UE-Turquie Un accord controversé


H.B
Dimanche 23 Mars 2025

UE-Turquie Un accord controversé
Qu’en est-il de la coopération entre l'Union européenne et la Turquie en matière de gestion des migrations, formalisée par l'accord de 2016, qui a longtemps été présentée comme une solution pour endiguer les flux de réfugiés vers l'Europe ? Le Maroc a-t-il intérêt à suivre l’exemple turc ? Border Violence Monitoring Network (BVMN), une coalition de 18 organisations de défense des droits humains, tire la sonnette d'alarme. Elle estime que neuf ans après sa mise en œuvre, cet accord est aujourd'hui au cœur de vives critiques, notamment pour ses conséquences désastreuses sur les droits de l'Homme : « Des centres d'éloignement aux conditions inhumaines aux expulsions forcées vers des zones de guerre, en passant par des disparitions inquiétantes, les preuves s'accumulent contre un système qui sacrifie les droits fondamentaux au nom de la gestion des frontières », précise dans un communiqué BVMN qui appelle à la fin de la coopération de l'UE avec la Turquie. Analyse.
 
Des violations récurrentes
 
Depuis 2020, BVMN a documenté de nombreuses violations en Turquie, notamment une aide juridique gravement compromise,  des atteintes au droit à la protection,  des mauvais traitements dans les centres d'expulsion incluant torture, discours de haine et harcèlement et des retours forcés, parfois mortels. 

Le réseau dénonce le fait que l'UE continue de considérer la Turquie comme un « pays tiers sûr », une décision qui met en danger la vie des personnes en déplacement et bafoue quotidiennement leurs droits. 

Jessi Kume, coordinateur des politiques européennes du BVMN, a déclaré :  « La Syrie n'est pas encore sûre pour tout le monde. Pourtant, l'UE finance un régime d'immigration turc qui déporte régulièrement des réfugiés vers des zones de guerre. Les Etats membres de l'UE doivent cesser toutes les expulsions vers la Turquie, qui facilitent ces déportations».  Le Centre juridique de Lesbos a ajouté :  «La classification de la Turquie comme pays tiers sûr pour toutes les nationalités a toujours été une décision politique déconnectée de la réalité.

Le cadre juridique turc restreint l'accès à l'asile, les conditions d'accueil sont inadéquates, et les traitements inhumains lors de la détention et de l'expulsion violent systématiquement le principe de non-refoulement. La Turquie ne remplit en aucun cas les critères pour être considérée comme un pays tiers sûr». 
 
Financement européen et conditions inhumaines 
 
Un rapport intitulé Lighthouse, publié en octobre 2023, révèle que l'UE a alloué 213 millions d'euros pour la construction et l'entretien d'une trentaine de centres d'éloignement en Turquie, portant le total des fonds accordés à près d'un milliard d'euros pour gérer les flux migratoires. Une partie de ces fonds a servi à renforcer les systèmes de prise d'empreintes digitales pour repérer et arrêter les migrants dans les rues, ainsi qu'à équiper les centres de barbelés et de murs plus hauts. 

Ces centres ne font l'objet d'aucun contrôle indépendant en matière de droits de l'Homme, ce qui entraîne une absence totale de responsabilité concernant les conditions de détention. Les témoignages des détenus décrivent des situations alarmantes : 

- Surpopulation et insalubrité : Les familles, y compris des enfants, sont détenues dans des conditions déplorables, sans accès adéquat aux soins médicaux. 
- Torture et traitements inhumains: Dans le camp d'éloignement de Sanliurfa, des détenus ont été placés dans des «chambres frigorifiques» à des températures extrêmement basses en guise de punition. Des tentatives de suicide et des déportations forcées y ont également été signalées. 
- Famine : Un détenu ouïghour du centre d'Istanbul Tuzla a affirmé avoir préféré mourir de faim plutôt que d'utiliser des toilettes insalubres. 
- Aide juridique limitée : Les détenus disposent désormais de seulement 7 jours (au lieu de 15) pour faire appel d'une décision d'expulsion. L'accès à un avocat est difficile, et de nombreux barreaux refusent de fournir une aide juridique.
 
Expulsions forcées et disparitions 
 
La Turquie continue d'expulser des migrants sous la contrainte, les forçant à signer des documents de « retour volontaire ». Plusieurs cas illustrent que ces retours ne sont ni informés ni volontaires : 

- Abdul Eyse, un Syrien de 28 ans vivant légalement en Turquie depuis quatre ans, a été arrêté, battu, forcé de signer un document d'expulsion, puis abandonné en Syrie. 
- Au centre d'Aydın, des fonctionnaires ont menacé des détenus, leur disant qu'ils n'avaient « pas d'autre choix » que de signer les formulaires. 

En outre, des disparitions forcées de migrants dans les centres d'expulsion ont été rapportées :
- Un avocat a signalé la disparition d'un de ses clients et de son enfant de trois ans pendant 15 jours, sans aucune information fournie. 
- Les détenus restent souvent injoignables pendant des semaines, et les avocats ne reçoivent des réponses qu'après des pressions, souvent une fois les expulsions déjà effectuées. 

Des reporters de terrain ont révélé l'introduction de nouvelles pratiques de détention dans la région égéenne avec la mise en place du système « GÖKSEM » (Centre d'admission préliminaire et d'orientation des immigrants en situation irrégulière). Ce nouveau système est vraisemblablement conçu pour alléger la pression sur les gardes-côtes et les gendarmes turcs en réduisant les détentions indéfinies, mais il est à l'origine de transferts sur de grandes distances, ce qui entraîne une augmentation du nombre de personnes détenues.

Par exemple, les personnes appréhendées près de la côte égéenne sont transférées vers des lieux éloignés, tels qu'Urfa à la frontière syrienne, puis enregistrées et envoyées dans d'autres lieux comme Denizli, de nouveau en mer Egée. On observe que les centres d'hébergement temporaire (GBM), initialement utilisés pour les Syriens, sont désormais étendus aux migrants afghans.

H.B


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