Khadija Moussayer : Il existe environ 8.000 cas de maladies rares au Maroc, ce qui est un nombre considérable


Libé
Jeudi 3 Octobre 2024

A l’occasion de la célébration récemment de la Journée internationale de sensibilisation au syndrome hémolytique et urémique atypique (SHUa), Dr Khadija Moussayer, spécialiste en médecine interne et présidente de l’Alliance des maladies rares au Maroc (AMRM), met en lumière cette maladie rare, ses causes, ainsi que les mécanismes de son diagnostic et de son traitement.
Dans un entretien à la MAP, Mme Moussayer aborde également le rôle que joue l’AMRM dans la sensibilisation à ces maladies, tout en évoquant certaines mesures que les autorités publiques pourraient adopter pour améliorer la qualité des services offerts aux patients atteints de maladies rares.


Le 24 septembre est célébrée chaque année la Journée internationale de sensibilisation au SHUa, pourtant cette maladie reste encore peu connue. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?

En effet, le SHUa est une maladie méconnue et classée parmi les maladies génétiques rares. Cette maladie génétique est causée par un dysfonctionnement du système du complément, qui fait partie du système immunitaire, dont la mission est de protéger l’organisme en attaquant toutes les cellules étrangères ou envahissantes. Ce dysfonctionnement entraîne des problèmes au niveau des vaisseaux sanguins, provoquant des caillots sanguins dans les petits vaisseaux.

La maladie se caractérise principalement par une anémie sévère due à la destruction des globules rouges, la destruction des plaquettes et une insuffisance rénale, les reins étant l’un des organes les plus affectés par cette maladie. Environ 50% des cas souffrent d’insuffisance rénale avancée.

Ce qui rend cette maladie dangereuse, c'est qu'elle peut affecter tout le corps, car elle attaque les petites artères, ce qui peut avoir des répercussions sur le cerveau, provoquer des paralysies partielles ou une cécité, des thromboses cardiaques, ainsi que des problèmes au niveau des poumons, du pancréas, et d'autres organes.

Il est important de faire la distinction entre deux maladies que se ressemblent : le "syndrome hémolytique et urémique atypique" et le "syndrome hémolytique et urémique secondaire". Le premier est une maladie génétique héréditaire, tandis que le second est généralement causé par une infection par la bactérie Escherichia coli, souvent contractée par la consommation d’aliments qui ne respectent pas les normes de sécurité et d’hygiène alimentaire.
Le syndrome hémolytique et urémique secondaire entraîne également la destruction des globules rouges et des plaquettes, ainsi qu’une insuffisance rénale aiguë.

Quels sont les symptômes de cette maladie et comment la diagnostique-t-on?

On pense généralement à cette maladie lorsque trois symptômes sont présents : une anémie sévère due à la destruction des globules rouges, pouvant causer une jaunisse et une urine foncée (noirâtre en raison de la présence de globules rouges), ainsi qu'une baisse des plaquettes et des problèmes rénaux.

Ces symptômes orientent le diagnostic vers une possible atteinte de cette maladie, conduisant à l’adoption de méthodes appropriées pour son diagnostic et son traitement.
Pour confirmer la présence de cette maladie, on mesure les molécules du système du complément, et on procède à un diagnostic génétique pour identifier les gènes responsables de la maladie dans l’organisme. On consulte également les antécédents familiaux du patient, étant donné qu’il s’agit d’une maladie génétique héréditaire.

Pour distinguer le syndrome hémolytique et urémique atypique du syndrome hémolytique et urémique secondaire, on effectue des analyses de sang pour rechercher les toxines de la bactérie Escherichia coli, notamment chez les enfants, car le syndrome hémolytique et urémique secondaire touche principalement les enfants.

Existe-t-il des données ou des chiffres concernant cette maladie rare au Maroc ?

En réalité, il n'y a pas de données spécifiques pour le Maroc. Cependant, au niveau mondial, cette maladie touche 1 personne sur 100.000 dans le cas du seul SHUa. Si l'on prend en compte les deux types de syndromes (le syndrome hémolytique et urémique atypique et le syndrome hémolytique et urémique secondaire), ils affectent 4 à 5 personnes sur 100.000.

Existe-t-il un médicament pour traiter cette maladie ?

Depuis 2011, un médicament a été découvert qui réduit de plus de 50% le risque d'insuffisance rénale chez les patients atteints de cette maladie, et qui protège les patients contre le risque de décès en prévenant la formation de caillots dans les petits vaisseaux sanguins.
Malheureusement, ce médicament n'est pas encore commercialisé au Maroc. Les médecins marocains, en cas d'anémie sévère, transfusent des globules rouges aux patients. Nous effectuons également des échanges plasmatiques. Parfois, cela peut entraîner une augmentation du taux de fer dans l'organisme, nécessitant ainsi l'administration d'un médicament pour réguler ce taux, en plus de la dialyse si le patient en a besoin.

En tant qu’association active dans la sensibilisation aux maladies rares, quelles sont les actions entreprises pour sensibiliser les professionnels de santé et le grand public à cette maladie ?

Il existe environ 8.000 maladies rares, ce qui est un nombre considérable. Chaque année, nous organisons une journée d’étude à l'occasion de la Journée nationale des maladies rares, qui coïncide avec la Journée internationale des maladies rares, à la fin du mois de février.

Nous organisons également chaque année, en septembre, le Forum associatif des maladies rares, qui réunit des associations de patients atteints de maladies rares et des médecins spécialisés. Cette année, il est axé sur les "troubles de l'apprentissage et les maladies rares".
Tout au long de l’année, nous mettons en place des rencontres, des conférences et des campagnes de sensibilisation à travers divers médias pour faire connaître ces maladies. En outre, nous accompagnons et encadrons les patients et leurs familles, en les encourageant à créer des associations pour faire connaître les maladies dont ils souffrent, ainsi que les difficultés qui y sont associées. Cela permet également d’engager un dialogue avec les autorités publiques pour discuter de la disponibilité des médicaments pour ces maladies et de leur commercialisation au Maroc.

Il est important de souligner le rôle des autorités publiques dans le soutien et l’encouragement des laboratoires pharmaceutiques à fournir des médicaments pour les maladies rares, ainsi que d’œuvrer à ce qu'il y ait une compensation pour ces médicaments.

La création de centres de référence est également cruciale, car il est difficile pour les médecins de connaître toutes les maladies existantes. Un centre de référence qui pourrait accueillir les cas suspects de maladies rares jouerait un rôle clé dans leur diagnostic et dans l'apport de solutions médicales appropriées à chaque cas.
En parallèle, il est nécessaire de former des médecins et des infirmiers spécialisés, capables de prendre en charge les personnes atteintes de maladies rares afin que les patients puissent bénéficier d’une expertise de qualité.

Propos recueillis par Rabiâ Salhane (MAP)


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