Imad El-Hafidi : Il est temps de reconnaître que nos aînés migrants sont des acteurs essentiels de notre société


Youssef Lahlali
Jeudi 19 Décembre 2024

Imad El-Hafidi
Imad El-Hafidi
Le docteur Imad El Hafidi, président de l'Alliance euro-marocaine de gériatrie et gérontologie (A2G) et expert en onco-gériatrie est connu pour son engagement envers les personnes âgées, les Chibani, en France.
Dans cet entretien, à l’occasion du colloque international organisé les 12 et 13 décembre
à Paris sous le thème « Les Aînés entre pays d’accueil et pays d’origine», il évoque l'engagement et les objectifs de ce congrès.


Libé : Le colloque que vous avez organisé à la Maison du Maroc les 12 et 13 décembre à Paris est un événement international qui traite de la question des aînés entre les deux rives de la Méditerranée. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?

Imad El-Hafidi : Ce choix s’explique par plusieurs raisons. D’une part, il s’agit d’une population qui a joué un rôle essentiel, tant dans le pays d’accueil que dans le pays d’origine. Cette population a été investie à tous les niveaux soit au pays d’accueil ou au pays d’origine, que ce soit en matière économique ou sociale. Ces aînés sont concernés par des sujets cruciaux comme la santé, le bien-être, les politiques publiques, la mobilité ou encore le droit de circulation. C’est aussi une population à qui nous devons une grande reconnaissance pour sa contribution historique.

Donc, ce colloque a pour objectif de croiser les regards sur les thématiques de la vieillesse dans l’immigration

Exactement. Nous avons structuré cet événement autour de différents panels. Chaque intervenant apporte une perspective unique sur la manière d’améliorer la qualité de vie de ces aînés. Lorsque nous parlons des deux rives, nous abordons aussi la situation des aînés immigrés. Beaucoup d’entre eux ont contribué non seulement au développement économique des pays d’accueil mais également à celui du Maroc, à travers par exemple les transferts de fonds qui représentent aujourd’hui 15% du PIB marocain.

Vous parliez également des difficultés auxquelles ces aînés font face, notamment sur le plan juridique et social dans le pays d’accueil

Tout à fait. Prenons l’exemple de certains pays comme la France, où des aînés risquent de perdre leurs droits à la retraite s’ils s’absentent pendant plus de six mois. C’est une situation injuste, surtout au regard des contributions de ces personnes aux sociétés européennes. Le colloque vise à identifier ces problématiques et à proposer des solutions concrètes.

Au niveau européen, les problèmes ne varient-ils pas selon les pays?

Absolument. Les enjeux en France ne sont pas les mêmes qu’en Allemagne ou en Italie, par exemple. Nous avons donc fait venir des experts et des représentants associatifs de différents pays pour partager leurs expériences et émettre des recommandations. Cela inclut aussi des propositions pour une meilleure coordination avec les politiques publiques.

La première génération d’immigrés concernait principalement la France. Ya-t-il d’autres pays concernés ?

Oui, il y a aussi la Belgique, les Pays-Bas et, plus tard, l’Allemagne et l’Italie. Ces pays ont accueilli des travailleurs qui ont contribué à leur développement économique. Nous prévoyons de projeter un documentaire sur les mineurs marocains des années 1960 et 1970. (Le film « Coup de tampon », du réalisateur Rachid Al Wali avec la participation du président de l’association marocaine des mineurs Abdellah Samat)

Vous avez abordé aussi la santé des aînés…

Oui, il est crucial de prendre en charge ces aînés, qui se retrouvent parfois contraints à exercer des métiers précaires même après la retraite. Ce n’est pas normal après des décennies de travail. Il faut aussi prendre en considération les aspects de dépendance et de maladies chroniques qui augmentent avec l’âge. Nous devons réfléchir à des solutions comme la formation de professionnels du grand âge au Maroc et la création de lieux de vie dédiés, qui ne soient pas simplement des centres de retraite mais de véritables espaces de bien-être.

Il y a aussi la situation difficile de certaines femmes âgées et seules qui sont souvent oubliées.

J’ai porté leur cause, même auprès des politiques, et nous avons formulé des recommandations, parmi lesquelles leur permettre la libre circulation si elles souhaitent s’installer dans leur pays d’origine. Et aujourd’hui, sommes-nous en mesure de les accueillir et comment ? Peut-on leur créer des lieux de vie et leur permettre d’accéder à leurs droits de retraite au Maroc si elles souhaitent s’y installer ? Car elles ont des problèmes de dépendance physique et financière, et parfois elles souffrent de maladies chroniques invalidantes. Mais il y a aussi la nécessité, au Maroc, de créer des métiers pour le grand âge, et la première promotion d'infirmières spécialisées dans ce domaine médico-social sortira de l’école de Marrakech cette année.

Il s’agit aussi d’une opportunité pour le Maroc de devenir une destination attractive dans ce domaine

Le Maroc peut offrir une qualité de vie exceptionnelle, y compris pour les expatriés étrangers qui souhaitent s’y installer pour leur retraite. Nous devons valoriser notre système de santé, notre culture et notre capacité à offrir des services de qualité aux seniors, qu’ils soient marocains ou étrangers. Mais il faut aussi créer des métiers médicaux sociaux.

Un dernier mot ?

Il est temps de reconnaître que nos aînés migrants sont des acteurs essentiels de notre société. Leur bien-être est une priorité commune à tous, des professionnels de santé aux décideurs publics en passant par les citoyens.

Paris : Propos recueillis par Youssef Lahlali


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