Vers un nouveau rapport de force

Chacun y va de sa propagande dans le conflit irano-israélien


Hassan Bentaleb
Mardi 16 Avril 2024

Quels efficacité ou impact ? Quelle importance tactique ou stratégique ? Et le Maghreb dans tout ça ?

« C’est la première fois dans l’histoire du conflit entre l’Iran et Israël qu’on assiste à une attaque directe entre les deux pays  alors qu’ils ont toujours réglé leur désaccord via des médiateurs ou des opérations sécuritaires (assassinat, explosions, kidnapping,...) », c’est ainsi qu’Abdellah Rami, chercheur au Centre marocain des sciences sociales, Université Hassan II de Casablanca, a qualifié le lancement dans la nuit de samedi à dimanche derniers, depuis le territoire iranien, de trois cents drones et missiles contre Israël.

 Pour lui, la réponse iranienne représente un défi lancé à Israël concernant les règles d’affrontement entre les deux pays,  notamment  au niveau des capacités de dissuasion. « L’Etat hébreu est aujourd’hui devant   un dilemme : doit-il riposter ou se retenir ? En effet, les deux options risquent de provoquer des défis et enjeux à forts prix stratégiques et politiques », nous a-t-il  expliqué. Et de poursuivre : « A noter que l’administration américaine s’oppose à toute  contre-attaque. Une position que certains décideurs politiques israéliens ne jugent pas pertinente et estiment  qu’Israël a le droit de riposter même si ce choix reste difficile à réaliser d’une manière directe. Pour eux, la riposte sera sécuritaire via des opérations de liquidation, tandis que d’autres soutiennent une attaque à l’image de celle opérée par Téhéran afin de restaurer l’image d’Israël comme puissance régionale. Toutefois, il y a une inquiétude  concernant une guerre élargie ».

Notre interlocuteur estime qu’aujourd’hui, le rapport de force est en faveur de la partie iranienne malgré la guerre de récits qui fait rage aux Etats-Unis ou en Israël indiquant l’échec de l’attaque iranienne. « En effet, chaque partie tente de se montrer comme étant vainqueur», a-t-il observé.  Les récits diffèrent concernant cette offensive en termes de résultats militaires, car si l’Iran y voit  une gifle douloureuse, Israël  souligne l’échec de ladite attaque. Un état de division qui prévaut également entre les spécialistes et les experts stratégiques au sein des groupes de réflexion et d’études spécialisées concernant l'évaluation de cette attaque,  son efficacité, son symbolisme ainsi que son importance tactique.

Concernant les conséquences de ce conflit sur la région, notre source soutient que l’Iran demeurera l’ennemi n°1 dans la région et continuera à représenter une menace stratégique pour les pays du Golfe. Selon elle, la présence militaire iranienne est une réalité qui ne date pas d’aujourd’hui.  En effet,  ajoute-t-elle, Téhéran a déjà procédé à des attaques contre des intérêts des pays du Golfe  via ses médiateurs (houthis, hezbollah, …. ) en profitant de la passivité des Etats-Unis qui ne respectent pas leurs engagements en matière de protection de leurs alliés.

A ce propos, Abdellah Rami estime que la dernière attaque iranienne pourrait être considérée comme le début d’une vraie alliance entre Washington et les pays du Golfe contre l’Iran en dissipant les malentendus et le manque de confiance entre les deux parties. Mieux, il estime que Rabat  pourrait bien bénéficier de cette alliance, à l’inverse d’Alger classée encore comme pro-iranienne.

« Même si on n’arrive plus à définir sa vraie  position. Est-ce qu’il s’agit d’un allié stratégique ou nécessaire ? », précise-t-il. Et d’ajouter : « Le Maroc est un allié du NATO, des Etats-Unis et il est membre  des  Accords d’Abraham. Et cette position lui donne la priorité dans son conflit avec l’Algérie ».

Hassan Bentaleb

Iran-Israël, une longue histoire de désamour

Pourquoi le régime de Téhéran s'est-il lancé dans cette aventure? Certes, le messianisme chiite, au pouvoir en Iran, porte en lui, dès l'origine, le rêve de la destruction de l'État juif. Pour cette théocratie islamique, le projet sur lequel a été fondée "l'entité sioniste", un cocktail de modernité laïque, démocratie, culture de masse occidentale, autonomie de l'individu, incarne une anomalie à éradiquer au cœur de l'espace musulman et l'occupation de Jérusalem, la Ville sainte, un scandale auquel tout bon croyant doit mettre fin. En 2001, le président Hachemi Rafsandjani avait lancé un appel à ce qu'un État musulman détruise Israël par une frappe nucléaire. Quatre ans plus tard, son successeur, Mahmoud Ahmadinejad, lors d'une conférence à Téhéran intitulée "Un monde sans sionisme", déclare qu'"Israël doit être rayé de la carte" en qualifiant l'État hébreu de "stigmate [sur] la face du monde musulman". Pourtant, l'attaque du 13 avril, annoncée en amont, pour spectaculaire qu'elle soit, reste d'un point de vue militaire plus symbolique qu'efficace, plus un avertissement que lourde de destructions. Les alliés de l'"Axe de la résistance" (le Hezbollah au Liban, la rébellion houthiste au Yémen) n'ont lancé qu'un nombre limité de drones.

Jusqu'à présent, l'engagement militaire de l'Iran contre "l'entité sioniste" prenait la forme d'une guerre par procuration en armant et en finançant des milices et groupes terroristes en Irak, au Liban et à Gaza (le Hamas et le Jihad islamique palestinien). "Avec le nouveau paysage stratégique de l'après - 7 octobre, largement créé par l'Iran, Téhéran voit une occasion à saisir dans le chaos, analyse Suzanne Maloney, vice-présidente de la Brookings Institution. La guerre à Gaza a permis de rehausser la stature de son régime, de délégitimer Israël, de saper les intérêts américains et de façonner à son profit l'ordre régional." L'attaque de la semaine dernière s'inscrirait dans cette ambition hégémonique affichée à destination de l'autre grand régional, l'Arabie saoudite tentée par l'ouverture vers l'Occident, et l'oumma, la communauté des croyants. "L'Iran est au sommet de sa puissance", s'est réjoui Ebrahim Raïssi, président de la République islamique. Au passage, l'opération permet de détourner l'opinion publique iranienne des difficultés causées par une situation économique désastreuse (30 % d'inflation, des pénuries, etc.) et facilite le retour de la répression par la police des mœurs contre une jeunesse en révolte.

Source : LePèlerin


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