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Le privilège de l’écrivain est de nous entraîner là où il veut et où nous ne serions pas allés sans lui. Et comme le lecteur disposant d’outils de recherche, il va d’aventure en aventure pour pouvoir solliciter les plis et replis du texte afin d’en dégager un sens et en déguster sa part du plaisir qu’il lui offre.
Nos écrivains sont là pour nous ouvrir, nous lecteurs, quelques pistes de lecture et même des outils, un avant-goût de ces jouissances amenant la satisfaction voire la satiété, étant leurs complices.
Quel a été votre premier texte, nouvelle ou roman, que vous avez publié, que vous avez soumis au lecteur ?
Comme tout universitaire, travaillant sur les œuvres des autres, j’ai eu très tôt envie d’ajouter la création littéraire au discours critique. J’ai écrit mon premier roman au Maroc, en 1980. Passionné par le Nouveau Roman, je venais de faire la connaissance d’Alain Robbe-Grillet, mais, tout en conservant certains procédés d’avant-garde pour déréaliser le récit, je voulais lui assurer une certaine profondeur poétique et affective. Ainsi est né «De sable et de sang»… Lorsque je l’ai envoyé à Robbe-Grillet, il a mis du temps à me répondre, pour me dire enfin, oui, c’est intéressant, il y a une vraie écriture… mais c’est un peu sombre et puis, le nouveau roman c’est terminé. Il avait sans doute raison ! J’ai publié le texte à l’Harmattan. Vu sa complexité formelle, il a rencontré peu d’écho, même si aujourd’hui un peu plus de mille exemplaires ont été vendus selon l’éditeur. J’ai toujours considéré ce premier roman comme un échec. Je suis revenu à mes travaux universitaires et ce n’est qu’en 2017 que la pulsion créatrice m’a repris. Depuis, j’ai publié 7 romans, le prochain sortira l’an prochain pour clore le cycle en réécrivant le premier sous une autre forme…
Quels sont alors les auteurs ayant influencé votre manière de regarder les faits et de les écrire ?
D’abord deux auteurs, Robbe-Grillet et Kateb Yacine. Ma découverte de « Nedjma » a été un véritable choc culturel, et mon étude sur ce roman a constitué mon premier essai critique. Ensuite, j’ai beaucoup lu Faulkner qui m’a inspiré la technique du point de vue narratif, Kundera a aussi été une révélation pour ce qui est de la fonctionnalisation du réel. J’ai lu et relu Marguerite Duras, à cause de son écriture si particulière et de la manière dont elle pratique le discours intérieur. J’ai un peu suivi les romanciers minimalistes des éditions de Minuit, Jean-Philippe Toussaint, Christian Oster, Tanguy Viel. J’ai eu ma période « roman trash » avec Virginie Despentes, Catherine Cusset…. Les romanciers japonais m’ont également attiré, Mishima, Murakami et surtout Kawabata (« Pays de neige », « Les Belles endormies ») … Ce sont les premiers noms qui me viennent à l’esprit mais il y en a beaucoup d’autres que j’ai rencontrés au cours de ma carrière, comme Victor Segalen ou Henri Michaux… Ce qui m’intéresse quand je lis un roman, c’est la technique narrative, le reste, j’ai vite tendance à l’oublier…
Pour écrire, faudrait-il se faire imposer un cérémonial quelconque, se soumettre à des contraintes ? En est-il de même pour tous vos romans ?
Il y a une mythologie de l’écriture, entretenue par les auteurs et certains médias people… C’est ce qui transparaît dans votre question. En fait, il n’y a pas de protocole d’écriture particulier, simplement une méthode de travail, propre à chacun, dont la première étape est de trouver un sujet lorsqu’il ne s’impose pas naturellement. Ensuite, la seconde question consiste à choisir le mode d’énonciation, quel pronom utiliser pour la narration (« je » ou « il » ?) Quel temps verbal (imparfait/passé simple ou présent/passé composé) ? Quelle focalisation ? Quel type de narrateur ? Vient ensuite le choix des personnages et du cadre de l’action, puis le montage du récit, c’est-à-dire sa mise en forme. Comment construire un dispositif à partir de deux éléments à articuler, l’élément fonctionnel (les séquences d’action) et l’élément temporel (temps littéral/temps référentiel) … Toutes ces étapes peuvent se mettre en place progressivement, alors que la rédaction a déjà commencé. Un élément essentiel : écrire la première page…
Le romancier est un homme comme les autres, il n’y a pas de « cérémonial » d’écriture. Il peut écrire le matin, ou la nuit, en remontant de la plage, ou entre deux visites au supermarché… Est-ce qu’il y a un phénomène déclencheur ? Sans doute. On trouve
rarement un sujet assis dans son bureau. Des ruptures dans le quotidien, rencontres, voyages, sont souvent des éléments favorables au développement d’une fiction. Des lectures également. Par contre, une fois le projet établi, chaque instant de la vie quotidienne vient alimenter l’œuvre en cours où des événements insignifiants peuvent trouver leur place. On est en « état d’écriture ». Plus rien ne compte alors que l’avancée du projet qui réclame une disponibilité de plus en plus grande.
Ecrire, c’est le double plaisir de raconter et de se raconter une histoire, et c’est aussi le plaisir d’écrire, qui est inexplicable, dit Françoise Sagan dans un entretien accordé au Magazine littéraire en juin 1969…
Ecrire est un plaisir mais aussi un supplice. Le plaisir de raconter ? certes. La forme narrative : « il était une fois… », est aussi ancienne que le langage. Aujourd’hui encore, le mode énonciatif du récit articule la troisième personne avec l’imparfait pour l’arrière-plan et le passé simple pour le premier plan : « Il pleuvait quand il entra… » Et ce mode d’énonciation implique l’emploi du subjonctif passé et du conditionnel imparfait ! Or la plupart de ces temps sont aujourd’hui inusités… Qui, de nos jours, emploie le passé simple ou le subjonctif imparfait dans une conversation ? Pourtant, bon nombre de romanciers se coulent sans problème dans cette forme archaïsante qu’ils ressentent comme indépassable.
C’est d’abord cela sans doute le plaisir « inexplicable » dont parle Sagan, celui d’une forme prête à l’emploi dans laquelle il suffirait de se laisser porter. Dans mes romans, je n’utilise jamais cette forme énonciative. Je lui préfère la première personne et le présent/passé composé comme dans les premières lignes de « L’Etranger » d’Albert Camus : « Aujourd’hui, maman est morte »…
Ensuite, plaisir de raconter une histoire ? Certes. Mais c’est insuffisant. Combien de gens m’ont dit : avec ce que j’ai vécu, je pourrais écrire des romans… Je l’ai dit plus haut, le choix d’un sujet n’est que la première étape de l’écriture romanesque. Malheureusement, c’est l’histoire racontée qui le plus souvent retient les lecteurs comme les critiques des médias qui s’arrêtent généralement très peu sur les dispositifs d’écriture qui pourtant sont essentiels. C’est vrai cependant que la construction d’une fiction peut apporter du plaisir à l’écrivain surtout lorsqu’il puise dans son expérience personnelle, voire intime, pour alimenter son imaginaire, ses fantasmes ou ses pulsions. Mais ce plaisir doit être double, plaisir de l’histoire racontée et plaisir de la construction de cette histoire.
Ecrire est aussi un supplice. L’écriture d’un roman vous envahit pendant des mois…Il y a d’abord l’effort de recherche pour la construction de l’objet narratif, il y a ensuite le labeur de l’écriture, la mise en phrases qui imposait à Flaubert l’épreuve du « gueuloir »… La recherche d’une rythmique propre à l’histoire racontée… Enfin, il y a la phase ultime de relecture, de correction, qui vous laisse toujours insatisfait et qu’il faut pourtant un jour achever…
Pour Proust, la vie écrite est plus intense que la vie vécue. Qu’en pensez-vous ?
Je laisse à Proust son appréciation. Je pense que pour écrire, il faut avoir beaucoup vécu. Il y a sans doute des exceptions, des jeunes à l’imaginaire très formé qui compensent ce qu’ils n’ont pas encore vécu par ce qu’ils en imaginent. C’était sans doute le cas de Proust. Rimbaud a commencé par l’écriture. Il est ensuite passé à l’action et n’a jamais voulu revenir à la création, ni même s’en souvenir.
Dans l’écriture d’un roman, on met beaucoup de soi-même. Une fiction ne vaut que par sa vraisemblance si l’on s’en tient au roman réaliste. Et cette vraisemblance où la trouver sinon dans les expériences qu’on a soi-même vécues ou dont on a eu connaissance. C’est pour cela que le romancier se construit des masques. Entre le vécu et sa mise en fiction, il y a tout un travail de camouflage, de déplacement, de projection, dont la psychanalyse peut rendre compte.
Il est donc vrai que la création romanesque se situe au-delà de la simple transcription du réel. Il y a toujours une fonction cathartique de l’écriture. On peut construire un univers fictionnel pour compenser un manque, guérir une blessure... Le roman peut ainsi apparaître comme une vie plus intense que la vie vécue ! Mais dès que vous quittez votre bureau et vos êtres de papier, le réel reprend le dessus.
Le critique et écrivain Milan Kundera dit que le roman est le lieu de l’ambiguïté, le lieu où les choses ne sont jamais tranchées de manière définitive, le lieu de l’absence manichéenne. Est-ce que cela pourrait s’appliquer à vos romans ?
Tout à fait. J’ai une grande admiration pour l’œuvre de Kundera. Comme lui, je ne crois pas aux vérités simples. Ni aux solutions définitives. Faut-il rappeler sans cesse la complexité du monde dans lequel nous vivons, ainsi que la part immense d’inconnu qui est le lot de la condition humaine ? Toute opposition binaire est idéologique. Toute vérité est transitoire.
Dans la plupart de mes romans, le dénouement reste problématique. Même si certains prennent parfois la forme du polar, ce sont de faux polars… Il n’y a pas d’enquêteur, ou alors ils se refusent à résoudre l’énigme (« Brocéliande Atao »). C’est toujours au lecteur de dénouer l’intrigue (« L’Ile des pluies »). Nul ne sait ce qu’il adviendra des narrateurs de « Granville falls », ni de l’héroïne de « La Morsure » qui ignore le drame qui s’est joué en son absence. Même l’avenir des amants de « L’Héritière de Keroulaz » reste hypothétique. Dans mon prochain roman, « Ici et ailleurs » l’ambiguïté est à son comble… et le lieu recherché, celui de l’adhésion entre l’être et son territoire, demeure introuvable…
Le roman pose les éléments d’un problème, il ne le résout pas.
Propos recueillis par Abdelkrim Mouhoub
Nos écrivains sont là pour nous ouvrir, nous lecteurs, quelques pistes de lecture et même des outils, un avant-goût de ces jouissances amenant la satisfaction voire la satiété, étant leurs complices.
Quel a été votre premier texte, nouvelle ou roman, que vous avez publié, que vous avez soumis au lecteur ?
Comme tout universitaire, travaillant sur les œuvres des autres, j’ai eu très tôt envie d’ajouter la création littéraire au discours critique. J’ai écrit mon premier roman au Maroc, en 1980. Passionné par le Nouveau Roman, je venais de faire la connaissance d’Alain Robbe-Grillet, mais, tout en conservant certains procédés d’avant-garde pour déréaliser le récit, je voulais lui assurer une certaine profondeur poétique et affective. Ainsi est né «De sable et de sang»… Lorsque je l’ai envoyé à Robbe-Grillet, il a mis du temps à me répondre, pour me dire enfin, oui, c’est intéressant, il y a une vraie écriture… mais c’est un peu sombre et puis, le nouveau roman c’est terminé. Il avait sans doute raison ! J’ai publié le texte à l’Harmattan. Vu sa complexité formelle, il a rencontré peu d’écho, même si aujourd’hui un peu plus de mille exemplaires ont été vendus selon l’éditeur. J’ai toujours considéré ce premier roman comme un échec. Je suis revenu à mes travaux universitaires et ce n’est qu’en 2017 que la pulsion créatrice m’a repris. Depuis, j’ai publié 7 romans, le prochain sortira l’an prochain pour clore le cycle en réécrivant le premier sous une autre forme…
Quels sont alors les auteurs ayant influencé votre manière de regarder les faits et de les écrire ?
D’abord deux auteurs, Robbe-Grillet et Kateb Yacine. Ma découverte de « Nedjma » a été un véritable choc culturel, et mon étude sur ce roman a constitué mon premier essai critique. Ensuite, j’ai beaucoup lu Faulkner qui m’a inspiré la technique du point de vue narratif, Kundera a aussi été une révélation pour ce qui est de la fonctionnalisation du réel. J’ai lu et relu Marguerite Duras, à cause de son écriture si particulière et de la manière dont elle pratique le discours intérieur. J’ai un peu suivi les romanciers minimalistes des éditions de Minuit, Jean-Philippe Toussaint, Christian Oster, Tanguy Viel. J’ai eu ma période « roman trash » avec Virginie Despentes, Catherine Cusset…. Les romanciers japonais m’ont également attiré, Mishima, Murakami et surtout Kawabata (« Pays de neige », « Les Belles endormies ») … Ce sont les premiers noms qui me viennent à l’esprit mais il y en a beaucoup d’autres que j’ai rencontrés au cours de ma carrière, comme Victor Segalen ou Henri Michaux… Ce qui m’intéresse quand je lis un roman, c’est la technique narrative, le reste, j’ai vite tendance à l’oublier…
Pour écrire, faudrait-il se faire imposer un cérémonial quelconque, se soumettre à des contraintes ? En est-il de même pour tous vos romans ?
Il y a une mythologie de l’écriture, entretenue par les auteurs et certains médias people… C’est ce qui transparaît dans votre question. En fait, il n’y a pas de protocole d’écriture particulier, simplement une méthode de travail, propre à chacun, dont la première étape est de trouver un sujet lorsqu’il ne s’impose pas naturellement. Ensuite, la seconde question consiste à choisir le mode d’énonciation, quel pronom utiliser pour la narration (« je » ou « il » ?) Quel temps verbal (imparfait/passé simple ou présent/passé composé) ? Quelle focalisation ? Quel type de narrateur ? Vient ensuite le choix des personnages et du cadre de l’action, puis le montage du récit, c’est-à-dire sa mise en forme. Comment construire un dispositif à partir de deux éléments à articuler, l’élément fonctionnel (les séquences d’action) et l’élément temporel (temps littéral/temps référentiel) … Toutes ces étapes peuvent se mettre en place progressivement, alors que la rédaction a déjà commencé. Un élément essentiel : écrire la première page…
Le romancier est un homme comme les autres, il n’y a pas de « cérémonial » d’écriture. Il peut écrire le matin, ou la nuit, en remontant de la plage, ou entre deux visites au supermarché… Est-ce qu’il y a un phénomène déclencheur ? Sans doute. On trouve
rarement un sujet assis dans son bureau. Des ruptures dans le quotidien, rencontres, voyages, sont souvent des éléments favorables au développement d’une fiction. Des lectures également. Par contre, une fois le projet établi, chaque instant de la vie quotidienne vient alimenter l’œuvre en cours où des événements insignifiants peuvent trouver leur place. On est en « état d’écriture ». Plus rien ne compte alors que l’avancée du projet qui réclame une disponibilité de plus en plus grande.
Ecrire, c’est le double plaisir de raconter et de se raconter une histoire, et c’est aussi le plaisir d’écrire, qui est inexplicable, dit Françoise Sagan dans un entretien accordé au Magazine littéraire en juin 1969…
Ecrire est un plaisir mais aussi un supplice. Le plaisir de raconter ? certes. La forme narrative : « il était une fois… », est aussi ancienne que le langage. Aujourd’hui encore, le mode énonciatif du récit articule la troisième personne avec l’imparfait pour l’arrière-plan et le passé simple pour le premier plan : « Il pleuvait quand il entra… » Et ce mode d’énonciation implique l’emploi du subjonctif passé et du conditionnel imparfait ! Or la plupart de ces temps sont aujourd’hui inusités… Qui, de nos jours, emploie le passé simple ou le subjonctif imparfait dans une conversation ? Pourtant, bon nombre de romanciers se coulent sans problème dans cette forme archaïsante qu’ils ressentent comme indépassable.
C’est d’abord cela sans doute le plaisir « inexplicable » dont parle Sagan, celui d’une forme prête à l’emploi dans laquelle il suffirait de se laisser porter. Dans mes romans, je n’utilise jamais cette forme énonciative. Je lui préfère la première personne et le présent/passé composé comme dans les premières lignes de « L’Etranger » d’Albert Camus : « Aujourd’hui, maman est morte »…
Ensuite, plaisir de raconter une histoire ? Certes. Mais c’est insuffisant. Combien de gens m’ont dit : avec ce que j’ai vécu, je pourrais écrire des romans… Je l’ai dit plus haut, le choix d’un sujet n’est que la première étape de l’écriture romanesque. Malheureusement, c’est l’histoire racontée qui le plus souvent retient les lecteurs comme les critiques des médias qui s’arrêtent généralement très peu sur les dispositifs d’écriture qui pourtant sont essentiels. C’est vrai cependant que la construction d’une fiction peut apporter du plaisir à l’écrivain surtout lorsqu’il puise dans son expérience personnelle, voire intime, pour alimenter son imaginaire, ses fantasmes ou ses pulsions. Mais ce plaisir doit être double, plaisir de l’histoire racontée et plaisir de la construction de cette histoire.
Ecrire est aussi un supplice. L’écriture d’un roman vous envahit pendant des mois…Il y a d’abord l’effort de recherche pour la construction de l’objet narratif, il y a ensuite le labeur de l’écriture, la mise en phrases qui imposait à Flaubert l’épreuve du « gueuloir »… La recherche d’une rythmique propre à l’histoire racontée… Enfin, il y a la phase ultime de relecture, de correction, qui vous laisse toujours insatisfait et qu’il faut pourtant un jour achever…
Pour Proust, la vie écrite est plus intense que la vie vécue. Qu’en pensez-vous ?
Je laisse à Proust son appréciation. Je pense que pour écrire, il faut avoir beaucoup vécu. Il y a sans doute des exceptions, des jeunes à l’imaginaire très formé qui compensent ce qu’ils n’ont pas encore vécu par ce qu’ils en imaginent. C’était sans doute le cas de Proust. Rimbaud a commencé par l’écriture. Il est ensuite passé à l’action et n’a jamais voulu revenir à la création, ni même s’en souvenir.
Dans l’écriture d’un roman, on met beaucoup de soi-même. Une fiction ne vaut que par sa vraisemblance si l’on s’en tient au roman réaliste. Et cette vraisemblance où la trouver sinon dans les expériences qu’on a soi-même vécues ou dont on a eu connaissance. C’est pour cela que le romancier se construit des masques. Entre le vécu et sa mise en fiction, il y a tout un travail de camouflage, de déplacement, de projection, dont la psychanalyse peut rendre compte.
Il est donc vrai que la création romanesque se situe au-delà de la simple transcription du réel. Il y a toujours une fonction cathartique de l’écriture. On peut construire un univers fictionnel pour compenser un manque, guérir une blessure... Le roman peut ainsi apparaître comme une vie plus intense que la vie vécue ! Mais dès que vous quittez votre bureau et vos êtres de papier, le réel reprend le dessus.
Le critique et écrivain Milan Kundera dit que le roman est le lieu de l’ambiguïté, le lieu où les choses ne sont jamais tranchées de manière définitive, le lieu de l’absence manichéenne. Est-ce que cela pourrait s’appliquer à vos romans ?
Tout à fait. J’ai une grande admiration pour l’œuvre de Kundera. Comme lui, je ne crois pas aux vérités simples. Ni aux solutions définitives. Faut-il rappeler sans cesse la complexité du monde dans lequel nous vivons, ainsi que la part immense d’inconnu qui est le lot de la condition humaine ? Toute opposition binaire est idéologique. Toute vérité est transitoire.
Dans la plupart de mes romans, le dénouement reste problématique. Même si certains prennent parfois la forme du polar, ce sont de faux polars… Il n’y a pas d’enquêteur, ou alors ils se refusent à résoudre l’énigme (« Brocéliande Atao »). C’est toujours au lecteur de dénouer l’intrigue (« L’Ile des pluies »). Nul ne sait ce qu’il adviendra des narrateurs de « Granville falls », ni de l’héroïne de « La Morsure » qui ignore le drame qui s’est joué en son absence. Même l’avenir des amants de « L’Héritière de Keroulaz » reste hypothétique. Dans mon prochain roman, « Ici et ailleurs » l’ambiguïté est à son comble… et le lieu recherché, celui de l’adhésion entre l’être et son territoire, demeure introuvable…
Le roman pose les éléments d’un problème, il ne le résout pas.
Propos recueillis par Abdelkrim Mouhoub
Biographie
Marc Gontard est un universitaire français, né à Quiberon en 1946. Professeur de lettres, il est spécialiste des littératures francophones.
Il est élu en 2005 à la présidence de l'université Rennes 2, puis est réélu en 2008.
- En 1969, il enseigne à Marrakech dans le cadre de son service militaire, tout en préparant sa thèse à l'université Rennes 2 nouvellement créée.
- De 1971 à 1978, il est nommé assistant puis maître-assistant à l'université de Fès où il crée puis dirige le département de langue et littérature françaises.
- En 1987, il soutient, à l'université Paris IV-Sorbonne, une thèse de doctorat d'Etat sur Victor Segalen.
Il a abondamment abordé la littérature contemporaine et les littératures francophones (Maghreb, Québec, Bretagne.
Il est membre de plusieurs comités de rédaction de publications étrangères, il est directeur littéraire aux éditions L'Harmattan où il a créé et dirigé, de 1981 à 1991, la collection « Ecritures arabes », et est membre du comité éditorial des Presses universitaires de Rennes.
- De 1999 à 2003, il dirige l'équipe ERELLIF (Equipe de recherche sur la diversité linguistique et littéraire du monde francophone) qu'il a créée avec Philippe Blanchet.
- De 1998 à 2002, il assure la direction de l'école doctorale «Arts, Lettres, Langues, Communication»
- De 2002 à 2006, il est vice-président du conseil scientifique.
- Depuis 2006, il est également coprésident français du Conseil franco-québécois pour la coopération universitaire (CFQCU)
Il est élu vice-président du Comité économique, social et environnemental régional de Bretagne en 2010.
Il est élu en 2005 à la présidence de l'université Rennes 2, puis est réélu en 2008.
- En 1969, il enseigne à Marrakech dans le cadre de son service militaire, tout en préparant sa thèse à l'université Rennes 2 nouvellement créée.
- De 1971 à 1978, il est nommé assistant puis maître-assistant à l'université de Fès où il crée puis dirige le département de langue et littérature françaises.
- En 1987, il soutient, à l'université Paris IV-Sorbonne, une thèse de doctorat d'Etat sur Victor Segalen.
Il a abondamment abordé la littérature contemporaine et les littératures francophones (Maghreb, Québec, Bretagne.
Il est membre de plusieurs comités de rédaction de publications étrangères, il est directeur littéraire aux éditions L'Harmattan où il a créé et dirigé, de 1981 à 1991, la collection « Ecritures arabes », et est membre du comité éditorial des Presses universitaires de Rennes.
- De 1999 à 2003, il dirige l'équipe ERELLIF (Equipe de recherche sur la diversité linguistique et littéraire du monde francophone) qu'il a créée avec Philippe Blanchet.
- De 1998 à 2002, il assure la direction de l'école doctorale «Arts, Lettres, Langues, Communication»
- De 2002 à 2006, il est vice-président du conseil scientifique.
- Depuis 2006, il est également coprésident français du Conseil franco-québécois pour la coopération universitaire (CFQCU)
Il est élu vice-président du Comité économique, social et environnemental régional de Bretagne en 2010.