Une prison très controversée : L'Europe frileuse dans l'accueil d'anciens détenus de Guantanamo


Libé
Jeudi 12 Janvier 2012

Une prison très controversée : L'Europe frileuse dans l'accueil d'anciens détenus de Guantanamo
L'Europe, en pointe dans la critique de la prison de Guantanamo ouverte il y a 10 ans, n'a accueilli qu'une cinquantaine d'ex-détenus de ce camp, regrettent des défenseurs des droits de l'Homme qui dénoncent cette "frilosité" dictée par la crainte de se mettre l'opinion à dos.
A son arrivée à la Maison Blanche en 2009, Barack Obama avait promis la fermeture dès janvier 2010 de la très controversée prison de Guantanamo, ouverte quatre mois après les attentats du 11 septembre 2001.
Emportée par cette dynamique, "l'Europe avait laissé entendre qu'elle serait prête à aider le président Obama à (...) accueillir un certain nombre de prisonniers libérables", se rappelle Patrick Baudouin, président d'honneur de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH).
"Or force est de constater que les Européens se sont montrés très frileux. On ne se précipite pas ni pour inciter le président Obama à vider Guantanamo, ni pour l'aider à le faire", ajoute-t-il à l'AFP.
Une dizaine de pays européens, y compris l'Albanie, ont accueilli une cinquantaine d'ex-détenus de Guantanamo, soit parce qu'ils avaient la nationalité de ces Etats ou y avaient résidé, soit parce qu'ils étaient menacés de mauvais traitements dans leur propre pays.
Le Royaume-Uni abrite le plus grand nombre d'entre eux, soit une quinzaine, dont Moazzam Begg, qui a effectué l'an dernier une tournée en Europe avec l'organisation britannique Reprieve pour convaincre des pays d'accueillir des anciens de Guantanamo.
La réaction la plus fréquente était "Eh bien, c'est un problème américain. Si l'Amérique ne les a pas pris, pourquoi devrions-nous le faire ?", a-t-il raconté mardi lors d'une conférence de presse à Londres.
"La réalité est que ces ex-prisonniers ont été torturés. N'est-il pas temps que le vocabulaire change, qu'ils ne soient plus appelés des suspects terroristes ? Et quand cela sera le cas, le processus de réinstallation sera beaucoup plus facile", a-t-il estimé. Des pays "se disent, après tout, pour l'accueil de 10 ou 15 prisonniers de Guantanamo, on ne va quand même pas se mettre nos opinions publiques à dos", complète Patrick Baudouin.
Une fois installés en Europe, une infime minorité d'anciens de Guantanamo a fait parler d'elle pour avoir enfreint la loi: l'Italie a par exemple expulsé l'un d'entre eux, le Tunisien Adel Ben Mabrouk, soupçonné d'avoir planifié un attentat à Milan.
Certains se battent cependant contre les mauvais traitements qu'ils disent avoir subis. Au Royaume-Uni, d'anciens détenus ont accusé les forces de sécurité britanniques de complicité de torture dans la prison américaine, obligeant Londres à verser des dommages et intérêts à 16 ex-prisonniers en 2010.
Une fois libérés, accueillis dans des pays dont ils ne parlent pas nécessairement la langue, nombre d'anciens prisonniers, stigmatisés, ont d'énormes difficultés à refaire leur vie.
"J'ai frappé à la porte de dizaines d'entreprises mais dès qu'ils entendent parler de mon passé, c'est +non+. Même les Arabes qui sont à leur compte ici me refusent de peur d'avoir des ennuis", témoigne Boudellaa Hadj, rentré en Bosnie en décembre 2008.
La contribution de l'Europe pour tenter de mettre fin à Guantanamo est "la bienvenue, même si certains pays auraient pu faire davantage", conclut Rob Freer d'Amnesty International.
"Mais il ne faut pas oublier", ajoute-t-il, "que les Etats-Unis sont les premiers responsables des détentions et qu'ils ont refusé de faire ce qu'il ont incité d'autres pays à faire, à savoir accepter des détenus libérés qui ne pouvaient pas rentrer dans leur pays".


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