​A quand la réhabilitation de la pédagogie dans nos classes de langue ?


Mohamed Agoujil *
Vendredi 12 Juin 2015

​A quand la réhabilitation de la pédagogie dans nos classes de langue ?
L’enseignement/ apprentissage de la langue, n’importe quelle langue, suscite toujours un certain nombre d’interrogations. Les débats au sein des instances officielles chargées de concevoir l’aménagement linguistique au Maroc le démontrent amplement. Cette opération doit passer en principe par trois étapes : L’initiation, l’appropriation et l’exploitation ou l’utilisation qui doit, en fin de compte, aboutir à la création. Le préscolaire et le primaire constituent l’étape d’initiation, le secondaire en deux cycles, celle de l’appropriation et enfin l’universitaire, celle de l’exploration et surtout de la création. Cette évolution est le point focal que la recherche pédagogique doit cibler pour en déterminer la nature et le fonctionnement car il paraît qu’il y a malentendu là-dessus, depuis que la pédagogie est marginalisée au profit de la didactique qui prétend à la scientificité vidant l’acte d’enseigner de sa dimension pédagogique.
Ainsi, pour satisfaire une approche quantitative de l’apprentissage, on est presque unanime à dire que pédagogie est idéologie, morale au service du conformisme que l’école doit combattre. Or, on oublie que la pédagogie est, avant tout, une manière d’amener l’enfant, en apprenant, à réfléchir sur lui-même, sur les rapports qui le lient au monde ambiant, sur l’élan de découvrir/se découvrir et de se positionner face à tous les impératifs de son expérience d’apprenant d’abord, et d’homme par la suite. Pour la pédagogie, c’est cette curiosité qui est à l’origine de tout apprentissage et non le besoin que la didactique érige en finalité matérielle et pragmatique, à satisfaire.
On n’apprend donc pas par besoin mais par curiosité, et seule la pédagogie est susceptible d’en injecter le minimum dans l’esprit de l’apprenant. L’apprentissage n’est pas une marchandise à aller chercher au marché des épices mais une curiosité, une envie à réveiller, à cultiver et entretenir chez l’apprenant. Le rôle de la didactique, en tant que science, dans ce sens, s’arrête au niveau de l’organisation des contenus d’apprentissage, de la délimitation les objectifs en termes de contenus et leur répartition en fonction des priorités psychopédagogiques. Si telle  est donc la fonction de la didactique, la pédagogie est soucieuse de donner au savoir l’attirance à même d’exciter la curiosité de l’élève et de nourrir en lui le plaisir et l’envie d’apprendre à explorer la langue dans toutes ses dimensions.
De là, toute pédagogie qui néglige cette dimension ne peut prétendre à la réussite. On n’enseigne pas selon une commande mais selon une entente, une connivence qui s’établit entre le désir d’évoluer et de s’affirmer et la méthode qui l’attise et l’alimente. Le contenu d’apprentissage n’est, par là, qu’un prétexte qui déclenche le processus de recherche et d’exploration. Il serait, par conséquent, nécessaire de revoir les programmes scolaires de français en particulier, non en termes de jalons de connaissances mais en termes de compétences relatives à chaque étape d’évolution.
Des idées de chacun à la vision du monde caractéristique d’une société donnée. Ce cheminement est le fil conducteur de l’aventure d’apprentissage qu’entame chaque élève, le jour de son entrée à l’école. Comment ces programmes lui assurent-ils la traversée des reliefs de la langue? Comment l’aident-ils à entretenir cette flamme de curiosité qui l’anime? Telles devraient être, à notre avis, les questions sur lesquelles doit se pencher toute initiative d’innovation.
Toutefois, comment peut-on expliquer qu’au niveau universitaire littéraire, par exemple, toute une génération se débat encore dans des problèmes de langue de niveau primaire même ? Elle articule difficilement les mots, écrit mal voire très mal, se perd dans sa pensée et dans ses mots quand elle est appelée à réfléchir et s’exprimer sur un sujet. Le problème est phénoménal, car c’est toute une personnalité qui perd ses atouts de départ et cède, à coups d’échecs successifs, à l’abandon de tout effort d’apprentissage et de tout espoir à mieux rectifier le tir.
Pour éviter une réflexion douloureuse et exigeante, on a souvent tendance à mettre le tout sur le dos du praticien: les enseignants du primaire sont ainsi accusés d’être à l’origine de la catastrophe. Ceux du secondaire se plaignent des programmes qui dépassent le niveau des élèves. 
Les universitaires renvoient les étudiants à des références qu’ils sont incapables de lire. Les responsables ministériels, quant à eux, se fient à des statistiques qui disent tout pour cacher l’essentiel, se font l’honneur d’avoir construit tel nombre de classes, dans tel nombre de régions, comme s’il s’agissait d’abriter un troupeau de moutons en attendant que les mauvais temps passent.

 * Professeur de français au lycée technique Errachidia


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