​La détresse des paysans chinois déplacés pour étancher la soif de Pékin


AFP
Mardi 16 Décembre 2014

​La détresse des paysans chinois déplacés pour étancher la soif de Pékin
Déplacés de force au nom d'un pharaonique projet hydraulique, des centaines de milliers de Chinois se sont vu promettre une vie meilleure loin de leurs villages submergés. Mais beaucoup se disent aujourd'hui trahis et abandonnés.
L'eau doit commencer à couler ce mois-ci dans une partie de la monumentale infrastructure, d'un coût de 65 milliards d'euros, puisant dans les ressources aquifères du centre de la Chine pour étancher la soif des régions arides du nord.
Victimes collatérales du "Projet de déviation des eaux du sud au nord", une bonne partie des déplacés restent dans une situation précaire, sans emploi, dans des logements de fortune... et sans l'indemnisation promise.
Jia Xinlong se souvient du jour, il y a trois ans, où son village entier a dû déménager sous une pluie battante, les habitants entassant meubles et outils agricoles dans des camions qui allaient les transporter 300 kilomètres plus loin.
En découvrant leurs nouveaux domiciles --des dizaines de petites maisons blanches identiques entourées de champs en friche--, certains avaient éclaté en sanglots.
"Nous étions inquiets. Ces habitations avaient été construites à la va-vite, les plafonds étaient déjà craquelés", se souvient M. Jia, en pointant de larges fissures dans le toit d'une boutique.
"Nous avons fait de grands sacrifices pour le pays. Et nous avons tout perdu", abonde son ami Jia Zhangjun.
Les travaux de l'ambitieux complexe d'ingénierie hydraulique ont commencé en 2002 et doivent ouvrir trois itinéraires distincts partant du fleuve Yangtsé pour alimenter Pékin avec un milliard de mètres cubes d'eau par an.
Sur un cinquième du territoire national, les régions du nord de la Chine concentrent la moitié de la population et de l'économie. Mais pour seulement un cinquième des ressources en eau, selon la Banque mondiale.
Et les carences s'aggravent: le niveau des réserves d'eau à Pékin est tombé à 120 mètres cubes par personne, moins qu'en Algérie et autant qu'au Yémen et en Israël, pays en grande partie désertiques.
Selon la vulgate officielle, Mao Tsé-toung aurait déclaré en 1952: "Le sud a beaucoup d'eau; le nord en a peu. Si c'est possible, que le sud en prête au nord, et tout ira bien".
Or, les difficultés abondent, et les déplacements massifs de population se sont faits dans la douleur: au moins 330.000 personnes ont dû quitter leur domicile dans les provinces du Henan et du Hubei, où la section centrale du projet est aménagée, selon des médias d'Etat.
L'AFP a rencontré certains de ces migrants dans quatre hameaux édifiés à leur intention. Leurs villages natals ont été engloutis sous les eaux du grand réservoir de Danjiangkou, qui alimentera la capitale chinoise grâce à 1.264 km de canalisations.
 "L'Etat nous a demandé de déménager. On n'avait pas vraiment le choix", observe Xu Zhenyan, un vieil homme, déplacé sur 150 km jusqu'au "Nouveau Village de Liangzhuangdong".
"Il n'y a aucun travail ici, et nous avons beaucoup moins de terres qu'auparavant", se plaint Huang Jianchao, 50 ans, disant avoir subi une chute drastique de ses revenus. 
La municipalité de Nanyang, qui supervise la zone, a assuré à l'AFP que toutes les personnes déplacées avaient reçu au moins 700 m2 de terres "productives" et qu'elles bénéficieraient d'une allocation annuelle de 600 yuans (78 euros) pendant 20 ans. 
Le bureau municipal en charge de l'opération a reconnu que "le détournement" des fonds d'indemnisation était "un problème". Mais les cas sont "assez rares pour pouvoir être maintenus sous contrôle", selon lui.
Une douzaine de migrants interrogés par l'AFP ont pourtant tous affirmé ne pas avoir touché leur indemnisation en raison des détournements.
"Nous n'avons absolument rien reçu! Les mesures prévues étaient bonnes, mais n'ont pas été appliquées", a déploré à Liangzhuangdong Liang Qingfeng, 40 ans. 
Des millions de Chinois ont déjà été déplacés de force au cours des dernières décennies pour des projets d'infrastructures, généralement en l'absence quasi totale de consultations publiques.
Plus d'un million de personnes ont dû ainsi laisser place au gigantesque barrage des Trois Gorges, entré en service il y a dix ans. En 2012, le gouvernement reconnaissait que leurs conditions de vie restaient encore "un problème urgent". 


Lu 247 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Dossiers du weekend | Actualité | Spécial élections | Les cancres de la campagne | Libé + Eté | Spécial Eté | Rétrospective 2010 | Monde | Société | Régions | Horizons | Economie | Culture | Sport | Ecume du jour | Entretien | Archives | Vidéo | Expresso | En toute Libé | USFP | People | Editorial | Post Scriptum | Billet | Rebonds | Vu d'ici | Scalpel | Chronique littéraire | Chronique | Portrait | Au jour le jour | Edito | Sur le vif | RETROSPECTIVE 2020 | RETROSPECTIVE ECO 2020 | RETROSPECTIVE USFP 2020 | RETROSPECTIVE SPORT 2020 | RETROSPECTIVE CULTURE 2020 | RETROSPECTIVE SOCIETE 2020 | RETROSPECTIVE MONDE 2020 | Videos USFP | Economie_Zoom | Economie_Automobile | TVLibe









L M M J V S D
  1 2 3 4 5 6
7 8 9 10 11 12 13
14 15 16 17 18 19 20
21 22 23 24 25 26 27
28 29 30 31      





Flux RSS
p