​A Karachi, un droit de tuer presque absolu pour la police


Mardi 7 Avril 2015

​A Karachi, un droit de tuer presque absolu pour la police
Sohail Ahmed sortait paisiblement d'une mosquée de Karachi lorsque des hommes l'ont agrippé par le bras pour l'engouffrer dans une voiture. Un mois plus tard il était retrouvé mort sur un terrain de foot. Depuis, sa famille rage contre la police qu'elle accuse de l'avoir abattu sans procès.
Cet ouvrier était membre du Muttahida Qaumi Movement (MQM), formation qui règne en maître sur des pans entiers de Karachi. Dans cette mégalopole pakistanaise, les partis s'affrontent via des gangs interposés pour le contrôle des quartiers et de trafics plus ou moins licites.
Après la disparition de Sohail en décembre, sa famille n'a reçu aucune demande de rançon et les soupçons ont commencé à poindre en direction de la police, qui mène depuis septembre 2013 une vaste opération dans cette ville, endeuillée par un record de plus de 2.000 meurtres en 2013.
Car la police est soupçonnée de se livrer à des exécutions extra-judiciaires pour remettre de l'ordre dans ce chaos urbain, et d'arguer de confrontations armées qui n'auraient en fait pas lieu afin de s'arroger un "droit de tuer" quasi absolu.
"Enlever des gens pour les torturer et les tuer, n'est-ce pas du terrorisme ?", s'interroge Humaira, inconsolable : la soeur de Sohail accuse les services pakistanais d'avoir tué son frère, qui était associé à un parti dans la mire des forces de sécurité.
Si l'opération déclenchée à Karachi a permis selon la police de diminuer de 23% la criminalité dans la première ville du Pakistan, elle a aussi pris une tournure spectaculaire à la mi-mars lorsque des paramilitaires ont perquisitionné au siège du MQM pour y trouver quantité d'armes et un homme accusé de meurtre.
Selon Haider Abbas Rizvi, un cadre de ce parti télécommandé de Londres par le puissant Altaf Hussain, 36 membres du MQM ont été "tués sans procès" par les forces de sécurité depuis l'automne 2013. "Et douze personnes manquent à l'appel, la plupart enlevées ou arrêtées par des hommes habillés en civil", dit-il à l'AFP.
La police de Karachi nie toute implication dans ces meurtres et ces disparitions mystérieuses et se vante du succès de son opération. 
"Karachi était confrontée à des problèmes énormes... La situation exigeait que nous réagissions de façon musclée contre les criminels et les insurgés. Nous avons réussi à contrôler la situation et à réduire la criminalité", se targue Ghulam Haider Jamali, le chef de la police du Sind, dont Karachi est la capitale.
La police affirme avoir tué plus de 850 criminels depuis juillet dans des affrontements avec des gangsters ou des insurgés. Elle annonce à l'occasion la mort de membres d'Al-Qaïda ou de talibans pakistanais dans un "affrontement armé", mais sans qu'il soit possible d'établir qui a été véritablement tué, comment et pourquoi.
Malgré ces zones d'ombre, la population dit se sentir plus en sécurité. "Ici, vous ne pouviez pas sortir la nuit", raconte Haji Abdullah Shah Bokhari, un imam du quartier talibanisé de Sohrab Goth. "Si vous le faisiez, vous ne pouviez pas vous attendre à rentrer à la maison vivant ! Aujourd'hui, nous nous sentons plus en sécurité."
Mais ceux qui suivent de près la situation à Karachi soupçonnent la police de masquer la vérité sur ses opérations.
A l'hôpital Jinnah de Karachi, un médecin requérant l'anonymat souligne que les victimes de ces "faux affrontements" portent des marques révélatrices, ignorées des rapports officiels. "La majorité d'entre elles ont des blessures par balles. Mais la plupart du temps, elles ne proviennent pas des combats. La question est donc la suivante : +Si dix personnes ont été tuées, pourquoi aucun policier ne porte-t-il de marques de tir ? Pourquoi aucun policier n'est-il blessé ?+", s'interroge ce responsable.
Selon un autre médecin, les victimes sont souvent abattues de près, mais un morceau de pneu est placé entre le fusil et la personne tuée, ce qui limite les résidus de tir sur le corps de la victime et donne l'impression d'un tir à distance comme dans un échange.


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