Tayeb Ghazi, économiste au Policy Center for the New South

L'économie nationale a perdu 265.000.000 heures de travail par semaine depuis le deuxième trimestre 2019


Tayeb Ghazi, économiste au Policy Center for the New South, présente, dans un entretien accordé à la MAP, sa vision sur la situation actuelle du marché du travail au Maroc, ainsi que le rôle des différentes mesures visant la préservation de l'emploi à travers la reconversion et la qualification des jeunes et des actifs.

Libé
Vendredi 4 Septembre 2020

Comment évaluez-vous la situation actuelle du marché du travail au Maroc ?
La situation est certes déséquilibrée davantage et la mise en quarantaine, absolue ou relative, des facteurs de production au niveau national et chez nos partenaires, a eu ses répercussions sur le marché du travail national, particulièrement sur la demande du travail.

Les enquêtes du Haut-commissariat au plan (HCP) confortent cette réalité. En effet, l'économie nationale a perdu 64.000 emplois en milieu urbain et près de 600.000 emplois sur une période d'une année à compter du deuxième trimestre de 2019 et en termes d'heures de travail. Les mêmes enquêtes indiquent une perte de 265.000.000 heures de travail par semaine sur la même période, soit 53% des heures travaillées au niveau national et plus de la moitié dans les activités hors agriculture, forêt et pêche, ce qui reste alarmant.

Dans un contexte de recul de la population active de seulement 0,8%, le renforcement des déséquilibres s'avère alors comme un résultat inévitable, comme observé aux niveaux des taux du chômage et du sous-emploi national et catégoriels. Le premier est passé de 8,1% à 12,3% au niveau national, de 11,7% à 15,6% en milieu urbain et de 22,2% à 33,4% parmi les jeunes de 15 à 24 ans et le taux global de sous-emplois est passé de 9% à 13% au niveau national, en grande partie à cause des baisses des heures travaillées.

Comment est-ce que ce marché pourrait être relancé après la crise du Covid-19 ?
La question de la relance requiert, à mon avis, de revisiter l'ensemble des composantes du marché du travail. Nous savons qu'il existe autant de défis à relever, même avant l'avènement du Covid-19. La liste comprend ce qui relève de la faible qualité et création d'emplois, la qualité du capital humain, l'accès aux facteurs, la disponibilité d'information à même de rendre possible l'identification et l'anticipation des évolutions du marché outre l'adaptabilité des règlements et la cohérence des politiques d'emplois en vue de permettre l'accélération d'une transformation structurelle très souhaitée.

En effet, en dépit des défis "usuels" et des réformes et transformations à inscrire dans le temps, le Covid-19 semble avoir la particularité de mettre en avance l'urgence d'affronter certaines de ces conséquences, en particulier la survie des entreprises, particulièrement les plus petites, dans un contexte de persistance des engagements et de réduction conséquente des cash-flows.

Un tel contexte peut enclencher ce que les économistes appellent "des récessions de bilans", qui signifie en principe une baisse de l'activité et de l'emploi suite à l'engagement des entreprises dans une démarche d'assainissement financière. Les incertitudes concernant la demande nationale et internationale renforcent, en effet, la probabilité du prolongement d'un tel comportement de la part des entreprises et l'engagement public deviendrait alors capital pour gérer la conjoncture. Il faut tout de même noter que les modalités et les orientations d'un tel engagement restent un large champ de discussion.

Quel est le rôle des programmes de l'emploi dans la qualification et la reconversion professionnelle des jeunes et des actifs, notamment dans une conjoncture de crise sanitaire ? 
Les programmes actifs de l'emploi au Maroc s'intéressent habituellement à l'emploi indépendant (l'entrepreneuriat), la promotion de l'insertion professionnelle (hors auto-insertion) et l'amélioration de l'employabilité.
La qualification et la reconversion professionnelle sont alors un pilier majeur des programmes de l'emploi dans la mesure où elles améliorent les chances d'obtenir et de conserver un emploi, de progresser au travail et de s'adapter au changement tout au long de la vie professionnelle.
Par rapport à cette conjoncture de crise sanitaire, la qualification et la reconversion s'avèrent importantes dans la mesure où elles permettent l'acquisition de compétence en vue d'une auto-insertion, souhaitée dans un contexte de retrait des entreprises et de pénurie des emplois. Elles sont également souhaitables pour le renforcement de l'adaptation des occupés et la circulation des actifs dans un contexte de restructuration et il arrive aussi qu'elles sont indispensables à la durabilité des systèmes de flexi-sécurité, dans un contexte de "faiblesse des filets sociaux" et de précarité d'une grande partie des emplois.

Quels sont les moyens à même de favoriser l'inclusion sociale des jeunes privés d'éducation et de formation ?
Toute discussion autour de l'inclusion sociale des jeunes et des moyens à mettre en œuvre pour la favoriser est un appel à couvrir un large éventail de domaine de la vie en communauté, notamment la participation économique, au processus démocratique et à la société, y inclut la localité et la famille. C'est aussi un appel qui met l'Homme et la communauté au centre des projets sociétaux de développement, surtout avec la décentralisation et l'ambition d'une régionalisation avancée, qui impliquent une délégation et nécessitent une gestion participative et de responsabilisation.

Pour ce qui est des jeunes privés d'éducation et de formation, une école de deuxième chance et un accès universel à une formation de qualité, à tout âge et pour tous les jeunes, peut représenter un levier d'élargissement des champs d'inclusion sociale de cette catégorie, qui demeurent plus ou moins étroits en l'absence de capabilités reconnues.

Aussi, une meilleure orientation et des chemins multiples permettant le retour en formation des jeunes décrocheurs sont à réfléchir. En outre, une partie du challenge se trouve du côté des opportunités économiques, de la qualification et de la reconversion. Une autre partie renvoie naturellement à la participation au processus démocratique et à la société civile. Sur ce volet, mais pas seulement, l'information est essentielle car il faut mieux informer ces jeunes de leurs droits pour leur permettre de s'affirmer pleinement comme citoyens, comme il faut mieux connaître ces jeunes pour mieux les servir.

D'autres moyens sont envisageables en vue de lever les freins qui empêchent les jeunes privés d'éducation et de formation de réussir leur insertion sociale, y compris le dialogue social, l'utilisation des médias sociaux, l'innovation sociale, l'accompagnement, l'allègement des coûts de la mobilité et de l'accès au logement et à la santé, l'accès aux ressources, la flexibilité administrative, etc.


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