Les crises sociales et économiques au Maroc : Un manque de vision stratégique et l'urgence d'une refonte des modes de gestion


Mohamed Assouali
Vendredi 10 Janvier 2025

Les crises sociales et économiques au Maroc : Un manque de vision stratégique et l'urgence d'une refonte des modes de gestion
Au cours des dernières années, le Maroc a connu des transformations profondes, marquées par des crises économiques, sociales et environnementales interconnectées. Ces crises, loin d’être transitoires, ont mis en évidence des lacunes dans la gestion des ressources publiques, l'inefficacité des réformes mises en place et une vision stratégique insuffisante. La situation actuelle exige une réflexion immédiate sur les causes profondes de ces échecs et une refonte globale des politiques publiques pour relever ces défis de manière durable.

Le bilan des échecs gouvernementaux
 Une gestion inadaptée face aux défis socioéconomiques
 
Les crises que le monde a traversées ces dernières années avaient incité les pouvoirs publics dans un certain nombre de pays à remettre en question leurs orientations, notamment économiques, et à remettre l’humain au centre de leurs préoccupations et de leurs programmes. Au Maroc, il semble, au contraire, que le gouvernement s’est montré peu sensible aux impacts des crises successives sur les populations vulnérables. Il continue de se réjouir de ce qu’il considère comme ses propres réussites sans trop prendre en compte les difficultés auxquelles beaucoup de Marocains sont confrontés dans leur quotidien. Il suffit à cet effet de voir à quel point notre pays est devenu dépendant des autres dans certains secteurs stratégiques tels que l’agriculture et l’élevage. Et bien que cette réalité n'échappe plus à personne, toute critique à l’envers du « Maroc Vert » est considérée comme inadmissible et son auteur est vite vilipendé.

En effet, le gouvernement semble avoir échoué à apporter une réponse adéquate aux enjeux majeurs de l’économie. La dépendance excessive de l’économie nationale à des secteurs traditionnels, tels que l’agriculture et le phosphate, a révélé l'absence d'une stratégie de diversification économique. Si des secteurs comme l'automobile, l'aéronautique et les technologies de l'information ont connu des avancées, leur contribution reste encore marginale par rapport aux secteurs traditionnels.

Les effets de cette dépendance sont particulièrement visibles dans le secteur agricole. La sécheresse prolongée a eu un impact direct en 2024, avec une chute de 43% de la production de céréales, exacerbant la crise alimentaire et l'augmentation des prix des produits agricoles. Cette situation met en lumière la nécessité urgente de réorienter l’économie vers des secteurs plus résilients face aux chocs climatiques.

Les programmes destinés à encourager les petites et moyennes entreprises, comme "Awrach", "Intilaka" et "Forssa", se sont révélés inefficaces. Bien qu’ils aient été accompagnés de financements importants, ces programmes n’ont pas atteint leurs objectifs : l’esprit entrepreneurial n’a pas été suffisamment dynamisé et les obstacles au financement demeurent insurmontables pour de nombreux jeunes entrepreneurs. Le chômage, notamment parmi les jeunes, continue de croître, atteignant 21,4% en 2024, un reflet direct de l’incapacité du gouvernement à créer un environnement favorable à l’emploi durable.
 
Les crises environnementales
Une gestion défaillante des ressources naturelles et du changement climatique
 
Le Maroc fait face à une crise environnementale sans précédent, notamment en raison du changement climatique. La raréfaction des ressources en eau, associée à une sécheresse prolongée, affecte directement l'agriculture, mais aussi la vie quotidienne des citoyens. Les barrages et autres infrastructures hydrauliques construits par le gouvernement ont certes permis de limiter les effets de ces crises, mais ils restent insuffisants au regard de la gravité de la situation.

Pour contrer ces crises, une stratégie nationale d’adaptation au changement climatique est impérative. Il ne s’agit pas uniquement de renforcer les infrastructures hydrauliques existantes, mais aussi d’encourager des pratiques agricoles plus durables, comme l'irrigation goutte-à-goutte et la transition vers des cultures résistantes à la sécheresse. De plus, l’investissement dans des solutions de dessalement de l'eau et dans des énergies renouvelables pourrait permettre de diversifier les ressources disponibles et d’assurer la pérennité de l’économie marocaine face aux bouleversements climatiques.
 
Les échecs sociaux : Disparités persistantes et gouvernance défaillante dans les secteurs de la santé et de l'éducation
 
Les inégalités sociales et territoriales sont encore très présentes au Maroc, exacerbées par une mauvaise répartition des ressources et un manque d'infrastructures dans les zones rurales et périphériques. Si la couverture sanitaire a été étendue, l’accès aux soins reste limité pour une grande partie de la population, notamment dans les zones éloignées. Les hôpitaux publics souffrent d’un manque d'équipements modernes et d’un personnel insuffisant, et les familles modestes se tournent souvent vers le secteur privé, accentuant les inégalités.

Le secteur éducatif connaît une situation similaire. Bien que l'accès à l'éducation se soit amélioré, la qualité de l’enseignement continue de se détériorer. Le taux de déperdition scolaire reste préoccupant, surtout dans les zones rurales, ce qui compromet la formation d'un capital humain capable de répondre aux besoins économiques de demain.
 
Réformes fiscales et gestion des finances publiques
 Un système inéquitable et un déficit croissant
 
Le système fiscal marocain est marqué par une forte injustice, les petites entreprises et les salariés étant les principaux contributeurs à la fiscalité, tandis que les grandes entreprises bénéficient de nombreuses exonérations fiscales. Ce déséquilibre accentue les inégalités et empêche une redistribution équitable des ressources.

L’élargissement de la base fiscale et la lutte contre l’évasion fiscale sont des priorités urgentes pour améliorer les finances publiques. Le Maroc doit mettre en place une fiscalité progressive, où les plus grandes entreprises et les plus riches contribueraient davantage. Les réformes fiscales doivent également cibler les secteurs à fort potentiel de croissance, comme l’économie numérique et les industries de haute technologie, tout en rationalisant les dépenses publiques pour éviter une accumulation de dettes.
 
Les réussites diplomatiques
 Une lumière dans l’obscurité interne
 
Malgré les difficultés internes, la diplomatie marocaine a réussi à faire émerger plusieurs succès notables. Sous la direction de SM le Roi Mohammed VI, le Maroc a su consolider son rôle en tant qu’acteur majeur sur la scène régionale et internationale. L’un des points forts de cette diplomatie a été l’adhésion de beaucoup de pays à l’approche marocaine dans le traitement de la question Sahara marocain, une question stratégique qui a gagné un soutien croissant parmi les nations membres de l’Internationale socialiste et au-delà.

Ce succès diplomatique a non seulement renforcé la position du Maroc vis-à-vis de son voisinage, mais aussi porté ses ambitions pour l’unification du Maghreb arabe, un objectif fondamental pour la prospérité régionale. L’implication du Maroc dans des forums mondiaux, tels que la COP22, démontre sa capacité à s’impliquer activement dans des débats mondiaux, tout en renforçant ses relations avec des puissances mondiales et régionales.

Vers un changement radical
La nécessité d’une gouvernance renouvelée et d’une vision stratégique pour le Maroc
 
Face à ces défis multiples, le Maroc a besoin d’une gouvernance plus inclusive, stratégique et tournée vers l'avenir. L'adoption d'un modèle économique fondé sur la diversification, l'innovation et la durabilité est essentielle pour renforcer la résilience du pays face aux crises économiques et environnementales.

Compte tenu des choix que le Maroc a fait en matière d’organisation de ses territoires, il lui incombe donc de procéder au renforcement de la gouvernance locale, notamment en améliorant la gestion des ressources au niveau régional pour réduire les disparités.
Par ailleurs, les réformes économiques doivent se concentrer sur la transition vers une économie verte, l’encouragement de l’investissement dans les secteurs de l'innovation technologique et la promotion des industries émergentes. Les jeunes et les femmes doivent être placés au centre de ces réformes, en tant qu’acteurs principaux de la transformation économique et sociale du pays.

Ces réformes n’auront néanmoins pas tout l’impact escompté si elles ne sont pas accompagnées par le renforcement de la démocratie et la transparence, par une gestion rigoureuse et responsable des finances publiques et par la mise en œuvre des mesures nécessaires permettant de lutter efficacement contre la corruption. La participation citoyenne doit également être encouragée à tous les niveaux, de manière à permettre une plus grande responsabilisation et à promouvoir des politiques publiques réellement en phase avec les attentes des citoyens.

Les forces socialistes et le défi des prochaines élections
Le chemin vers un avenir meilleur
 
A moins d'une année et demie de la fin du mandat de l’actuel gouvernement, dont l’orientation foncièrement libérale s’est traduite par une condescendance à l’égard des attentes et des besoins d'une large partie de la population marocaine, et par le dénigrement de toute voix voulant pointer les conflits d'intérêts dans lesquels certains ministres sont impliqués, il semble que les défis actuels ne recevront pas l'attention qu'ils méritent. La situation économique et sociale risque de rester inchangée, car faire face à ces crises nécessite une forte volonté politique et une vision stratégique claire qui place l'intérêt des citoyens au cœur des priorités des décideurs, ainsi qu’une capacité à capitaliser sur les succès diplomatiques du Maroc pour convertir les défis en opportunités.

Au vu de la brutalité dont certains membres de l’actuel gouvernement font preuve chaque fois que des critiques leur sont faites quant à leur manière de gérer la chose publique, et compte tenu de la multiplication des échecs dans la gestion des secteurs sociaux, économiques et financiers, l’augmentation du chômage, de la hausse du coût de la vie, ainsi que des problèmes liés aux caisses de retraite, d'assurance, de couverture sanitaire et de protection sociale, la responsabilité des forces politiques de gauche s’avère grande. Il leur revient de se positionner comme alternative. Il leur incombe de réunir leurs forces pour mieux se préparer aux prochaines échéances électorales de 2026 et 2027 afin d'obtenir une majorité confortable pour faire face à l'extrémisme gouvernemental actuel. La réussite de ces forces dans cette entreprise reste néanmoins tributaire de leur capacité à créer des connexions fortes et pérennes avec les citoyens et à réussir à se donner un cap, à proposer un projet de société qui soit plus reluisant, plus équitable, plus juste et plus séduisant aux yeux des jeunes.

Le Parti des Forces Populaires, qui a réussi à faire évoluer les positions du Conseil mondial de l'Internationale socialiste en faveur du Maroc et de sa Cause nationale, dispose des fondements idéologiques et pratiques, ainsi que de la volonté politique nécessaire, pour unifier les forces de la gauche démocratique face aux politiques libérales. Cette orientation a été concrétisée par le pacte de coordination et de partenariat entre le Parti du Progrès et du Socialisme et l'Union Socialiste des Forces Populaires, ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour construire une alliance forte qui contribuera à renforcer la démocratie, instaurer la justice sociale et accélérer le développement durable.

Une vision stratégique pour un avenir prospère et inclusif
 
Le Maroc doit saisir l’opportunité d’une réforme globale de son modèle de développement, fondée sur une gestion plus équitable des ressources, une diversification économique durable et une transition énergétique réussie.

Il est impératif que le pays développe une stratégie à long terme pour répondre aux défis climatiques, renforcer ses infrastructures sociales et favoriser l'émergence d'une classe moyenne dynamique et éduquée. Une telle transformation nécessite un engagement politique fort, mais aussi une forte participation citoyenne.

Avec une diplomatie toujours plus influente et une vision stratégique audacieuse, le Maroc peut sortir de ses crises internes et offrir à ses citoyens un avenir prospère, équitable et durable.

Par Mohamed Assouali
Membre de la Commission nationale d'arbitrage et d'éthique de l’USFP


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