Un nouveau jalon dans l’édifice de l’informatique quantique


Par Abdelkarim Nougaoui et Driss Bria*
Mercredi 19 Juin 2013

Un nouveau jalon dans l’édifice de l’informatique quantique
Dans l’article paru dans Libération du  12 décembre 2012, et que nous avions intitulé : «L’informatique quantique entre la réalité et la fiction», nous avions évoqué les différentes possibilités et démarches de production des Bits Quantiques (en anglais Quantum Bits Qbit), l’équivalent du bit digital en informatique classique. Sachant qu’à ce jour, la question de savoir si un ordinateur quantique est foncièrement plus efficace qu’un ordinateur classique est toujours posée, car le problème principal réside dans la production des Qubits. A ce sujet, plusieurs projets sont en cours à travers le monde pour construire concrètement des Qubits viables et les réunir dans un circuit. Ces recherches mettent en œuvre la physique théorique très pointue.
Nous reprenons ci-après un important passage de l’article du 12 décembre 2012, pour mieux justifier le présent article.
 ‘’Un domaine intéressant est en train d’être investi, c’est celui des boîtes quantiques où les auteurs de cet article, au sein de leur équipe, ont beaucoup travaillé  et contribué à l’étude des diverses propriétés physiques (optiques, électroniques, thermiques et mécaniques). Ils ont eu un grand nombre de publications sorties dans des revues internationales de renom, surtout lors de la première moitié de la décennie passée. En anglais Quantum Dots, ce sont des systèmes microscopiques qui possèdent malgré tout, les caractéristiques quantiques nécessaires pour l’élaboration d’un ordinateur quantique. On appelle parfois de tels systèmes par des atomes artificiels. C’est une technique qui utilise des matériaux courants dans l’industrie des semi-conducteurs : silicium et arséniure de gallium. Elle se subdivise en deux branches : l’une exploite la charge électrique des Qubits, l’autre leur spin et s’intitule électronique du spin ou encore spintronique’’.
C’est quoi la spintronique? Avant de répondre à cette question, rappelons tout de même qu’actuellement, l’électronique repose sur une propriété essentielle de la particule élémentaire qui est l’électron, via sa charge électrique. Son mouvement a relativement été bien maîtrisé par simulation et par intégration à grande échelle, selon la physique classique, dans le cadre de ce qui est appelé microélectronique. Avec le développement très poussé de la technologie du silicium, la gravure des circuits intégrés va atteindre une limite  physique de miniaturisation  qui, selon la loi de Moore, ne sera pas dépassée d’ici à l’horizon 2020. D’ici là, il va devoir repenser le concept de cette technologie, en optant pour d’autres issues, et l’électronique moléculaire en est une (voir notre article daté du 09/05/2013 intitulé : Graphène et énergie solaire).
La spintronique ou encore la magnétotronique est une technique qui tente d’exploiter la propriété quantique du spin des électrons dans le but de stocker les informations. La spintronique comme elle est développée aujourd’hui, repose aussi sur la technologie du silicium, mais en exploitant sa propriété de posséder le spin quantique. C’est une occasion pour nous de revenir sur cette notion de spin, qui est familière aux étudiants des licences scientifiques (physique et chimie). Le spin est une propriété quantique des particules, mise en évidence par l’expérience de Stern et Gerlach en 1920; c’est l’une des expériences de base sur laquelle est bâtie la théorie quantique. De manière schématique, c’est une description de mouvement de rotation en termes de moment cinétique intrinsèque ou propre, quantifiant cette rotation de la particule autour d’elle-même. Le meilleur exemple de comparaison est celui de la toupie : qui tourne autour d’elle-même avec un moment cinétique propre, et sur le plan quantique, ce moment cinétique est quantifié en demi-entiers.
Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que ce moment cinétique quantique induit par la charge, un moment magnétique au sein même de la particule. Ce qui fait d’elle un vrai aimant avec un pôle nord et un pôle sud, mais à l’échelle atomique. Par analogie avec la physique classique, une charge électrique en mouvement selon une trajectoire circulaire, est capable de créer un champ magnétique. L’intensité de ce champ magnétique est en relation étroite avec la manière dont l’électron tourne sur cette trajectoire circulaire, et une manière de caractériser ce mouvement circulaire est le moment cinétique. En physique classique, moment cinétique et moment magnétique des particules chargées, sont étroitement liés. Il en est de même donc pour la physique quantique où le spin (ou moment cinétique quantique) et le moment magnétique partagent des relations d’existence.
Le spin de l’électron est donc à voir comme une sorte d’aimant quantique, qui interagit avec d’autres spins ou spins quantiques, par exemple dans un matériau ferromagnétique qui peut être vu comme un matériau intégrant l’action à grande échelle de ces aimants quantiques pour disposer d’une aimantation spontanée. Une fois traversé par un courant  électrique, ce genre de matériau verra sa proportion (en-spins) de mouvement dans le sens de l’aiguille d’une montre (spin up), différente de celle en mouvement dans le sens contraire. On dit alors que ce milieu est de spin polarisé, avec un moment dipolaire de spin. Par cette mesure de polarisation, on arrive à inscrire une information dans le spin des électrons. Un second matériau ferromagnétique traversé par ce courant de polarisation de spin, va exercer une résistance différente selon la polarisation du courant et l’orientation de l’aimantation du matériau. Par simple mesure de la résistance électrique, on peut aisément lire l’information que possède le spin des électrons.

Un travail scientifique qui s’inscrit dans le prolongement de ce qui
a été réalisé en 2011


C’est le même principe de base pour l’Imagerie par résonance magnétique (IRM), comme moyen de diagnostic moderne et très pointu. Avec une seule différence, c’est que dans le cas de l’IRM, il s’agit d’un spin nucléaire, c’est-à-dire le spin du noyau et le magnétisme en question est appelé magnétisme nucléaire. Magnéto-électronique (ou magnétisme électronique) et magnétisme nucléaire sont décrits par le même principe. Mais comme les principaux noyaux d’intérêt biologique sont les noyaux de l’hydrogène, du carbone, du fluor, du phosphore et du sodium, seul le noyau d’hydrogène, formé d’un seul proton, joue un rôle important en imagerie aujourd’hui. On parle surtout d’IRM protonique (car le proton est synonyme de noyau d’hydrogène en chimie organique), du fait que l’hydrogène représente 2/3 des autres atomes de l’organisme. Il possède donc un moment magnétique intrinsèque protonique élevé, ce qui lui permet un couplage prépondérant et plus net au phénomène de résonance.        
Sur cette voie de la spintronique dans les boîtes quantiques, la communauté scientifique internationale a reçu avec grand enthousiasme et beaucoup de satisfaction, le résultat publié dans la revue «Nature Nanotechnology», du mois de février passé. C’est un papier de type Letter intitulé : ‘‘Bipolar spin bolckade and coherent state superposition in triple quantum dot’’.  C’est un travail qui a été réalisé conjointement par trois équipes en collaboration : d’un côté, l’équipe appartenant au département de la Théorie de la matière condensée, de l’Instituto de Ciencia de Materiales de Madrid dirigée par la Pr G. Platero. C’est à cette équipe que revient le mérite de l’élaboration du modèle théorique qui a donné des résultats, en parfait accord avec les résultats expérimentaux obtenus par deux équipes de recherche canadiennes. La première équipe appartient au NRCC d’Ottawa (National Research Council of Canada d’Ottwa), dirigée par Pr A. Sachrajda qui a réalisé la croissance du dispositif de la triple boîte quantique (par procédé MBE), sur un substrat d’hétérostructure à 2D. L’équipe du département de physique de l’université de Sherbrooke, dirigée par le Pr M. Pioro-Ladrière, a mené les expériences des mesures et leurs analyses. A. S. Sachrajda (du côté canadien) et G. Platero (du côté espagnol), sont les deux responsables de ce projet.   
Les deux auteurs de cet article (A. N. et D. B.), ont eu une collaboration fructueuse de plus de quinze ans avec le département de la Théorie de la matière condensée de l’ICMM, et ils sont une connaissance depuis une longue date du Pr G. Platero. Les échanges des points de vue, des idées, des informations scientifiques sont courants entre les deux équipes. D’un côté comme de l’autre, chaque fois qu’il y a un résultat scientifique tangible, faisant l’objet de demande d’éclaircissements, ils sont donnés  avec beaucoup de fluidité. C’est de cette manière que nous avions reçu toutes les explications du Pr Platero, concernant cet important travail, dont les résultats ont obtenu une part de citation dans les débats et médias scientifiques internationaux, autour des avancements marquant l’informatique quantique. C’est un travail scientifique qui vient dans le prolongement de ce qui a été réalisé en 2011, puisque les mêmes équipes ont réussi à mettre en évidence le blocage du moment dipolaire du spin entre les deux boites quantiques enchâssées l’une dans l’autre. Ce blocage vient comme un résultat logique dû à un principe qui est né à la même date que la théorie quantique, qui est le principe d’exclusion de Pauli interdisant tout processus de transition entre état singulet et état triplet. L’archétype de ce phénomène de blocage de spin présente son effet au niveau des propriétés de transport, dont résulte un courant de rectification.  C’est en fait, un genre de circuit quantique de deux boites, comme technologie de confinement de spins électroniques qui est considéré comme prometteur. Une fois constitué, l’ordinateur quantique comportera des millions de boîtes. Chacune d’elles contiendra un électron et sera intégré dans un circuit. Le spin de l’électron qui est un état intrinsèque de cet électron, interviendra pour stocker et manipuler l’information quantique. Les travaux de ces boîtes connaissent une évolution encourageante.
Le nouveau travail ci-haut intitulé est venu poser un nouveau jalon, qui a permis de franchir un grand pas vers la réalisation de l’ordinateur quantique. Tout se passe en fait, comme une mise  de ‘’dos à dos ‘’ de deux doubles boîtes quantiques qui finissent par interagir par donner un courant de fuite. L’effet de spin ne se manifeste que par ce type de courant, qui est mesuré entre la première et la troisième boîte. On s’attendait au blocage de spin comme c’est le cas pour les deux boîtes, mais un effet inattendu validant encore le point de vue de la théorie quantique, est apparu pour confirmer l’existence d’une particule à deux endroits différents. Ceci nous rappelle l’effet simple d’application d’un champ électrique à un condensateur avec un diélectrique placé entre ses armatures, qui se solde par une dépolarisation par neutralisation mutuelle, qui fait que les charges se recombinent en donnant un courant de fuite dans la substance diélectrique. Mais, sur les deux faces externes apparaissent des charges avec une densité superficielle égale mais de signes opposés.
En fait, sur le plan du langage quantique concernant la triple boite, c’est le phénomène de bipolarisation qui se produit, où deux doubles boites ‘’dos à dos’’ ne supportent plus de charges au niveau du celle du milieu. C’est un langage complètement différent du langage classique du condensateur. Puisque selon le mécanisme de transition par un Etat sous forme d’une superposition des états cohérents comme modèle théorique, l’équipe de l’ICMM a réussi à donner la bonne interprétation du phénomène, vérifié expérimentalement par un courant de fuite. Par ce mécanisme, la charge est intuitivement passée via ces états de la première à la troisième boite sans trace dans celle du centre. C’est un résultat qui va avoir beaucoup d’implication dans la spintronique des nanocircuits.
Le physicien de Sherbrooke Pirio-Ladrière se réjouit de ces résultats en déclarant : Qu’il s’agit d’un phénomène purement quantique. Cette découverte a d’énormes implications en informatique quantique, ainsi que pour le traitement de l’information. Le fait d’être capable de transporter des électrons vers d’autres parties d’un circuit de cette façon améliore l’efficacité des processus quantiques. Ce dispositif à trois boîtes, est le plus évolué jusqu’à nos jours, des systèmes quantiques basés sur le spin des électrons. Cette découverte pourrait rendre possible de nouveaux types d’opérations de  logique quantique, qui implique à la fois le transfert des charges et des spins.

* Professeurs  de  physique à l’Université Mohammed 1er, Oujda


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