Romancière, poétesse et nouvelliste, Lucile Bernard vit au Maroc depuis près de 25 ans. L’autrice française signe son sixième romain, «Carrousel d'automne» aux éditions L’harmattan, centré sur l’histoire de Jules et Jeanne.
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Libé : «Carrousel d'automne» est votre nouveau roman sorti en avril dernier. Comment avez-vous vécu le processus d'écriture et de publication de cet ouvrage ?
Lucile Bernard : L’écriture pour moi commence par un processus de maturation, c’est un enfantement. Je ne sais jamais quand le livre est prêt, quand il va sortir, quand les mots vont enfin venir courir sur la feuille, tous ensemble, dans ce débordement, cette urgence. Pour cela, il me faut de la disponibilité, la solitude aussi, un espace intérieur où les idées puissent venir, s’engranger, faire surgir cet accouchement, embrasser ce territoire de liberté qui vient s’offrir.
Comme pour tous mes précédents livres, cela a été une aventure, une recherche assidue, une exploration : toucher l’essence, écrire au plus près de ce qui traverse, quant aux mots, ces mots qui vont venir se bousculer sur la page, avec ce silence parfois rempli de cris, ce silence comme une respiration. Les mots et le silence ne font qu’un, ce sont eux qui font justement, à proprement parler, l’écriture et son histoire. Curieusement, j’ai commencé ce livre en ayant l’intention de perdre le lecteur, le dérouter, le déstabiliser, le sortir de son confort, de ses points de repères, en bousculant l’ordre chronologique des choses, en basculant d’un personnage à l’autre, et ce au risque de déplaire, de le voir quitter l’histoire, une expérience difficile et ardue où étrangement il m’est arrivé de me perdre moi aussi.
Ce roman est aussi le fruit d’une rencontre avec un autre livre, «Le bruit et la fureur» écrit par William Faulkner, cet immense écrivain. Ce livre m’a bouleversée, j’y ai trouvé comme une résonnance à ma propre histoire. Il m’a définitivement convaincue que l’écriture, comme toute forme d’art et de créativité, était avant tout une prise de risque, qu’il s’agissait de rester fidèle à cette création qui nous habite dans toute sa spécificité. Puis vient le temps de la publication, cette séparation toujours difficile, comme le dit Marguerite Duras : «Sa séparation d’avec lui, le livre rêvé, comme l’enfant dernier-né, toujours le plus aimé».
La trame du livre est construite autour de la rencontre entre Jules et Jeanne. Que pouvez-vous nous dire de plus sur ces deux personnages ?
Jules et Jeanne, ce sont deux êtres malmenés par la vie, en dérive. Ils ont vécu tous deux une enfance bancale qui les a meurtris. Jules, dans ce vide, cette absence, des parents inexistants, qui deviendra plus tard un écrivain à succès, «un pauvre type, un minable» comme il dit, puisque quelque part il a trahi l’écriture. Jeanne, dans son enfance fracassée par la violence de ce non-amour de ses parents qui se déchirent, ce petit frère qu’elle tente de protéger, cet enfant né « idiot » qui n'a pas eu de chance. Jeanne et son impossibilité de croire en l’amour qui va la pousser à quitter Jules, à vivre, malgré elle, une séparation qui va l’embarquer dans une descente aux enfers inexorable.
Un peu comme Lou et Simon dans un de vos livres, « A l’aube de nos rêves », ces deux personnages se trouvent livrés au chaos de la vie et à la noirceur des jours. Seriez-vous plus portée sur des histoires sombres ?
Je ne sais pas. Les histoires me viennent, me traversent, je ne fais que les suivre. C’est l’inspiration qui fait tout, cette étrange alchimie qui s’opère entre intériorité, extériorité. Qu’il y ait de la noirceur dans mes livres, certainement, mais il y a toujours quelque part une formidable flambée de lumière malgré tout, l’amour qui transcende et qui sauve.
Solitude et amour fou complètent la trame de votre livre. Quel aspect du livre avez-vous trouvé le plus aisé à écrire, et pourquoi ?
C’est une question difficile. Sur le point de vue de l’histoire en elle-même, je n’ai pas rencontré de réelles difficultés. La solitude et l’amour fou sont deux thèmes qui vont ensemble, se complètent, se tournent le dos parfois, ou bien ils ne font qu’un, c’est selon. La seule difficulté pour moi était le va et vient entre deux vies, deux époques qui s’entremêlaient, s’épousaient, se confondaient parfois. Arriver à conserver une unité, une cohérence, d’un bout à l’autre du livre.
« L’auteur raconte toujours la même histoire, sous des formes différentes, il y met un peu de sa vie, de ce qui le traverse via ses expériences, ses rencontres… », confiez-vous dans un précédent entretien. Existe-t-il des moments dans votre roman qui représentent une part importante de votre propre expérience personnelle ?
Oui. Il y en a tout au long du livre. Mes livres sont tous ancrés dans une réalité bien palpable, puissante, tangible à laquelle j’ajoute parfois une part de fiction. Ce la peut être un peu de ma vie, celle des autres aussi. Mais cela se fait toujours à mon insu. La fiction permet de s’évader, raconter une histoire vraie qui fait mal, échapper à la souffrance insupportable. Elle permet de raconter une histoire qui aurait pu être, mais qui n’a jamais été cependant tout à fait, de soulever une part d’ombre, de silence, de non-dits.
Vous êtes romancière, poétesse et nouvelliste. Comment ces différentes formes d'écriture ont-elles pu influencer l’écriture de ce roman ?
Mes romans sont toujours traversés par un souffle poétique. On n’échappe pas à la poésie quand elle nous habite, quand elle fait partie de nous. Je n’hésite pas à mélanger des textes purement poétiques à une autre écriture plus âpre, plus rugueuse, terre à terre, outrancière, dérangeante parfois. L’écriture de nouvelles m’a donné ce style concis, non encombré de fioritures, avec peu de descriptions, une écriture parfois elliptique, presque de scénarios. Ces deux aspects en font quelque part ma signature.
Quel genre de lecteurs espérez-vous toucher avec ce roman et où peuvent-ils se la procurer au Maroc ?
Le roman est une rencontre, on ne peut jamais dire quel en sera le lecteur. Je n’ai pas de cibles prédéfinies. Jamais. J’ai l’unique exigence de rester fidèle à moi-même, aller au plus près de l’écriture, de l’histoire, ne pas trahir cette écriture que j’aime tant par complaisance, souci de plaire. Peut-être, un jour, une main poussera la porte d’une petite librairie cachée au fond d’une cour, elle prendra, au milieu des autres, ce roman qui attendait, l’ouvrira. Et c’est comme ça que commencera l’histoire.
Propos recueillis par Alain Bouithy
Lucile Bernard : L’écriture pour moi commence par un processus de maturation, c’est un enfantement. Je ne sais jamais quand le livre est prêt, quand il va sortir, quand les mots vont enfin venir courir sur la feuille, tous ensemble, dans ce débordement, cette urgence. Pour cela, il me faut de la disponibilité, la solitude aussi, un espace intérieur où les idées puissent venir, s’engranger, faire surgir cet accouchement, embrasser ce territoire de liberté qui vient s’offrir.
Comme pour tous mes précédents livres, cela a été une aventure, une recherche assidue, une exploration : toucher l’essence, écrire au plus près de ce qui traverse, quant aux mots, ces mots qui vont venir se bousculer sur la page, avec ce silence parfois rempli de cris, ce silence comme une respiration. Les mots et le silence ne font qu’un, ce sont eux qui font justement, à proprement parler, l’écriture et son histoire. Curieusement, j’ai commencé ce livre en ayant l’intention de perdre le lecteur, le dérouter, le déstabiliser, le sortir de son confort, de ses points de repères, en bousculant l’ordre chronologique des choses, en basculant d’un personnage à l’autre, et ce au risque de déplaire, de le voir quitter l’histoire, une expérience difficile et ardue où étrangement il m’est arrivé de me perdre moi aussi.
Ce roman est aussi le fruit d’une rencontre avec un autre livre, «Le bruit et la fureur» écrit par William Faulkner, cet immense écrivain. Ce livre m’a bouleversée, j’y ai trouvé comme une résonnance à ma propre histoire. Il m’a définitivement convaincue que l’écriture, comme toute forme d’art et de créativité, était avant tout une prise de risque, qu’il s’agissait de rester fidèle à cette création qui nous habite dans toute sa spécificité. Puis vient le temps de la publication, cette séparation toujours difficile, comme le dit Marguerite Duras : «Sa séparation d’avec lui, le livre rêvé, comme l’enfant dernier-né, toujours le plus aimé».
La trame du livre est construite autour de la rencontre entre Jules et Jeanne. Que pouvez-vous nous dire de plus sur ces deux personnages ?
Jules et Jeanne, ce sont deux êtres malmenés par la vie, en dérive. Ils ont vécu tous deux une enfance bancale qui les a meurtris. Jules, dans ce vide, cette absence, des parents inexistants, qui deviendra plus tard un écrivain à succès, «un pauvre type, un minable» comme il dit, puisque quelque part il a trahi l’écriture. Jeanne, dans son enfance fracassée par la violence de ce non-amour de ses parents qui se déchirent, ce petit frère qu’elle tente de protéger, cet enfant né « idiot » qui n'a pas eu de chance. Jeanne et son impossibilité de croire en l’amour qui va la pousser à quitter Jules, à vivre, malgré elle, une séparation qui va l’embarquer dans une descente aux enfers inexorable.
Un peu comme Lou et Simon dans un de vos livres, « A l’aube de nos rêves », ces deux personnages se trouvent livrés au chaos de la vie et à la noirceur des jours. Seriez-vous plus portée sur des histoires sombres ?
Je ne sais pas. Les histoires me viennent, me traversent, je ne fais que les suivre. C’est l’inspiration qui fait tout, cette étrange alchimie qui s’opère entre intériorité, extériorité. Qu’il y ait de la noirceur dans mes livres, certainement, mais il y a toujours quelque part une formidable flambée de lumière malgré tout, l’amour qui transcende et qui sauve.
Solitude et amour fou complètent la trame de votre livre. Quel aspect du livre avez-vous trouvé le plus aisé à écrire, et pourquoi ?
C’est une question difficile. Sur le point de vue de l’histoire en elle-même, je n’ai pas rencontré de réelles difficultés. La solitude et l’amour fou sont deux thèmes qui vont ensemble, se complètent, se tournent le dos parfois, ou bien ils ne font qu’un, c’est selon. La seule difficulté pour moi était le va et vient entre deux vies, deux époques qui s’entremêlaient, s’épousaient, se confondaient parfois. Arriver à conserver une unité, une cohérence, d’un bout à l’autre du livre.
« L’auteur raconte toujours la même histoire, sous des formes différentes, il y met un peu de sa vie, de ce qui le traverse via ses expériences, ses rencontres… », confiez-vous dans un précédent entretien. Existe-t-il des moments dans votre roman qui représentent une part importante de votre propre expérience personnelle ?
Oui. Il y en a tout au long du livre. Mes livres sont tous ancrés dans une réalité bien palpable, puissante, tangible à laquelle j’ajoute parfois une part de fiction. Ce la peut être un peu de ma vie, celle des autres aussi. Mais cela se fait toujours à mon insu. La fiction permet de s’évader, raconter une histoire vraie qui fait mal, échapper à la souffrance insupportable. Elle permet de raconter une histoire qui aurait pu être, mais qui n’a jamais été cependant tout à fait, de soulever une part d’ombre, de silence, de non-dits.
Vous êtes romancière, poétesse et nouvelliste. Comment ces différentes formes d'écriture ont-elles pu influencer l’écriture de ce roman ?
Mes romans sont toujours traversés par un souffle poétique. On n’échappe pas à la poésie quand elle nous habite, quand elle fait partie de nous. Je n’hésite pas à mélanger des textes purement poétiques à une autre écriture plus âpre, plus rugueuse, terre à terre, outrancière, dérangeante parfois. L’écriture de nouvelles m’a donné ce style concis, non encombré de fioritures, avec peu de descriptions, une écriture parfois elliptique, presque de scénarios. Ces deux aspects en font quelque part ma signature.
Quel genre de lecteurs espérez-vous toucher avec ce roman et où peuvent-ils se la procurer au Maroc ?
Le roman est une rencontre, on ne peut jamais dire quel en sera le lecteur. Je n’ai pas de cibles prédéfinies. Jamais. J’ai l’unique exigence de rester fidèle à moi-même, aller au plus près de l’écriture, de l’histoire, ne pas trahir cette écriture que j’aime tant par complaisance, souci de plaire. Peut-être, un jour, une main poussera la porte d’une petite librairie cachée au fond d’une cour, elle prendra, au milieu des autres, ce roman qui attendait, l’ouvrira. Et c’est comme ça que commencera l’histoire.
Propos recueillis par Alain Bouithy
Bon à savoir :
Lucile Bernard est la fondatrice des «Rencontres internationales de la poésie» à Marrakech et du «Prix Sahara Nour» (concours de poésie ouvert aux jeunes Marocains âgés de 16 à 25 ans). Son nouveau roman, « Carrousel d’automne », paru en avril 2024, est disponible au Maroc dans les librairies Chatr à Marrakech ainsi qu’en commande sur le site https://qitab.ma/fr