.
Son premier clip a vu le jour grâce à une collaboration avec d’autres artistes sur Internet. Le montage a été effectué par des camarades au Liban.
A Idleb, “il n’y a pas d’ingénieurs du son, ça m’a posé beaucoup de difficultés”, dit-il.
Après avoir vécu par intermittence à Istanbul, Amir al-Mouarri est rentré en Syrie en 2018. Il voulait être avec ses parents après la mort de son frère, tué par les tirs d’une patrouille turque alors qu’il tentait de franchir illégalement la frontière pour entrer en Turquie voisine.
Au quotidien, il aide son père dans son magasin. Lorsqu’il n’aide pas un client, il écoute ses artistes favoris sur son téléphone: le rappeur libanais el-Rass, le Syrien Bu Kolthoum, ou encore Shiboba d’Arabie saoudite.
Il apprécie également l’Américain Tupac et le rap “old school”, mais aussi l’opéra et la musique classique, citant Beethoven et Vivaldi.
Dans sa chambre, il planche sur de nouveaux morceaux. Casque sur les oreilles, il scande ses mots dans un micro qu’il s’était procuré en Turquie.
“J’espère que les paroles de mon rap seront comprises”, dit-il. “Ce n’est pas juste une musique pour dodeliner de la tête”.


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