Racisme structurel et institutionnel: Une discrimination silencieuse mais omniprésente que subissent les Marocains et autres groupes racialisés en Europe


Hassan Bentaleb
Mardi 8 Octobre 2024

Racisme structurel et institutionnel: Une discrimination silencieuse mais omniprésente que subissent les Marocains et autres groupes racialisés en Europe
«Profilage racial, usage excessif de la force par les forces de l'ordre, difficulté d’accéder aux droits fondamentaux, discours haineux en ligne, préjugés et refus d'accès aux services…», telles sont  quelques-unes des  facettes d’un racisme structurel et institutionnel qui touche de manière disproportionnée les Marocains nés  ou résidant en Europe. Un récent rapport du think tank Migration Policy Group (MPG) révèle que «le racisme structurel affecte les musulmans et les Noirs, entre autres, ainsi que le système judiciaire, les soins de santé, l'éducation, l'emploi et le logement, avec des impacts de grande portée sur la vie des groupes racialisés». Décryptage.
 
Racisme invisibilisé

Selon le même document, «les termes racisme structurel et institutionnel font référence à la manière dont les inégalités sont ancrées dans notre société et dans les institutions et domaines. Ils désignent également les politiques, les pratiques et les procédures apparemment neutres mais qui, en réalité, n'affectent gravement que certaines communautés, selon un schéma répétitif », tout en énonçant qu’« aucune définition explicite du racisme structurel ou institutionnel n'est inscrite dans les systèmes juridiques de plusieurs pays de l’UE ». 

Les recherches menées par MPG dans huit pays européens révèlent que « les principales caractéristiques visibles conduisant à la racialisation sont la couleur de la peau, la religion et les vêtements religieux ou ethniques traditionnels ». Ces mêmes recherches démontrent que « le système judiciaire, les soins de santé, l'éducation, l'emploi et le logement sont les secteurs où les schémas de racisme structurel et institutionnel sont les plus évidents dans les différents pays».

Le racisme structurel est identifié ainsi, poursuit ledit document,  comme « un fil conducteur dans ces secteurs et a un effet d'entraînement sur la vie des membres des groupes racialisés» en expliquant que «la discrimination systématique sur le marché du travail entraîne le chômage des populations minoritaires et des inégalités dans des aspects cruciaux de la vie, tels que le logement, la santé et même l'éducation des enfants ».

Le racisme structurel se manifeste également, ajoutent les experts du MPG, « dans les pratiques et comportements quotidiens des organisations, des employeurs, des hommes politiques et des citoyens ordinaires à l'encontre des groupes racialisés. Les principales formes de racisme structurel identifiées par l'analyse comparative sont les discours de haine en ligne, les préjugés, l'hostilité ou les sentiments négatifs, et le refus d'accès aux services de base. Ces attitudes deviennent également plus subtiles et indirectes, et sont très difficiles à évaluer et à analyser. Les Roms, les migrants et les Noirs sont les groupes les plus touchés par ces manifestations privées de racisme».

Cependant, les rédacteurs dudit rapport précisent que « le racisme n'est pas toujours aussi évident que la violence raciale ou les crimes de haine, qui sont visibles, explicites et identifiables ». Selon eux, « le racisme est profondément ancré dans la structure même de la société européenne, opérant dans le cadre des institutions sociales, économiques et politiques et conduisant à une inégalité de traitement et à des désavantages persistants ».
Par ailleurs, ledit document affirme que « bien que le racisme structurel soit mentionné dans le plan d'action de l'UE contre le racisme (2020-2025), il  n'est pas encore reconnu publiquement et officiellement comme un problème structurel par les médias, les politiciens ou la société en général. La plupart des pays ne perçoivent pas le racisme comme un problème profondément ancré dans les fondements de la société. Il est plutôt traité comme un problème abstrait ou isolé qui ne touche que quelques membres de la communauté ».

Islamophobie endémique

En Espagne, où les Marocains constituent la première communauté étrangère légalement installée avec près de 760.000 membres selon les chiffres de juin 2022 publiés par l'INE (Institut national espagnol de la statistique), l'islamophobie est l’une des formes dominantes de racisme structurel et institutionnel. Les origines (54 %) et l'apparence physique (55 %) sont également des motifs de discrimination très courants, selon les données de l'Eurobaromètre spécial (2019) sur les perceptions de la discrimination. Un schéma similaire est également observé dans le rapport CEDRE 2020, qui collecte des données sur la « perception hétérodoxe », c'est-à-dire la manière dont les migrants et les personnes racialisées perçoivent la façon dont la société les considère dans son ensemble. Dans ce panel, 59% des répondants mentionnent au moins un adjectif négatif à propos de l'image qu'ils croient projeter au reste de la communauté. 89% des Roms et 64% des Maghrébins évoquent des adjectifs négatifs (par ex. «pas intégrés», «criminels», «inférieurs», «sauvages», «paresseux»), 89% des Maghrébins mentionnent des adjectifs négatifs (par exemple : «pas intégrés », «criminels», «inférieurs», «sauvages», «paresseux»), contre 73 % des Indiens et Pakistanais qui mentionnent des adjectifs positifs.

Les communautés africaines et afro-descendantes sont également gravement touchées par le racisme structurel au niveau de l’accès au logement et au marché du travail, et principalement par les forces de l'ordre. « Un rapport récent d'OBERAXE sur les Afro-descendants met en lumière différents exemples de racisme : la discrimination perpétrée par les médias sociaux, les attaques contre les joueurs de football noirs et les réponses insuffisantes des clubs pour y remédier), et l'invisibilisation de l'héritage culturel des Afro-descendants (ou la diffusion d'un héritage biaisé) dans les écoles, ce qui est une forme de racisme institutionnel perpétré par la communauté éducative », note MPG. Et de poursuivre : « Un autre rapport récent basé sur une enquête menée auprès de 1.369 répondants afro-descendants ou migrants africains note que la forme de racisme la plus répandue est le racisme structurel (8,5 points sur 10), suivi du racisme institutionnel (8 points) et du racisme quotidien (7,6 points).

En essayant de comprendre les motivations de ces formes de discrimination, les représentants des groupes racialisés mettent en avant les facteurs suivants: politiques insuffisantes en matière d'égalité des chances; criminalisation des migrants par les partis conservateurs et d'extrême droite; pratiques de profilage racial; politiques de migration; longue tradition d'anti-africanisme; manque d'éducation sur l'histoire coloniale du pays; stéréotypes et préjugés; absence de poursuites contre les agresseurs et la xénophobie».
 
Racisme systémique

Aux Pays-Bas, où la communauté marocaine est le quatrième plus grand groupe d'immigrants (342.000 ressortissants marocains résidant officiellement dans ce pays), les principales formes de racisme structurel/institutionnel sont: le racisme anti-noir, le racisme anti-musulman, l'antisémitisme et l'antisiganisme.

Concernant le racisme anti-musulman, ledit rapport explique que «depuis plus de 20 ans, le débat sur l'islam et les musulmans aux Pays-Bas est intense et polarisé.  Environ 5% de la population néerlandaise (880.000 personnes) est musulmane (Bureau central des statistiques, 2021), mais les personnes qui ne sont pas musulmanes et qui sont perçues comme telles par d'autres peuvent également être victimes de racisme anti-musulman». « L'interdiction de se couvrir le visage, les prétendues tendances antidémocratiques de l'éducation islamique, l'ingérence étrangère et le financement d'institutions islamiques, le débat sur les réfugiés et la formation d'imams sur le sol néerlandais ne sont que quelques-uns des thèmes qui font partie du discours public et politique récurrent aux Pays-Bas», note-t-il.

Outre ce débat passionné, ajoute le document, « la communauté musulmane des Pays-Bas est confrontée à diverses pressions. Des études montrent que de nombreux citoyens non issus de l'immigration ont une perception négative de la communauté musulmane. Le racisme institutionnel anti-musulman comprend la discrimination structurelle et l'exclusion sur le marché du logement, au sein de l'administration néerlandaise et au sein de la police néerlandaise ou de l'armée».

A ce propos, MPG explique que « les prestataires de soins de santé qui portent le foulard sont souvent victimes de discrimination et de racisme dans le cadre de leur travail. Le racisme institutionnel existe également au sein du gouvernement néerlandais, comme le montre le scandale de l'aide à la garde d'enfants, où un profilage racial généralisé et systémique a été effectué à l'encontre de groupes racialisés. En outre, les musulmans néerlandais sont sous-représentés en politique. Il n'y a qu'un seul député musulman (Kauthar Bouchallikht), qui fait l'objet de menaces racistes depuis le jour de son élection ».

Dans un rapport de 2020, l'Institut néerlandais pour la recherche sociale (SCP) qui mène des recherches périodiques sur les expériences de discrimination aux Pays-Bas, indique que «les musulmans subissent des niveaux de discrimination relativement plus élevés que les autres groupes. Dans l'ensemble, 55% des musulmans ont déclaré avoir été victimes de discrimination au cours de l'année précédente, contre 21% des chrétiens et 25% des personnes sans religion. Le racisme antimusulman s'exprime le plus souvent par un traitement négatif (dans 49% des cas) et/ou un traitement inégal (dans 66% des cas). Les recherches menées par la FRA en 2018 soulignent que les Pays-Bas sont l'un des pays où la discrimination fondée sur l'origine ou la religion est la plus répandue ».

Et d’ajouter : «Pas moins de 42% des citoyens néerlandais musulmans subissent une discrimination fondée sur leur origine et 30% sur leur religion. Cette discrimination s'étend à divers domaines de la société néerlandaise, tels que le marché du logement, le marché du travail, les soins de santé et l'accès aux services sociaux publics ou privés (par exemple, les institutions culturelles, les cafés et les boîtes de nuit)».

Racisme antimusulman

En Allemagne, où résident 130.000 MRE, « les musulmans, les Roms, les Slaves, les Juifs, les personnes d'origine africaine et les minorités asiatiques sont les groupes les plus visés par le racisme structurel et institutionnel ». « Dans l'ensemble, le racisme anti-musulman est la forme la plus courante de racisme structurel en Allemagne. Le racisme anti-Noir se distingue par la brutalité exercée à l'encontre de ce groupe.  La discrimination anti-musulmane est également répandue en Allemagne. Une étude expérimentale a montré que les femmes portant le foulard ou les personnes ayant un nom à consonance turque sont discriminées sur le marché du travail.  Elles reçoivent moins d'invitations à des entretiens d'embauche alors qu'elles disposent des mêmes documents de candidature que les autres candidats.

Les données démontrent également que 56% des Allemands ne veulent pas que des Sintés et des Roms vivent dans leur quartier ou dans les centres-villes, parce que ce groupe minoritaire a tendance à commettre davantage de délits », souligne le rapport. Et d’ajouter : « Dans le domaine des soins de santé, l'étude NaDiRa note que les patients dont le nom est largement utilisé en Allemagne ont plus de chances de recevoir une réponse positive à leur demande de rendez-vous (51%) que les patients portant des noms courants en Turquie (45%) ou au Nigeria (44%). Ils subissent également un retard dans l'accès aux soins médicaux. Les femmes racialement marquées reportent ou même évitent les traitements médicaux par crainte de ne pas être prises au sérieux ou d'être moins bien traitées que les autres».

Accumulation de discriminations

En conclusion, les rédacteurs dudit rapport constatent que «le racisme structurel et institutionnel n'est pas seulement lié à la discrimination contre les individus, mais qu'il est profondément enraciné dans les multiples couches de privilèges, d'avantages et de pouvoirs sur lesquels nos sociétés sont construites ».

Ils soutiennent que «le racisme structurel résulte de l'accumulation de discriminations à l'égard des groupes racialisés, qui produit une hiérarchie raciale et s'institutionnalise. En outre, les comportements sociaux perpétuent les modèles interpersonnels et internalisés de racisme au niveau individuel, qui soutiennent en fin de compte le niveau institutionnel et structurel du racisme».

«Le racisme structurel et institutionnel se développe à travers l'histoire (colonialisme et esclavage),  les institutions (lois, politiques, pratiques et attitudes) et la société (normes, valeurs et discours). Les structures de pouvoir sociétales existantes sont fondées sur une discrimination systématique à l'encontre de certains groupes et individus dans de nombreux domaines clés de la vie, y compris le système judiciaire, les soins de santé, la vie publique, l'éducation, l'emploi et le logement», concluent-ils.

Hassan Bentaleb


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