​Le pari audacieux d'une série TV féministe en Afghanistan


Samedi 11 Avril 2015

​Le pari audacieux d'une série TV féministe en Afghanistan
"Yak, do, say, harakat!" ("un, deux, trois, action!"), lance en dari Max, le réalisateur. En pleine rue à Kaboul, une équipe de tournage afghane se lance dans les premiers plans d'une série télévisée d'inspiration féministe, un défi inédit en Afghanistan.
Shereen, le personnage principal, entre en scène. Elle fait ses courses dans un petit bazar ambulant à Kaboul. Mais son mari, un homme possessif et brutal, la rattrape. Cette femme qui se bat pour son émancipation ne se laisse pas faire. S'ensuit une altercation.
Dans la série "Shereen's law", qui doit être diffusée dans les foyers afghans d'ici à la fin de l'année, Shereen a 36 ans et élève seule ses trois enfants tout en menant tambour battant une carrière de greffière au tribunal de Kaboul. Pour ancrer encore davantage l'intrigue, elle se bat contre la corruption, le harcèlement, le viol et cherche à divorcer après un mariage forcé.
Plus de 13 ans après la chute des talibans, un tel scénario n'avait encore jamais été tenté en Afghanistan, un pays encore très conservateur.
La sélection du casting n'a d'ailleurs pas été de tout repos, plusieurs acteurs ayant renoncé devant une histoire un peu trop novatrice. L'une des actrices, qui jouait une avocate amie de Shereen, a dû reculer face à l'opposition de son mari. Un autre acteur, qui figurait comme un juge corrompu, s'est désisté par peur de pressions.
Outre les scènes d'extérieur en décors réels, l'équipe tourne de nombreuses prises dans un immeuble appartenant à la production, où ont été recréés une salle d'audience du tribunal, la maison de Shereen, les bureaux des juges, un cabinet d'avocats, etc. 
Aucun détail n'a été négligé, depuis le portrait du président Ashraf Ghani au sein du tribunal jusqu'à l'agrafeuse sur le bureau de Shereen. La série s'attaque au système judiciaire afghan, où la question de la corruption reste entourée d'une omerta. Selon une étude de l'Asia Foundation, un cercle de réflexion indépendant, 55% des personnes ayant eu affaire à des tribunaux se sont vu demander des pots-de-vin en Afghanistan, ce qui fait de la justice l'institution la plus corrompue devant la police et l'armée.
Les 12 épisodes de 45 minutes sont entièrement produits par la chaîne de télévision Tolo, un succès du paysage audiovisuel afghan dont le lancement en 2004 avait été largement financé par des fonds étrangers. 
"C'est peut-être la première série de la sorte en Afghanistan, qui parle des femmes", explique Leena Alam, qui joue le rôle de Shereen. "Je pense qu'il est temps, après plus de 30 ans d'évoluer, d'éduquer les gens et de leur donner les informations de façon aussi directe que Shereen", dit-elle, rapporte l’AFP.
Un tel positionnement a un prix: "C'est un peu dangereux", reconnaît Leena Alam. "Hier, nous tournions dehors. Quand ils disent +action+ j'oublie tout et ensuite (...) j'attends la prochaine prise. Mais j'ai toujours peur que quelqu'un me lance de l'acide ou me frappe avec un couteau", confie l'actrice.
Le réalisateur et scénariste Max Walker, un Australien venu travailler en Afghanistan, affirme avoir pris en amont toutes les assurances pour éviter de trop attirer l'attention des mollahs conservateurs. "Il y a eu un énorme (...) examen du scénario et de l'ensemble de l'histoire pour être sûr que cela soulève ces problèmes (droits des femmes, corruption, ndlr) mais sans être brutal et offensant au point que la série soit retirée de l'antenne, inch'allah", explique-t-il.
Alors que la télévision était interdite sous le régime taliban (1996-2001), aujourd'hui 58% des foyers possèdent au moins un poste de télévision, selon l'Asia Foundation. Au programme, nombre de séries léchées, importées de Turquie et d'Inde, avec lesquelles "Shereen's law" devra rivaliser.
La télévision peut jouer son rôle pour faire avancer les droits des femmes, dans un pays fortement ému par le lynchage en mars de la jeune Farkhunda, 27 ans, accusée à tort d'avoir brûlé un Coran et battue à mort à Kaboul.


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