Paolo Nespoli : Observer la Terre depuis l'espace est un spectacle incroyable


Alain Bouithy
Vendredi 17 Mai 2024

Paolo Nespoli : Observer la Terre depuis l'espace est un spectacle incroyable
Paolo Nespoli a participé à trois missions spatiales en octobre 2007, décembre 2010 et juillet 2017, cumulant ainsi 313 jours passés dans l'espace. L’ex-astronaute de l’ESA (Agence spatiale européenne) a récemment animé une conférence intitulée « Farsi Spazio » au Théâtre Italia, organisée par l’association culturelle Dante Alighieri de Casablanca en collaboration avec le consulat général d’Italie à Casablanca. Dans cet entretien, il nous livre ses impressions.

Libé : Vous avez déclaré, durant les premiers jours sur la station spatiale, que la Terre vous manquait. Aujourd'hui, diriez-vous que l'espace vous manque ?

Paolo Nespoli : C'est un débat quelque peu psychologique et philosophique, car en tant qu'êtres humains, il est difficile d'affirmer que nous sommes dans un endroit et que nous sommes pleinement heureux d'y être. C'est un peu le fond du débat. Autrement dit, vous êtes satisfait, mais il vous manque toujours quelque chose. Et cela fait partie de la philosophie humaine.

Il y a un proverbe qui dit que l'herbe est toujours plus verte de l'autre côté. C'est un peu ça. Donc, paradoxalement, si vous êtes dans l’espace, la Terre vous manque, mais si vous êtes sur Terre, l’espace vous manque.

Et c'est vrai, quand j'étais dans l'espace à un moment donné, surtout au début, j'avais l'impression que la Terre me manquait. J’ai donc cherché des choses spéciales que je ne pouvais faire que dans l’espace. Par exemple, regarder la Terre, ce qui est vraiment un spectacle incroyable.

À mon retour, notamment durant les premiers jours, l'espace me manquait : cette liberté physique d'évoluer dans l'espace et de se déplacer en trois dimensions malgré le poids et l’attraction terrestre. Donc, j’étais un peu nostalgique de l’espace.

Mais quand j'ai ressenti cette nostalgie, j'ai réalisé qu'il valait peut-être mieux me concentrer sur le fait que j'avais réussi à devenir astronaute, que j'avais été dans l'espace, que j'avais volé en navette, que j'avais volé à bord de Soyouz, que j'avais passé 300 jours là-haut, et que je ne pouvais donc pas demander mieux que ça. Et j'aurais dû être heureux comme ça.
Alors, j’ai essayé de faire quelque chose qu’on oublie parfois de faire : Plutôt que de se concentrer sur ce qui nous manque, il est préférable de penser à ce que nous avons déjà eu et d'en être satisfaits.

Votre parcours est tout à fait unique. Dès le plus jeune âge, vous avez eu cette obsession de devenir astronaute. Bien que vous ayez été recalé à deux reprises, vous avez continué à y croire. D'où tirez-vous cette détermination ?

Je ne saurais dire d'où elle émane. C'est peut-être un trait de caractère. Ma mère avait l'habitude de dire que j'étais très têtu. Avec le temps, j'ai réalisé que cette obstination pouvait être bénéfique pour atteindre mes objectifs; en me fournissant l'élan nécessaire pour surmonter des obstacles qui auraient autrement semblé insurmontables, bien que parfois elle puisse être excessive.

Savoir discerner entre le moment où cela devient trop et celui où cela peut être utile est ce qui distingue l'intelligence humaine. Mais cette distinction n'est pas toujours évidente.

Si vous n'aviez pas réalisé ce rêve, comment pensez-vous que votre vie aurait été ?

J'ai envisagé une carrière en ingénierie non pas parce que c'était une exigence pour devenir astronaute, mais parce que j'avais une réelle passion pour ce domaine.

Ainsi, j'ai étudié l'ingénierie pendant 10 ans, sachant qu'il était beaucoup plus probable que je devienne ingénieur plutôt qu'astronaute. Si j'ai finalement réalisé mon rêve d'être astronaute, c'était un bonus. J'ai toujours eu un amour pour l'ingénierie et je savais que c'était une voie qui me correspondait, même indépendamment de mes aspirations spatiales.

A quel moment avez-vous senti que votre rêve allait cette fois-ci se réaliser ? Quel était le signe distinctif ? Car vous avez rencontré de nombreuses difficultés?

Je vais vous raconter une anecdote : lors de la deuxième sélection, les examinateurs m'ont posé une question technique complexe sur le fonctionnement des satellites en laisse à laquelle j'ai répondu. Mais je n'étais pas satisfait de ma réponse. Alors, quand j'ai vu le résultat de la sélection, je me suis dit que c'était peut-être pour cette raison que je n’avais finalement pas été retenu.

C’est ainsi que, lors de la troisième sélection, j’ai étudié cette question technique sur les satellites en orbite dans tous les détails. J'étais prêt à répondre en me disant que si on me la posait à nouveau, cette fois-ci j'allais « cartonner ».

Lorsque je me suis présenté à la troisième sélection, il y avait une dizaine d’examinateurs. C'était assez impressionnant et angoissant, car c'étaient tous des professeurs très spécialisés chacun dans son domaine.

Peut-être pour me rassurer, l'un de ces professeurs m'a demandé quel était mon hobby. J'ai répondu en disant que j'aime la photographie et là j'ai peut-être touché une corde sensible puisqu’on a commencé à parler de photographie. Puis, à un moment donné, j’ai regardé l'horloge, 40 minutes s’étaient écoulées.

Alors que la sélection dure normalement 45 minutes, je me suis arrêté et j'ai demandé : quand parlons-nous d'espace ? L'un des professeurs m’a dit :  « Ça va, l'entretien est terminé ». Et je suis sorti en me disant, « j'ai bien étudié cette question des satellites, je la connaissais parfaitement, mais on n’a parlé que de photos ! ».

Ce n'était pas une sensation géniale... Cela dit, quelques semaines plus tard, j'ai reçu un télégramme m'informant que j'étais sélectionné. Et quelques mois plus tard, j'ai rencontré un des professeurs qui étaient là, alors je lui ai demandé : « Ce n’est pas pour me plaindre, mais pourquoi m'avez-vous choisi ? »

Il m'a dit : « Tout le monde était sûr que vous connaissiez très bien les sujets techniques mais dans cette question de photographie, nous avons un plus qui pouvait apporter des émotions, nous l’avons vu en vous et c’est pour ça qu’on vous a sélectionné ».

Justement vous avez pris plusieurs photos lors de votre séjour  à bord  de la station spatiale…

La photographie a toujours été une de mes passions depuis mon enfance. Ce n'était donc pas quelque chose de nouveau.

Malgré les différences d’origine et de culture avec vos collèges astronautes, il régnait une certaine cohésion entre vous qu’on retrouve peu sur terre. Comment expliquez-vous cela? Quel est l'effet magique dans l'espace, le fait de voir la terre d’en haut ?  

Je dirais que dans un groupe, aussi varié soit-il, l’important est que l’objectif final soit partagé. Et le but final que nous visons, c’est de faire quelque chose qui soit utile à l’humanité
Pour atteindre cet objectif, vous devez accepter des autres des choses que vous n’accepteriez pas normalement.
Ce qui compte, c'est davantage la relation personnelle avec l'autre personne. Donc qu’ils soient italiens ou américains, c’est une interaction plus personnelle.

Propos recueillis par Alain Bouithy


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