
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La représentation du « Nouveau Maroc » dans le monde diplomatique
Dans un contexte marqué par des transformations économiques mondiales profondes générant des défis énormes, de nombreux pays cherchent à instaurer un modèle d'Etat social garantissant la justice et assurant les droits fondamentaux des citoyens, notamment dans les domaines de la santé, de l'éducation, du logement, de l'emploi et de la protection sociale.
Cependant, la conception même de l'Etat social, tout comme sa mise en oeuvre varient selon les capacités économiques et les orientations politiques de chaque pays. Dans ce cadre, il nous a sembé intéressant de tenter une comparaison entre deux approches différentes initiées par deux pays voisins, non pétroliers, donc ne disposant pas de véritables ressources qui les rendraient de prime abord riches. Il s'agit du Maroc qui tente de construire un Etat social dans un cadre économique se prétendant libéral, et l’Espagne, qui a adopté un modèle social-démocrate basé sur la redistribution des richesses et une gouvernance efficace.
Une contradiction entre l’idéal de l’Etat social et les choix économiques
Le monde contemporain est marqué par une contradiction évidente entre l’idéal de l’«Etat social» et les réalités dictées par les défis économiques et les choix politiques. Bien que la littérature académique le présente comme un garant des droits fondamentaux des citoyens en matière de santé, d’éducation, de logement, d’emploi et de protection sociale, sa mise en œuvre diffère d’un pays à l’autre et d’un système politique à l’autre.
Cette divergence dans la conception que chacun a du modèle de l’Etat social soulève une question essentielle : les politiques sociales, à elles seules, suffisent-elles à réduire les inégalités, ou doivent-elles être accompagnées de réformes structurelles, notamment fiscales et économiques ? Au Maroc, les défis liés aux ressources limitées et à la structure économique rendent nécessaire une réflexion sur les leviers à actionner pour garantir une protection sociale effective. En ce qui concerne l’expérience espagnole, elle montre, quant à elle, que même pour un modèle avancé de l'Etat social, celui-ci peut être fragilisé par des crises économiques successives. Dès lors, jusqu’où l’Etat peut-il aller pour concilier financement des services sociaux et attractivité des investissements sans compromettre l’un au détriment de l’autre ?
Le Maroc face aux défis du libéralisme économique
L'adoption par le Maroc de politiques économiques libérales, mais où la rente continue d'occuper une place de choix, axées sur une conception particulière de libéralisation du marché et sur la réduction du rôle de l'Etat pour ne pas dire sa démission de certains secteurs jugés non lucratifs, a certes stimulé la croissance du secteur privé, mais a aussi creusé les inégalités sociales.
Dans le domaine de la santé, les dépenses publiques ne représentent que 5,2% du PIB, laissant 40% de la population sans couverture médicale, selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (2023). Dans l’éducation, bien que le taux de scolarisation ait augmenté, 70% des élèves marocains ne savent pas lire une phrase simple en sixième année, selon la Banque mondiale (2022), ce qui reflète la crise de la qualité de l'enseignement public et son inadéquation avec le marché du travail.
Les politiques d’austérité, comme la suppression de 20% des subventions aux carburants en 2023, ont entraîné une flambée des prix, portant le taux de pauvreté à 34%, selon le Haut-Commissariat au Plan. Le chômage parmi les diplômés a atteint 38%, tandis que 60% des ménages marocains vivent dans la précarité économique, consacrant 42% de leurs revenus à l’alimentation, ce qui illustre l’insuffisance des protections sociales et l’élargissement du fossé entre riches et pauvres.
L’Espagne: la réussite du modèle social-démocrate
A l’opposé, l’Espagne a réussi à bâtir un Etat-providence grâce à des politiques social-démocrates reposant sur une intervention étatique et une redistribution des richesses.
Dans le domaine de la santé, 95% des Espagnols bénéficient d’une couverture gratuite, et les dépenses sanitaires représentent 8,7% du PIB, contribuant ainsi à une espérance de vie de 83 ans, selon l’OMS (2023). En matière d’éducation, l’école est gratuite jusqu’à l’université, avec des programmes alignés sur les besoins du marché du travail, réduisant ainsi le décalage entre formation et emploi.
L’Espagne applique également un impôt progressif atteignant 45% pour les hauts revenus et a mis en place des programmes comme le revenu minimum vital, qui a réduit la pauvreté de 30% en une décennie, selon l’Institut national de statistique espagnol. Malgré un taux de chômage des jeunes de 26%, les allocations sociales et les programmes d’emploi atténuent les effets des crises économiques.
Vers un modèle d’Etat social durable au Maroc
Pour garantir une véritable justice sociale, le Maroc doit réformer en profondeur son système fiscal en instaurant des impôts progressifs sur les grandes fortunes plutôt que de s’appuyer sur les taxes indirectes, qui représentent 48% des recettes fiscales, selon le ministère de l’Économie et des Finances (2023), pénalisant ainsi les classes moyennes et pauvres.
Il est également impératif d’augmenter les investissements dans la santé et l’éducation, qui ne reçoivent respectivement que 5,2% et 3,8% du PIB, ce qui entraîne une dégradation des services, en particulier dans les zones rurales. De plus, la mise en place de programmes d’aide directe aux populations vulnérables, à l’image du revenu minimum vital espagnol, pourrait réduire la pauvreté et favoriser la stabilité sociale.
Par ailleurs, un partenariat public-privé plus efficace pourrait améliorer la gestion des ressources, notamment dans les énergies renouvelables, où le Maroc dispose d’un énorme potentiel solaire exploitable pour créer des emplois et renforcer un développement durable.
Un Etat social viable: un équilibre entre justice et développement
La comparaison entre le Maroc et l’Espagne montre que la construction d’un État social n’est pas une utopie, mais elle requiert une volonté politique réelle pour surmonter les contradictions entre le discours constitutionnel et la réalité économique.
Alors que l’Espagne prouve que le modèle social-démocrate peut équilibrer croissance et justice, le Maroc fait face à un double défi : réformer son système fiscal, arrêter les privatisations abusives des services publics et réorienter son économie vers des priorités sociales.
Une question centrale s’impose: peut-on briser l’emprise du néolibéralisme au profit d’un modèle de développement centré sur l’humain ? Ou bien la justice sociale restera-t-elle un simple slogan dans un contexte dominé par le seul souci de générer davantage de profits et de bénéfices pour un groupe réduit de personnes qui profitent d'un système où les conflits d'intérêts semblent ne plus choquer, et où les règles de transparence peuvent être piétinées?
En fin de compte, la réussite d’un Etat social au Maroc dépendra de la capacité du gouvernement à équilibrer le développement économique et la justice sociale, en conciliant l’attractivité des investissements et la garantie des droits fondamentaux des citoyens. Le principal défi ne réside pas dans le manque de ressources, mais dans leur gestion équitable et efficace, et dans la volonté politique de transformer la justice sociale d’un concept abstrait en une réalité tangible pour tous les Marocains.
Une gouvernance en crise : absence de contre-pouvoirs et opacité politique
Sous le gouvernement actuel, l'exécutif ne se limite plus à ses prérogatives traditionnelles, mais s’est progressivement imposé comme l’acteur central du paysage politique, sans opposition réelle et avec un contrôle absolu sur les institutions étatiques. Le Parlement, censé jouer un rôle de contrepoids et de contrôle, a perdu en efficacité, laissant le gouvernement maître de ses propres décisions, sans réelle obligation de rendre des comptes.
Les institutions de gouvernance et de transparence, censées garantir une gestion équilibrée et équitable des ressources publiques, sont désormais alignées sur les directives du pouvoir exécutif, affaiblissant leur rôle de veille et de dénonciation des dérives économiques et sociales. Par conséquent, les rapports officiels mettant en lumière la précarité sociale et les déséquilibres économiques deviennent de plus en plus rares, remplacés par une rhétorique gouvernementale qui exagère les réussites et minimise les échecs.
Une gestion économique basée sur la communication plutôt que sur les réformes
Plutôt que d’affronter les problèmes structurels du chômage, de la précarité et de la corruption, le gouvernement détourne l’attention publique vers des débats secondaires. Les revendications sociales sont systématiquement qualifiées d’obstacles à l’investissement, comme si les grèves et les manifestations étaient les causes du retard économique, plutôt que l’absence de réformes structurelles et la concentration des richesses dans les mains d’une minorité privilégiée.
Même le discours religieux est instrumentalisé à des fins politiques, certaines institutions étant utilisées pour légitimer les décisions du gouvernement et disqualifier toute contestation. De plus, les voix dissidentes sont de plus en plus marginalisées, qu’il s’agisse de journalistes, d’économistes ou de personnalités politiques osant questionner la pertinence des choix gouvernementaux.
Dans le même temps, les justifications gouvernementales face aux crises économiques deviennent de plus en plus absurdes : la flambée des prix des denrées alimentaires est attribuée à des facteurs externes, l’augmentation du prix du poisson est expliquée par "l’humeur de la mer", et la crise de l’élevage par "les caprices de la nature". Ces arguments simplistes ignorent les responsabilités politiques dans la mauvaise gestion des ressources et l’absence d’anticipation face aux crises économiques mondiales.
Une alliance fragile au sein du gouvernement: rivalités internes et manque de cohésion
Le gouvernement actuel, composé de trois partis, peine à masquer ses divisions internes et son manque de cohésion stratégique. Chaque formation tente de fuir ses responsabilités en rejetant la faute sur ses partenaires ou sur les citoyens eux-mêmes.
Les Marocains, qui avaient placé leurs espoirs dans ce gouvernement pour améliorer leurs conditions de vie, se retrouvent exclus des cercles de décision, tandis que les mécanismes de transparence et de participation citoyenne sont pratiquement inexistants. Face à cette situation, l’opposition tente de jouer son rôle, en ayant activé une motion de censure parlementaire, mais cette initiative s'est heurtée à la majorité gouvernementale verrouillant toutes les discussions essentielles.
Un Etat social en péril : vers quelles solutions ?
L’écart entre les principes de l’Etat social et la réalité économique du Maroc ne cesse de se creuser. Alors que la Constitution garantit l’égalité des chances, l’accès équitable aux services de base et la protection sociale, les politiques publiques actuelles trahissent ces engagements en favorisant des logiques néolibérales de privatisation et de dérégulation.
Pour éviter l’effondrement du projet social marocain, plusieurs réformes fondamentales s’imposent :
1. Réforme fiscale :
- Introduire un impôt progressif plus équitable pour taxer les grandes fortunes et réduire la pression fiscale sur la classe moyenne.
- Réduire la dépendance aux taxes indirectes, qui pénalisent les ménages modestes.
2. Investissements publics massifs dans les secteurs stratégiques :
- Augmenter le budget de la santé et de l’éducation, aujourd’hui insuffisant pour garantir des services de qualité.
- Renforcer les programmes de protection sociale, en s’inspirant du modèle espagnol du revenu minimum garanti.
3. Réformes du marché du travail :
- Encadrer les contrats précaires et garantir des conditions de travail dignes.
- Développer des politiques actives d’emploi pour les jeunes et les diplômés.
4. Lutte contre la corruption et renforcement de la gouvernance :
- Rétablir l’indépendance des institutions de contrôle pour surveiller l’utilisation des fonds publics.
- Assurer plus de transparence dans les marchés publics et limiter les conflits d’intérêts.
Vers un modèle de développement centré sur l’humain ?
L’avenir du Maroc repose sur sa capacité à trancher entre la poursuite d’un modèle néolibéral inégalitaire et la construction d’un véritable Etat social, où les droits fondamentaux ne sont pas une marchandise soumise aux lois du marché.
L’exemple espagnol montre que l’intervention étatique, lorsqu’elle est bien encadrée, peut garantir une meilleure justice sociale sans freiner le développement économique.
Cependant, la mise en place d’un tel modèle au Maroc suppose une rupture avec certaines pratiques politiques actuelles, notamment :
- La privatisation excessive des services publics,
- L’opacité dans la gestion des finances publiques,
- Le manque de contrôle démocratique sur les grandes orientations économiques.
La question centrale demeure: le Maroc peut-il briser l’emprise du système actuel où le narratif imposé par le gouvernement essaye de montrer que tout va au mieux, alors que la majeure partie des citoyens peinent à vivre correctement et dignement, et s’orienter vers un modèle plus équilibré, où la croissance économique ne se fait pas au détriment des plus vulnérables ?
Tant que les réformes fiscales et sociales ne seront pas engagées avec une réelle volonté politique, l’Etat social restera un simple slogan plutôt qu’un projet concret. Il est donc urgent de replacer l’humain au cœur des politiques publiques, en mettant en œuvre des mécanismes garantissant une répartition plus juste des richesses et une gouvernance plus transparente et inclusive.
Cependant, la conception même de l'Etat social, tout comme sa mise en oeuvre varient selon les capacités économiques et les orientations politiques de chaque pays. Dans ce cadre, il nous a sembé intéressant de tenter une comparaison entre deux approches différentes initiées par deux pays voisins, non pétroliers, donc ne disposant pas de véritables ressources qui les rendraient de prime abord riches. Il s'agit du Maroc qui tente de construire un Etat social dans un cadre économique se prétendant libéral, et l’Espagne, qui a adopté un modèle social-démocrate basé sur la redistribution des richesses et une gouvernance efficace.
A l’opposé, l’Espagne a réussi à bâtir un Etat-providence grâce à des politiques social-démocrates reposant sur une intervention étatique et une redistribution des richesses.Essayer d'appréhender les deux approches revient à se demander si l'on peut réellement bâtir un État social juste dans un pays qui a opté soi-disant pour un modèle libéral fondé sur les mécanismes de l'économie de marché, ou si l'atteinte d'une justice sociale nécessite, de par sa nature, une intervention plus large de l'Etat à travers des politiques de redistribution des richesses et une orientation économique centrée sur les intérêts sociaux.
Une contradiction entre l’idéal de l’Etat social et les choix économiques
Le monde contemporain est marqué par une contradiction évidente entre l’idéal de l’«Etat social» et les réalités dictées par les défis économiques et les choix politiques. Bien que la littérature académique le présente comme un garant des droits fondamentaux des citoyens en matière de santé, d’éducation, de logement, d’emploi et de protection sociale, sa mise en œuvre diffère d’un pays à l’autre et d’un système politique à l’autre.
Cette divergence dans la conception que chacun a du modèle de l’Etat social soulève une question essentielle : les politiques sociales, à elles seules, suffisent-elles à réduire les inégalités, ou doivent-elles être accompagnées de réformes structurelles, notamment fiscales et économiques ? Au Maroc, les défis liés aux ressources limitées et à la structure économique rendent nécessaire une réflexion sur les leviers à actionner pour garantir une protection sociale effective. En ce qui concerne l’expérience espagnole, elle montre, quant à elle, que même pour un modèle avancé de l'Etat social, celui-ci peut être fragilisé par des crises économiques successives. Dès lors, jusqu’où l’Etat peut-il aller pour concilier financement des services sociaux et attractivité des investissements sans compromettre l’un au détriment de l’autre ?
Le Maroc face aux défis du libéralisme économique
L'adoption par le Maroc de politiques économiques libérales, mais où la rente continue d'occuper une place de choix, axées sur une conception particulière de libéralisation du marché et sur la réduction du rôle de l'Etat pour ne pas dire sa démission de certains secteurs jugés non lucratifs, a certes stimulé la croissance du secteur privé, mais a aussi creusé les inégalités sociales.
Dans le domaine de la santé, les dépenses publiques ne représentent que 5,2% du PIB, laissant 40% de la population sans couverture médicale, selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (2023). Dans l’éducation, bien que le taux de scolarisation ait augmenté, 70% des élèves marocains ne savent pas lire une phrase simple en sixième année, selon la Banque mondiale (2022), ce qui reflète la crise de la qualité de l'enseignement public et son inadéquation avec le marché du travail.
Les politiques d’austérité, comme la suppression de 20% des subventions aux carburants en 2023, ont entraîné une flambée des prix, portant le taux de pauvreté à 34%, selon le Haut-Commissariat au Plan. Le chômage parmi les diplômés a atteint 38%, tandis que 60% des ménages marocains vivent dans la précarité économique, consacrant 42% de leurs revenus à l’alimentation, ce qui illustre l’insuffisance des protections sociales et l’élargissement du fossé entre riches et pauvres.
L’Espagne: la réussite du modèle social-démocrate
A l’opposé, l’Espagne a réussi à bâtir un Etat-providence grâce à des politiques social-démocrates reposant sur une intervention étatique et une redistribution des richesses.
Dans le domaine de la santé, 95% des Espagnols bénéficient d’une couverture gratuite, et les dépenses sanitaires représentent 8,7% du PIB, contribuant ainsi à une espérance de vie de 83 ans, selon l’OMS (2023). En matière d’éducation, l’école est gratuite jusqu’à l’université, avec des programmes alignés sur les besoins du marché du travail, réduisant ainsi le décalage entre formation et emploi.
L’Espagne applique également un impôt progressif atteignant 45% pour les hauts revenus et a mis en place des programmes comme le revenu minimum vital, qui a réduit la pauvreté de 30% en une décennie, selon l’Institut national de statistique espagnol. Malgré un taux de chômage des jeunes de 26%, les allocations sociales et les programmes d’emploi atténuent les effets des crises économiques.
Vers un modèle d’Etat social durable au Maroc
Pour garantir une véritable justice sociale, le Maroc doit réformer en profondeur son système fiscal en instaurant des impôts progressifs sur les grandes fortunes plutôt que de s’appuyer sur les taxes indirectes, qui représentent 48% des recettes fiscales, selon le ministère de l’Économie et des Finances (2023), pénalisant ainsi les classes moyennes et pauvres.
Il est également impératif d’augmenter les investissements dans la santé et l’éducation, qui ne reçoivent respectivement que 5,2% et 3,8% du PIB, ce qui entraîne une dégradation des services, en particulier dans les zones rurales. De plus, la mise en place de programmes d’aide directe aux populations vulnérables, à l’image du revenu minimum vital espagnol, pourrait réduire la pauvreté et favoriser la stabilité sociale.
Par ailleurs, un partenariat public-privé plus efficace pourrait améliorer la gestion des ressources, notamment dans les énergies renouvelables, où le Maroc dispose d’un énorme potentiel solaire exploitable pour créer des emplois et renforcer un développement durable.
Un Etat social viable: un équilibre entre justice et développement
La comparaison entre le Maroc et l’Espagne montre que la construction d’un État social n’est pas une utopie, mais elle requiert une volonté politique réelle pour surmonter les contradictions entre le discours constitutionnel et la réalité économique.
Alors que l’Espagne prouve que le modèle social-démocrate peut équilibrer croissance et justice, le Maroc fait face à un double défi : réformer son système fiscal, arrêter les privatisations abusives des services publics et réorienter son économie vers des priorités sociales.
Une question centrale s’impose: peut-on briser l’emprise du néolibéralisme au profit d’un modèle de développement centré sur l’humain ? Ou bien la justice sociale restera-t-elle un simple slogan dans un contexte dominé par le seul souci de générer davantage de profits et de bénéfices pour un groupe réduit de personnes qui profitent d'un système où les conflits d'intérêts semblent ne plus choquer, et où les règles de transparence peuvent être piétinées?
En fin de compte, la réussite d’un Etat social au Maroc dépendra de la capacité du gouvernement à équilibrer le développement économique et la justice sociale, en conciliant l’attractivité des investissements et la garantie des droits fondamentaux des citoyens. Le principal défi ne réside pas dans le manque de ressources, mais dans leur gestion équitable et efficace, et dans la volonté politique de transformer la justice sociale d’un concept abstrait en une réalité tangible pour tous les Marocains.
Une gouvernance en crise : absence de contre-pouvoirs et opacité politique
Sous le gouvernement actuel, l'exécutif ne se limite plus à ses prérogatives traditionnelles, mais s’est progressivement imposé comme l’acteur central du paysage politique, sans opposition réelle et avec un contrôle absolu sur les institutions étatiques. Le Parlement, censé jouer un rôle de contrepoids et de contrôle, a perdu en efficacité, laissant le gouvernement maître de ses propres décisions, sans réelle obligation de rendre des comptes.
Les institutions de gouvernance et de transparence, censées garantir une gestion équilibrée et équitable des ressources publiques, sont désormais alignées sur les directives du pouvoir exécutif, affaiblissant leur rôle de veille et de dénonciation des dérives économiques et sociales. Par conséquent, les rapports officiels mettant en lumière la précarité sociale et les déséquilibres économiques deviennent de plus en plus rares, remplacés par une rhétorique gouvernementale qui exagère les réussites et minimise les échecs.
Une gestion économique basée sur la communication plutôt que sur les réformes
Plutôt que d’affronter les problèmes structurels du chômage, de la précarité et de la corruption, le gouvernement détourne l’attention publique vers des débats secondaires. Les revendications sociales sont systématiquement qualifiées d’obstacles à l’investissement, comme si les grèves et les manifestations étaient les causes du retard économique, plutôt que l’absence de réformes structurelles et la concentration des richesses dans les mains d’une minorité privilégiée.
Même le discours religieux est instrumentalisé à des fins politiques, certaines institutions étant utilisées pour légitimer les décisions du gouvernement et disqualifier toute contestation. De plus, les voix dissidentes sont de plus en plus marginalisées, qu’il s’agisse de journalistes, d’économistes ou de personnalités politiques osant questionner la pertinence des choix gouvernementaux.
Dans le même temps, les justifications gouvernementales face aux crises économiques deviennent de plus en plus absurdes : la flambée des prix des denrées alimentaires est attribuée à des facteurs externes, l’augmentation du prix du poisson est expliquée par "l’humeur de la mer", et la crise de l’élevage par "les caprices de la nature". Ces arguments simplistes ignorent les responsabilités politiques dans la mauvaise gestion des ressources et l’absence d’anticipation face aux crises économiques mondiales.
Une alliance fragile au sein du gouvernement: rivalités internes et manque de cohésion
Le gouvernement actuel, composé de trois partis, peine à masquer ses divisions internes et son manque de cohésion stratégique. Chaque formation tente de fuir ses responsabilités en rejetant la faute sur ses partenaires ou sur les citoyens eux-mêmes.
Les Marocains, qui avaient placé leurs espoirs dans ce gouvernement pour améliorer leurs conditions de vie, se retrouvent exclus des cercles de décision, tandis que les mécanismes de transparence et de participation citoyenne sont pratiquement inexistants. Face à cette situation, l’opposition tente de jouer son rôle, en ayant activé une motion de censure parlementaire, mais cette initiative s'est heurtée à la majorité gouvernementale verrouillant toutes les discussions essentielles.
Un Etat social en péril : vers quelles solutions ?
L’écart entre les principes de l’Etat social et la réalité économique du Maroc ne cesse de se creuser. Alors que la Constitution garantit l’égalité des chances, l’accès équitable aux services de base et la protection sociale, les politiques publiques actuelles trahissent ces engagements en favorisant des logiques néolibérales de privatisation et de dérégulation.
Pour éviter l’effondrement du projet social marocain, plusieurs réformes fondamentales s’imposent :
1. Réforme fiscale :
- Introduire un impôt progressif plus équitable pour taxer les grandes fortunes et réduire la pression fiscale sur la classe moyenne.
- Réduire la dépendance aux taxes indirectes, qui pénalisent les ménages modestes.
2. Investissements publics massifs dans les secteurs stratégiques :
- Augmenter le budget de la santé et de l’éducation, aujourd’hui insuffisant pour garantir des services de qualité.
- Renforcer les programmes de protection sociale, en s’inspirant du modèle espagnol du revenu minimum garanti.
3. Réformes du marché du travail :
- Encadrer les contrats précaires et garantir des conditions de travail dignes.
- Développer des politiques actives d’emploi pour les jeunes et les diplômés.
4. Lutte contre la corruption et renforcement de la gouvernance :
- Rétablir l’indépendance des institutions de contrôle pour surveiller l’utilisation des fonds publics.
- Assurer plus de transparence dans les marchés publics et limiter les conflits d’intérêts.
Vers un modèle de développement centré sur l’humain ?
L’avenir du Maroc repose sur sa capacité à trancher entre la poursuite d’un modèle néolibéral inégalitaire et la construction d’un véritable Etat social, où les droits fondamentaux ne sont pas une marchandise soumise aux lois du marché.
L’exemple espagnol montre que l’intervention étatique, lorsqu’elle est bien encadrée, peut garantir une meilleure justice sociale sans freiner le développement économique.
Cependant, la mise en place d’un tel modèle au Maroc suppose une rupture avec certaines pratiques politiques actuelles, notamment :
- La privatisation excessive des services publics,
- L’opacité dans la gestion des finances publiques,
- Le manque de contrôle démocratique sur les grandes orientations économiques.
La question centrale demeure: le Maroc peut-il briser l’emprise du système actuel où le narratif imposé par le gouvernement essaye de montrer que tout va au mieux, alors que la majeure partie des citoyens peinent à vivre correctement et dignement, et s’orienter vers un modèle plus équilibré, où la croissance économique ne se fait pas au détriment des plus vulnérables ?
Tant que les réformes fiscales et sociales ne seront pas engagées avec une réelle volonté politique, l’Etat social restera un simple slogan plutôt qu’un projet concret. Il est donc urgent de replacer l’humain au cœur des politiques publiques, en mettant en œuvre des mécanismes garantissant une répartition plus juste des richesses et une gouvernance plus transparente et inclusive.
L’avenir du pays dépendra de la capacité des décideurs à comprendre que la stabilité sociale et économique ne peut être atteinte sans justice sociale réelle. Une transformation profonde des politiques actuelles est nécessaire pour éviter que le Maroc ne bascule dans une société de plus en plus polarisée, où la richesse et le pouvoir restent concentrés entre les mains d’une élite privilégiée au détriment de la majorité des citoyens.
Le choix est clair : soit un tournant décisif vers un Etat social réellement inclusif, soit la perpétuation d’un modèle qui accentue les inégalités et compromet l’avenir des générations futures.
Par Mohamed Assouali
Membre du Comité national d'arbitrage et d'éthique de l’USFP.
Le choix est clair : soit un tournant décisif vers un Etat social réellement inclusif, soit la perpétuation d’un modèle qui accentue les inégalités et compromet l’avenir des générations futures.
Par Mohamed Assouali
Membre du Comité national d'arbitrage et d'éthique de l’USFP.