-
Racisme structurel et institutionnel: Une discrimination silencieuse mais omniprésente que subissent les Marocains et autres groupes racialisés en Europe
-
Amina Bouayach : Le Maroc, un acteur majeur dans le domaine des droits de l’Homme au niveau continental
-
El Hassan Daki : Les droits de l’Homme et la prévention de la torture, une priorité première de la politique pénale
-
Une délégation de Sénateurs américains reçue par le ministre délégué chargé de l’Administration de la défense nationale et par le Général de Corps d’Armée, Inspecteur Général des FAR
-
Nasser Bourita s’entretient avec une délégation sud-africaine de l'ANC et des Sénateurs américains
Pourtant, le caractère officiel de cette déclaration n’offre aucune garantie sur sa validité. Les 60 millions de dollars dépensés par le Royaume semblent sortir du néant et ils ne sont pas sourcés. S’agit-il de dépenses supportées par le budget général de l’Etat ou sectoriel du ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de la migration ? Ou sont-elles des dépenses réglées par le ministère de l’Intérieur notamment sa Direction de la migration et de la surveillance des frontières (DMSF), laquelle est chargée de mettre en œuvre la politique de gestion des flux et d’«optimiser le déploiement des unités opérationnelles de surveillance, de contrôle et de sécurisation des points d’infiltration empruntés par les migrants irréguliers le long des frontières du Royaume ? Personne ne sait et même la loi de Finances ne peut apporter la moindre preuve en la matière. Aucune de ses dispositions ne mentionne, en effet, les dépenses en question et le budget de la DMSF est officiellement inexistant.
Tel est le cas pour le rapport établi par le ministre de l’Intérieur concernant le budget sectoriel 2014 et adressé aux membre de la Commission de l’intérieur, des collectivités locales, de l’habitat et de la politique de la ville relevant de la Chambre des représentants qui ne mentionne aucun chiffre concernant la lutte contre la migration irrégulière. Il se contente d’énumérer les actions entreprises au niveau des arrestations de migrants en situation irrégulière, de démantèlement de réseaux de passeurs et de refoulements de ces migrants vers leurs pays d’origine. « Le budget du département de l’Intérieur a toujours été considéré comme secret d’Etat. On avance souvent des chiffres généraux sans en préciser le détail. C’est le cas, par exemple, des dépenses de la Direction générale de la sûreté nationale dont on sait peu de choses sur la gestion », nous a indiqué Mohamed Kerkab, professeur à la Faculté des sciences économiques, juridiques et sociales de l’Université Cadi Ayyad à Marrakech.
Autres questions et non des moindres : où sont allés ces 60 millions de dollars ? Dans la formation et l’équipement des forces de l’ordre, à la mise à niveau des postes frontières, à l’aide au retour, aux retours forcés, aux opérations d’éloignement à l’intérieur du pays, à l’analyse du risque migratoire, à la prise en charge sociale des migrants (hébergement, soins médicaux…), ou, plutôt, à l’ensemble de ces actions ?
Faut-il donc prendre le chiffre avancé par le chef du gouvernement pour argent comptant ? « Ce chiffre reste flou et ambigu comme celui du nombre de migrants irréguliers. On peut parler plutôt d’un chiffre «politique » destiné aux décideurs européens et dont l’objectif est de leur donner l’impression qu’il y a une invasion des migrants irréguliers », nous a expliqué Mohamed Kerkab avant d’ajouter : « Il est absurde de ne pas trouver une seule trace de ce chiffre dans la loi de Finances alors qu’il s’agit d’une donnée importante ».
Mais le flou et l’ambiguïté n’entourent pas que les 60 millions de dollars supposés avoir été supportés par l’Etat. Ils entourent également les aides et les fonds européens destinés à lutter contre la migration irrégulière. Est-ce vrai que l’UE ne contribue pas à ces dépenses comme l’affirme le chef de l’Exécutif ? En fait, cette déclaration semble bizarre et en contradiction avec certains faits.
Qu’en est-il donc des fonds européens débloqués dans le cadre des programmes MEDA I (1996-2001) et MEDA II (2001-2006) qui ont largement financé la «stratégie marocaine de lutte contre l’immigration clandestine » ? Qu’en est-il également des 40 millions d’euros (400 millions de dirhams) débloqués dans le cadre du projet de «Gestion des contrôles frontaliers » dont l’objectif est de favoriser une meilleure gestion des flux migratoires par une lutte plus efficace contre l'immigration clandestine et qui ont été augmentés pour atteindre 67.625.000 euros (700 millions de dirhams) en 2006 (30 millions d’euros ayant été rajoutés au solde du programme de soutien au développement institutionnel et à la mise à niveau de la stratégie migratoire du gouvernement marocain et environ 2,5 millions ont été consacrés à l'assistance technique pour l'exécution du programme)? Quid des 654 millions d’euros octroyés dans le cadre du Programme indicatif national (PIN) pour la période 2007-2010 et de l’Instrument européen de voisinage et de partenariat (IPEV) qui inclut la « gestion frontalière » ? Qu’en est-il des projets d’assistance technique lancés par Frontex, organisme chargé de la gestion de la coopération aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne, en 2011 et destinés au Maroc et à la Tunisie et qui ciblent essentiellement les programmes de formation ?
Et last but not least, qu’en est-il des aides octroyées par l’Espagne au Maroc pour lutter contre l'immigration clandestine estimées à 90 millions d'euros en 2010 et à 15 millions en 2014 ainsi que les aides gouvernementales étrangères européennes (Norvège, Pays-Bas, Suisse…) destinées à financer les retours volontaires ?
Apparemment, Abdelilah Benkirane est dans une mauvaise posture. Soit qu’il ne maîtrise pas bien le dossier de la migration et c’est grave, soit que les informations qui lui ont été fournies sont erronées et c’est encore pire. A moins qu’il ne s’agisse plutôt d’une volonté manifeste de sa part de manipuler à dessein les statistiques concernant ce sujet qui est politiquement sensible. Peut-être que l’essayiste Lorraine Data avait raison d’affirmer, dans son livre « Le grand trucage » : qu’« obnubilés par la qualité de leurs prestations médiatiques, nos gouvernants sont de plus en plus souvent amenés à procéder à de véritables détournements de sens des statistiques qu'ils utilisent. Ils confirment alors de façon très inopportune la détestable maxime : La raison d'être des statistiques, c'est de vous donner raison. Plus le sujet est politiquement sensible, plus la tentation de procéder à ces détournements de sens et autres interprétations abusives est grande ».