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A priori, l’idée semble bonne et intéressante mais elle ne tient pas longtemps la route. Une analyse de cette mesure démontre ses limites et son inefficacité. En effet, la mise en place d’une ligne téléphonique pour permettre de dénoncer des actes de corruption ne date pas d’aujourd’hui. Déjà en 2008, l’idée d’un numéro vert pour dénoncer les infractions et les tentatives de corruption dans les hôpitaux avait fait long feu. Le ministère de la Santé s’était doté de six lignes téléphoniques ouvertes toute la journée mais l’expérience a vite tourné court. Azzedine Akesbi de Transparency Maroc se souvient encore de cette expérience : « Cette opération devait être montée conjointement par le ministère de la Santé et Transparency Maroc. Il y a eu des réunions récurrentes entre les deux parties mais on a vite plié bagage pour deux raisons : le refus d’accepter que le ministère soit à la fois juge et partie et les suites à donner aux réclamations ».
En 2010, un portail de dénonciation de la corruption www.stopcorruption.ma a également été lancé par l’Instance centrale de prévention de la corruption en partenariat avec d’autres ministères dont celui de la Justice. Il s’agit d’un portail mutualisé d’information dédié aux PME et destiné à recueillir les informations relatives à des actes, des pratiques et des tentatives de corruption ou d’incitation à la corruption dans le cadre des marchés publics, ou des opérations d’investissement.
L’idée d’un numéro vert a également séduit la société civile. Transparency Maroc a, en effet, pris l’initiative en 2012 en mettant en place un numéro vert et un Centre d’assistance juridique anti-corruption (Cajac), chargé d’assurer l’accueil de toute personne, témoin ou victime d’une situation de corruption au sens large (trafic d’influence, détournement de fonds ou autres formes d’abus), pour traiter sa requête et lui prodiguer, à titre personnel, des conseils juridiques gratuits et confidentiels.
Qu’en est-il du bilan de ces expériences ? « Dérisoire », nous a indiqué Azzedine Akesbi. Et d’ajouter : «Il y avait peu d’interaction avec ces mesures de la part des citoyens. En effet, le nombre de témoins ou victimes ayant dénoncé des actes de corruption a été infime ». Selon le rapport 2014 sur le bilan des activités du Centre d’assistance juridique anti-corruption, une nette diminution des réclamations a été observée en 2013 et en 2014 (736 en 2014 contre 972 en 2013). « Les Marocains font peu confiance aux institutions et ont peur de témoigner ou de dénoncer des actes de corruption. Pis, une grande part des réclamations déposées a rejoint les oubliettes», nous a précisé notre source.
Autres critiques et non des moindres : l’absence de mesures d’accompagnement qui s’inscrivent dans une stratégie nationale cohérente de lutte contre la corruption. « Le gouvernement manque de vision globale et ses politiques publiques en la matière sont contradictoires ». En effet, nombreux sont les acteurs associatifs qui pointent du doigt l’absence d’une stratégie claire basée sur un calendrier précis, une répartition des missions, un suivi des accomplissements, mais aussi, l’établissement de statistiques concrètes. «Il suffit de jeter un coup d’œil sur le projet de loi sur l’accès à l’information pour s’en rendre compte», nous a expliqué Azzedine Akesbi avant de poursuivre : « Je me demande à quoi sert de mettre en place un tel numéro vert sans renforcer pour autant les moyens de protection des témoins. En fait, la loi sur la protection de ceux-ci s’est limitée au volet de l’intégrité physique. Or, il est aussi important de protéger ces personnes contre toutes les menaces. Beaucoup de cadres supérieurs des administrations ou des établissements publics sont prêts à témoigner et à dénoncer des affaires de corruption mais ils ont peur pour leurs carrières et leur avenir».
Des propos confirmés par Me Mohamed El Bassraoui qui nous a indiqué que la protection des témoins n’est pas garantie. « Il y a eu certaines modifications de la loi mais non dans le sens d’une protection totale », nous a-t-il précisé. Même son de cloche de la part de Me Said Dahmani qui nous a confié que le projet de Code pénal en discussion actuellement n’a rien apporté de nouveau. « Il s’est contenté de garder les anciens articles sans apporter de vraies garanties ni élargir le champ de protection qui doit inclure également les victimes et les experts », a-t-il souligné. Une situation qui n’a rien de réjouissant puisqu’elle garantit, à l’inverse, l’impunité des contrevenants qui bénéficient de normes juridiques inefficaces et d’un dispositif répressif faiblement dissuasif.
Me Dahmani va même plus loin. Il remet en cause la légitimité de ce numéro vert instauré par le ministère de tutelle. Selon lui, ce service n’a rien de légal puisqu’il a été lancé sans mise en place d’un cadre législatif le régissant. « Les magistrats chargés de l’enregistrement des informations vont-ils accomplir cette mission et selon quel texte de loi et quelle procédure ? Et leur mission s’inscrit dans quel cadre législatif ? », s’est-il interrogé.
Pour Azzedine Akesbi, il est clair que la volonté politique de lutter contre la corruption fait défaut au sein de l’actuel gouvernement. En fait, entre les discours enflammés du chef du gouvernement, les effets d’annonce et la réalité, le gouffre ne cesse de s’élargir. « Le problème n’est pas d’encourager les Marocains à témoigner et à dénoncer des cas de corruption, le vrai problème a trait à la volonté de suivre ces affaires jusqu’au bout. Beaucoup de nos concitoyens, notamment ceux des régions lointaines craignent d’aller devant les tribunaux parce qu’ils ont l’intime conviction que les réseaux et les complicités entre les puissants vont déboucher sur l’enterrement de leurs affaires», a-t-il conclu.