Abdelmoula Abdelmoumni : Il faut instaurer une économie sociale solidaire


Propos recueillis par Mourad Tabet
Samedi 23 Février 2013

Abdelmoula Abdelmoumni : Il faut instaurer une économie sociale solidaire
Abdelmoula Abdelmoumni, président de la Mutuelle générale du personnel des administrations publiques (MGPAP), était l’invité au début de cette semaine de l’Ittihad Al Ichtiraki et Libération.
Plusieurs questions ont été débattues lors de cette rencontre. La réforme des Caisses de retraite, la couverture médicale, et la situation actuelle de la MGPAP, entre autres.
« La MGPAP est en faillite. On a enregistré un déficit de 2 milliards de DH en 2012. Ce chiffre ne concerne que le secteur mutualiste. On a fait une étude qui a démontré que la Mutuelle a besoin de 1 milliard et 500 millions de dirhams pour garder l’équilibre financier de la Caisse complémentaire de décès», assure-t-il. Et d’ajouter que les nouveaux responsables ont un double défi à relever : chercher à combler ce déficit et en même temps augmenter les recettes de la MGPAP d’une part, et améliorer les prestations offertes  aux adhérents d’autre part.
Entretien avecle président de la Mutuelle générale du personnel des administrations publiques


Libé : La réforme des Caisses de retraite tarde à se concrétiser même si les commissions chargées de réfléchir sur cette réforme ont terminé leur travail depuis longtemps. Plusieurs scénarios sont envisagés, mais l’on hésite à trancher. Quelle est, selon vous, la manière de faire aboutir cette réforme pour sauver le système de retraites ?

Abdelmoula Abdelmoumni : C’est une question importante, car il s’agit d’un dossier social qui doit être prioritaire pour les décideurs et les politiques. Mais, à mon avis, ce dossier doit être réglé de manière globale et stratégique, et non pas de manière temporaire ou égocentrique. Malheureusement, la bonne gouvernance manquait à une certaine époque dans la gestion de certaines Caisses de retraite. Il aurait fallu bien gérer l’argent des cotisants et l’utiliser dans des investissements rentables.
Dans ce dossier, je crois qu’il faut dépasser la dualité privé-public, car quand on évoque cette dualité, c’est qu’on veut passer sous silence quelque chose. Qu’il soit dans le public ou le privé, ce qui hante l’esprit du cotisant, c’est une seule question : quelle pension percevra-t-il quand il sera mis à la retraite ? Si l’on veut réellement préserver notre système de retraite, il faut que les recettes excèdent les dépenses pour qu’on puisse les utiliser avec aisance et ce en vue de générer des profits. Dans ce sens, il faudra dépasser les slogans populistes et l’égoïsme. C’est-à-dire, il faut comprendre qu’il est impossible de penser qu’on peut percevoir à 100% sa pension d’une seule Caisse. C’est pour cela qu’il faut diversifier les Caisses d’une façon verticale et hiérarchique et ne pas se contenter de faire en sorte que chaque Caisse soit indépendante de l’autre. C’est-à-dire on met une Caisse pour le privé, une autre pour le public et une troisième pour les professions libérales, mais cela, à mon avis, ne peut mener à rien. Personnellement, j’opterais pour un système hiérarchique. Par exemple, tous les Marocains qui ont un salaire inférieur à 6000 DH doivent être inscrits dans une seule Caisse, et ceux qui touchent plus de 6000 DH dans une autre et ainsi de suite. Mais le gouvernement, les décideurs et les syndicats doivent se mettre d’accord sur la pension minimum qui permet aux retraités de vivre dignement. Mais cela nécessitera des études pour définir le montant de cette pension.
On devrait également fixer des pourcentages clairs pour chaque tranche de salaire. Il serait difficile pour celui qui touche 5000 DH de cotiser à 20% comme celui qui perçoit 40.000 DH. Il faut instaurer des taux graduels. Je le dis et je le redis, la gestion du dossier des Caisses de retraite nécessite deux choses : il faut vaincre les rancunes et les jalousies, c’est essentiel.

Le gouvernement d’Abderrahmane El Youssoufi a eu le courage d’instaurer l’Assurance maladie obligatoire, quel bilan dressez-vous du système de la couverture médicale au Maroc ?

Lorsque je traite ce sujet, je ressens de l’amertume, car je vis quotidiennement des cas sociaux de personnes qui sont dans un état déplorable. Tout d’abord, la couverture médicale est un droit fondamental pour tout citoyen. Je salue le gouvernement d’Abderrahmane El Youssoufi qui avait eu le courage de mettre en place l’Assurance maladie obligatoire. C’est-à-dire que les citoyens marocains et particulièrement les plus démunis d’entre eux ont le droit d’accéder  aux soins médicaux nécessaires. C’était une décision très importante. L’on peut également parler du RAMED. Mais où réside le problème ? Le problème ne réside pas dans les décisions et les politiques publiques, mais dans leur mise en pratique. Par exemple, on constate qu’un citoyen peut certes disposer de la carte RAMED, mais quand il va à l’hôpital, il ne reçoit aucun soin. La couverture médicale obligatoire est, certes, un pas en avant, mais pour la réussir, il faut instaurer une économie sociale solidaire. Car le gouvernement, voire l’Etat, ne peut pas tout faire. Dans les pays occidentaux, le taux de couverture peut atteindre 80%, car ces pays disposent de ressources et peuvent consacrer des taux élevés du PIB à cela alors que notre pays ne dispose que de ressources limitées.
Une autre lacune dans ce système. On a instauré la couverture médicale pour le secteur public, semi-public et les collectivités locales (CNOPS), pour le secteur privé (CNSS), pour les démunis (RAMED), mais l’on a passé sous silence les professionnels du secteur libéral comme les médecins, les avocats et autres. Par exemple, un ouvrier peut disposer de la couverture médicale, alors que son patron ne l’a pas. Si je veux garantir les intérêts de la classe ouvrière, je dois également défendre la couverture médicale pour les professions libérales. C’est tout à fait logique.

Les mutuelles ont joué un rôle prépondérant dans le développement de l’économie sociale solidaire. Le gouvernement entend soumettre un projet de Code dédié aux mutuelles lors de la session parlementaire du printemps, quelles sont vos remarques concernant ce projet ?

C’est un sujet qui mérite un débat sérieux, car ce nouveau code vise à détruire le système mutualiste. Ce projet a été conçu sous le gouvernement d’Abbas El Fassi pour remplacer le Dahir de 1963. Ce Dahir relatif aux mutuelles était progressiste en son temps, mais il avait des lacunes surtout en ce qui concerne le contrôle et la gestion. Et au lieu de les combler et renforcer le contrôle et la gestion démocratique au sein des mutuelles, le gouvernement présentera un Code de la mutualité qui peut mettre en péril les acquis des adhérents. Pourquoi veulent-ils que les mutuelles retournent en arrière alors que la nouvelle Constitution plaide pour la gestion démocratique et la préservation des droits des citoyens ? Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est de garder le Dahir de 1963 et le développer en comblant ses lacunes et renforcer le contrôle financier a priori et posteriori des mutuelles, car il s’agit de l’argent des adhérents et il faut le préserver. Or les concepteurs du nouveau projet ont une autre vision. Mais il aura des répercussions sur le système mutualiste. Car il ôte aux mutuelles la fonction de prestataire de soins médicaux.

Nous espérons que la Cour
de cassation rectifiera le tir pour
que nous puissions récupérer
160 milliards dilapidés par les anciens responsables de la MGPAP


Les mutuelles participent depuis longtemps à la couverture médicale, et maintenant ils veulent liquider ce système au lieu de le renforcer. Vraiment, je n’arrive pas à comprendre ce paradoxe.
Nous sommes pour un nouveau projet de Code dédié aux mutuelles, mais cela ne veut pas dire qu’on va permettre que les acquis qui servent, par ricochet les intérêts de l’Etat et la société, et qui donnent un rayonnement régional et mondial au Maroc dans ce domaine soient touchés. En plus, la Constitution de 2011 a fait un pas en avant dans le domaine de la démocratie en plaidant pour le développement des institutions sociales.

Vous avez assumé la responsabilité au sein de la MGPAP après une lutte acharnée contre les anciens responsables. Quel était l’état de cette mutuelle ? Et quelles sont les grandes lignes de la stratégie que vous avez adoptée pour sortir la MGPAP de sa crise ?

Les mutuelles rendent maintenant un grand service aux adhérents. Par exemple, il y a trois ans, le traitement des dossiers de maladie des adhérents pouvait durer jusqu’à 6 mois, et même davantage. C’était vraiment un calvaire. Quand nous avons assumé la responsabilité au sein de la MGPAP, nous avions constaté que 600.000 dossiers étaient traités annuellement. Actuellement, l’on est arrivé à traiter 1.200.000 dossiers par an, car nous avons créé un climat de confiance au sein de la Mutuelle. Nous avons également trouvé que plus de 550.000 dossiers des adhérents n’étaient pas traités et nécessitaient une décision stratégique, car il fallait 14 milliards de centimes pour les liquider. Et malgré la crise financière de la MGPAP, l’on a pris la décision de remédier à ce problème ; ce qui a permis aux adhérents concernés de récupérer leur argent. Actuellement, le délai de traitement des dossiers de maladie ne dépasse pas un mois dans la plupart des cas.
Nous avons adopté également une politique de proximité pour être plus proches des citoyens et pour être au diapason de la régionalisation. On a ouvert des sièges dans certaines provinces comme Ifrane, Assa-Zag, Zaio, Targuist, Bourafaa, Tiznit et autres. Mais ici je veux mettre un bémol. Contrairement à ce que faisaient les anciens responsables qui achetaient des bâtiments à coup de milliards, nous, l’on a opté pour un autre choix, celui de conclure des conventions avec 2600 institutions affiliées à la MGPAP.
En ce qui concerne l’accès aux soins médicaux, nous avions déploré qu’il n’y ait  qu’un centre à Rabat qui les délivrait. C’était antidémocratique et illogique. Donc l’on a pris la décision de démocratiser l’accès aux soins en créant des centres régionaux en concertation avec les autorités locales et en prenant en compte également la carte sanitaire et  l’équilibre budgétaire de la MGPAP. Et la première région qui a accepté pareille idée est la région de Laâyoune. Le traitement que reçoit un adhérent à Rabat que ce soit au niveau administratif ou médical, est le même que reçoit un adhérent à Laâyoune. L’on espère ouvrir des centres à Guelmim, Oujda, entre autres.
Certes, nous avons assumé la responsabilité à l’issue d’une lutte acharnée. Nous n’étions pas contre les personnes, mais contre la gestion de la Mutuelle qui était complètement chaotique. Et je crois que l’application de l’article 26 du Dahir de la mutualité était légitime, et que notre combat l’était également. En outre, la justice l’a confirmé en condamnant les personnes qui ont dilapidé les deniers de la MGPAP.

L’on sait que les nouveaux responsables ont hérité d’une situation déplorable sur le plan financier. Qu’en est-il actuellement ?

La MGPAP est en faillite. On a enregistré un déficit de 2 milliards de DH en 2012. Ce chiffre ne concerne que le secteur mutualiste. On a fait une étude qui a démontré que la Mutuelle a besoin de 1 milliard et 500 millions de dirhams pour sauvegarder l’équilibre financier de sa Caisse complémentaire décès.
Quand on a assumé la responsabilité, nous avions fait des audits. Et le premier conseil d’administration après la destitution des anciens responsables, a pris cinq décisions importantes. Elles portent sur l’audit financier, l’audit des ressources humaines, l’audit des systèmes d’information, l’étude Actuaria et la désignation d’un commissaire aux comptes.

Le projet de Code de la
mutualité vise à liquider le
système mutualiste


Nous avions pris ces décisions pour démontrer à ceux qui prétendaient que notre combat n’avait qu’un objectif politique qu’ils se trompaient. Les études et les audits externes que nous avions faits confirmaient qu’il s’agissait bel et bien de dilapidation des deniers publics, et que la situation était vraiment chaotique. Concernant les  ressources humaines, on a payé 3 milliards et demi de salaires, et l’ancien responsable avait à deux jours seulement de sa destitution doublé la masse salariale pour lui faire atteindre les 7 milliards. Il a également laissé derrière lui plus de 500.000 dossiers non-traités et dont l’apurement  nécessitait 14 milliards de centimes.
Ce que je déplore, c’est que les jugements de  première instance et en appel n’étaient pas satisfaisants. La sentence du tribunal de première instance a condamné les ex-responsables pour dilapidation des deniers de la MGPAP à verser à cette dernière un milliard, alors que l’argent dilapidé atteignait les 160 milliards. Pis encore, l’appel a revu à la baisse ce montant en condamnant les mis en cause à ne verser que 100 millions. Nous espérons que la Cour de cassation rectifiera le tir.
Et malgré la situation financière difficile de la MGPAP, nous travaillons maintenant à améliorer les recettes de la mutuelle en créant des centres médicaux, et en signant des jumelages avec d’autres mutuelles à travers le monde, et ce en vue d’améliorer davantage les prestations de la MGPAP.


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