L'homme est ramené à ce qui le distingue le plus radicalement parmi les vivants : sa capacité à créer et à communiquer de nouveaux concepts, c'est-à-dire son intelligence heuristique. Déjà le coût de production matériel d'un produit est largement inférieur au coût engendré en amont par sa conceptualisation (création) et en aval par la sensibilisation du public (communication).
Que ce soit pour une voiture ou un ordinateur, le coût de production pur ne représente plus qu'un faible pourcentage de la valeur marchande, et il va encore chuter avec la complète informatisation et robotisation du circuit commercial et industriel.
Depuis dix ans, le chômage est en croissance rapide dans l'univers industriel, mais il manque encore beaucoup de "génie" pour relever le formidable défi de création et de communication de ce siècle. Situation paradoxale où le déficit en "ressources humaines" est masqué par l'illusion d'une pléthore de "main-d'oeuvre" ! Mais justement peut-on considérer le "génie humain" comme une "ressource" ? Le fait que l'on soit passé en dix ans du poste de "directeur du personnel" au poste "de gestionnaire des ressources humaines" est doublement symptomatique.
D'une part, on y lit une claire tentative de valoriser ce qui apparaît finalement comme la principale ressource des entreprises. D'autre part, on s'enfonce encore plus loin dans une sorte d'instrumentalisation mécaniste des "ressources" de l'homme à l'image de ce que nous avons si bien su faire avec les autres ressources minérales, végétales et animales. L'important en l'homme n'est justement pas sa dimension minérale, végétale ou animale, mais son génie, sa capacité à créer de l'altérité, du différent, du nouveau.
C'est cette capacité que l'ordinateur ne peut concurrencer et qui fait définitivement la différence dans la valeur qu'a aujourd'hui un individu ou une entreprise. C'est pourquoi l'instrumentalisation de l'homme comme un rouage mécanique de l'entreprise est aujourd'hui un non-sens et la notion même de "ressources humaines" porteuse des confusions du passé.
Einstein avait noté que l'on ne peut résoudre un problème fondamental au niveau logique où il se pose : c'est justement le propre du génie d'apporter un regard venu d'ailleurs sur les choses. L'acte créateur est un saut dans le vide, il trouve son origine dans un au-delà de l'ordre et du désordre, il s'inscrit dans un processus d'inspiration où il faut accepter de se perdre avant de trouver.
Aujourd'hui, il nous faut une pensée de la complexité qui tienne compte du fait que le tout est plus que la somme des parties, et qui inscrive l'homme dans sa dimension d'inspiration et de poésie.
Nous avons merveilleusement compris grâce à la pensée analytique comment produire, rationaliser et industrialiser, il nous reste à apprendre, à écouter et à utiliser nos rêves, notre imagination et notre puissance de création pour construire une réalité qui réponde à nos aspirations spécifiquement humaines.
(A suivre)