LUC FERRY, Qu'est ce qu'une vie réussie? , Grasset, P 479
Libérer du temps pour être
Atteindre le niveau de l'inspiration suppose un renversement de notre conception du temps, du monde et de nous-mêmes.
Du temps d'abord, car la possibilité d'inspiration naît de la fracturation du temps mesurable et efficace de notre montre. Le processus de création prend du temps, un temps fou, encore qu'il se nourrisse de tout, mais surtout évidemment de temps perdu. Ce qui empêche beaucoup de gens d'accéder à leur génie est qu'ils ne s'autorisent pas à en prendre le temps.
Mieux que cela, il faut accepter ce temps bien particulier de la création fait d'accélérations sublimes et de ralentissements himalayens. Le " juste à temps " industrieux en prend un sacré coup dans l'aile n'en déplaise à l'efficacité. Mais peut-on appeler efficacité ce qui n'est que la frénésie d'avoir toujours plus, frénésie oublieuse de l'être?
L'humanité arrivée à maturité appelle la véritable efficience, celle d'une contribution authentique, unique et pleinement consciente au monde qui nous entoure. Efficience que l'on ne peut atteindre par l'instrumentalisation aveugle de soi-même et du monde. Efficience qui suppose de s'ouvrir aux mystères du monde, d'être réceptif, de revenir en quelque sorte à l'émerveillement de l'enfant tout en le doublant de la conscience ouverte de l'adulte.
(A suivre)