Toutes ces maisons menaçant ruine à Casa et ailleurs : Danger sur la ville

Le point avec Kamal Daissaoui, président de l'Arrondissement de Sidi Belyout


Propos recueillis par Mohamed BENARBIA
Mercredi 30 Mai 2012

Toutes ces maisons menaçant ruine à Casa et ailleurs : Danger sur la ville
Libé : Tout récemment, c'est tout le pays qui a vécu un drame avec des pertes en vies humaines enregistrées après l'effondrement d'une maison à l'ancienne médina. C'est d'autant plus grave qu'il s'agit d'une vraie problématique dans  cette partie mythique de Casablanca.

Kamal Daissaoui : Tout à fait. En l'espace de 15 jours, pas moins de 5 maisons se sont écroulées, soit totalement, soit partiellement, dans différents quartiers de l'ancienne médina.
Celui que vous évoquez là n'était pas le premier et de toute évidence, il ne sera malheureusement pas le dernier. En plus d'un bon nombre de blessés, il a coûté la vie à 5 personnes, un drame insoutenable en effet. Il s'est déroulé à l'intérieur de l'enceinte de la muraille, alors que les 4 autres ont eu lieu à l'extérieur de cette même muraille. Concernant le premier cas, permettez que je renouvelle mes condoléances aux familles pour lesquelles je réitère mon soutien personnel et celui de l'Arrondissement urbain de Sidi Belyout.
Nous ne lésinons et ne lésinerons sur aucun effort pour contribuer à la résolution de ce genre de problèmes et ferons tout pour que les habitants qui ont à y faire face soient assurés des meilleures conditions de relogement. Mais ce drame qui, par ailleurs, a été largement médiatisé, et tous ceux qui l'ont précédé ou suivi, doivent être perçus par nous tous, à différents niveaux, comme un signal d'alarme qui nous interpelle quant à la problématique des maisons menaçant ruine.

Une problématique qui ne concerne sûrement pas la seule médina casablancaise. Disposeriez-vous à ce propos de quelques chiffres que ce soit à l'échelon local ou national ?

Les chiffres que j'avancerai doivent sûrement êtres actualisés et, hélas, revus à la hausse, puisqu'ils datent de 2004.
On avait alors recensé quelque 130.000 logements menaçant ruine ou insalubres à travers le pays, dont 66.000 pour le seul Casablanca.
L'importance du pourcentrage, soit 51%, qui revient à la métropole, trouve son explication, surtout, du temps de la colonisation, celle-ci a dû constituer, du fait de son développement exponentiel, un véritable point d’attraction et d'attache pour la main-d'œuvre et autres franges de la population et qui ont afflué de l'ensemble des régions du Maroc. Ce boom démographique a engendré des constructions réalisées en un temps record et sans égard pour les normes techniques. Le remembrement familial aidant, la situation s'est dangereusement aggravée au fil des années par la réalisation de surélévations en vue de permettre à la progéniture d’avoir un toit dans la maison paternelle. C'est ainsi que l'on se retrouve aujourd'hui avec des immeubles sortis de nulle part avec des R+3, voire des R+4, construits hors normes et de surcroît reposant sur un rez-de-chaussée lui-même bâti, il y a plus d'un demi-siècle, à la va-vite. Un phénomène qui, à Casablanca, concerne, en premier, l'ancienne médina puis Derb Soltane et, dans une moindre mesure, Aïn Chock et Maârif.

C'est donc un problème qui ne date pas d'aujourd'hui. Pourquoi subsiste-t-il et même qu'il ne fait que s'aggraver avec tous ces drames dont il est à l'origine ?

Quand  bien même il est ancien, il est resté sans solutions viables. L'expérience a malheureusement montré que dans notre pays, il faut la survenue de véritables drames pour que l'on se décide à réagir. L'exemple le plus consternant remonte à ce 16 mai de triste mémoire. C'est après ces ignobles actes terroristes que d'aucuns ont cherché à comprendre le pourquoi du comment  pour commencer à disserter sur des problèmes sociaux, de piètres conditions de logement. Des problèmes de dignité humaine, tout court. Et c'est là que l'on a commencé à entrevoir avec plus de sérénité le programme dit « Villes sans bidonvilles ». Peut-être ne serait-il pas superflu de dire que si les bidonvilles posent un problème de dignité, les logements insalubres ou menaçant ruine posent en plus le problème d'un risque certain pour des vies humaines. C'est pourquoi ils doivent constituer une priorité absolue dans les projets de la politique gouvernementale de l'habitat et de la politique de la ville.

Ne faudrait-il pas définir les compétences et arrêter les responsabilités surtout avec une situation qui va s'aggravant ?

La Charte communale a investi le Conseil de la ville et son président de la compétence dans le domaine des maisons menaçant ruine. L'art 38 et l'art 50 de cette Charte sont clairs à ce propos. L'article 38 de la Charte communale stipule à ce propos que «le Conseil de la communauté décide de la réalisation ou de la participation à la réalisation, de la restructuration urbaine, de la lutte contre l'habitat insalubre, de la mise à niveau des villes anciennes et de la rénovation du tissu urbain». L'article 50 de la même Charte précise que le président du même Conseil a pour mission de «contrôler les constructions négligées ou abandonnées ou menaçant ruine et prend les mesures nécessaires à leur restauration ou leur  démolition, et ce en fonction des lois et statuts en vigueur».
D'ailleurs, suite au dernier drame survenu à la rue Sidi Fateh, j'ai saisi, en ma qualité de président du Conseil de l'Arrondissement Sidi Belyout, le président du Conseil de la ville, monsieur Mohamed Sajid, pour lui rappeler les termes de la Charte communale et l'inviter à prendre les mesures adéquates. Je crois avoir de bonnes raisons de penser qu'il est maintenant conscient de la gravité de la situation et qu'il va de ce fait proposer la réaffectation de la somme de 10 millions de dirhams à la prochaine session du Conseil de la ville. Cela dit, il est clair que cette somme ne peut, tout au plus, servir que pour un certain nombre d'urgences auxquelles nous devons faire face, tels le relogement des familles concernées, la consolidation des maisons menaçant ruine à tout moment…, puisqu'aucune rubrique n'a été allouée à ce genre de problèmes…

Doit-on comprendre par là que c'est un problème qui dépasse de loin les moyens de la ville et a fortiori ceux de l'Arrondissement que vous présidez ?

Absolument. Et je tiens à le préciser. Même si la Charte investit le Conseil de la ville de larges compétences, la ville de Casablanca n'a pas les moyens d'apporter à elle seule la solution à ce grave, épineux et si coûteux problème. Il s'agit, rappelons-le, de 66.000 cas de logements menaçant ruine, ce qui demande des dizaines de milliards de dirhams, sachant que dans le meilleur des cas, la ville de Casablanca réalise un excédent d'1  milliard de dirhams. Donc seule une politique gouvernementale qui placerait ce problème à la tête de ses priorités est à même de permettre de progresser dans le sens de sa résolution. Il faut bien une politique budgétaire allouant des sommes importantes à ce volet. Et justement, le petit milliard de dirhams prévu à cet effet dans la dernière loi de Finances ne peut en aucun cas représenter un indice rassurant, traduisant une certaine volonté politique allant dans le sens de la résolution du problème.

Au fait, qu'en est-il de ce plan de rénovation urbaine dont devait profiter la médina qui constitue avec Derb Soltane le plus dur du problème ?

Avec la rénovation urbaine, initiée, il y a de cela 23  ans, l'ancienne médina disposait là d'un programme ambitieux baptisé alors celui de l'Avenue Royale, avec toute une structure dédiée à cette avenue et à la rénovation des territoires, en l'occurrence l'ancienne médina extra muros (au-delà du mur). Une société a été créée à cet effet : il s'agit de la SONADAC qui dépendait   du ministère de l'Intérieur, via l'Agence urbaine et qui se trouve être actuellement une filiale de la CDG. Elle s'était vu confier pour mission le relogement des familles résidant dans cette partie de l'ancienne médina, dans des appartements, pour pouvoir disposer des maisons désormais inoccupées et procéder par la suite à la réalisation d'un quartier digne du centre-ville de la métropole économique et de la mégapole qu'est Casablanca. Un recensement avait, à cet effet, été effectué en 1989. Il prévoyait le relogement de quelque 12000  familles.  Force est de constater cependant, non sans amertume, que, 23  ans plus tard,  la problématique a pris beaucoup plus d'ampleur avec l'augmentation du nombre des familles à reloger du fait du remembrement familial  et de l'aggravation de l'état des maisons concernées.
D'ailleurs la SONADAC a autrement contribué à cet état de fait au niveau notamment des zones devenues sa propriété et qui allaient se transformer en véritables points noirs; leur vacuité a fait d'elles des lieux d'insécurité et de refuges pour pratiques dangereuses et malsaines, en plus du risque d'effondrement certain qu'elles représentent ou qu'elles engendrent.  D'ailleurs, les derniers quinze jours ont vu l'effondrement de pas moins de quatre maisons rien que dans cette zone, une à Nzala et trois autres à Tazarine.

Cela concerne la zone dite extra muros. Et pour ce qui est de la zone intra muros, sachant que c'est là qu'a eu lieu le dernier drame ?

Cette zone est concernée par un projet Royal de mise à niveau ponctué par ailleurs de  visites répétées du Roi  sur place. C'est un programme  de réhabilitation qui comprend plusieurs axes concernant aussi bien l'infrastructure, les équipements  de proximité, la restauration des monuments et de la muraille, la mise à niveau des circuits touristiques…Et bien entendu, l'axe des maisons menaçant ruine est une partie intégrante de ce projet.
Le montant global de la première phase de ce programme est de 300  millions de DH pour une période de réalisation s'échelonnant sur 3 ans. Les travaux qui ont démarré le 1er  janvier 2011, devront prendre fin pour ce qui est de cette première phase, le 31 décembre 2013.

Qui veille au bon déroulement d'un programme aussi ambitieux, aussi important ?

C'est l'Agence urbaine qui est chargée de l'exécution du programme de mise à niveau dans sa dimension administrative, technique et financière.
Un comité de pilotage a par ailleurs été créé pour réfléchir au devenir de l'ancienne médina pour qu'elle soit en mesure de jouer pleinement son rôle dans un tissu urbain casablancais en pleine mutation, puisque de nombreux projets la jouxtant sont en cours de réalisation et notamment la Marine. Ce comité est en charge également du suivi de la réalisation de cette première phase du programme.

Irait-on alors jusqu'à  penser que les problèmes des habitants de l'ancienne médina feront bientôt partie du passé ?

Merci de me donner l'occasion de répéter ce que j'ai toujours soutenu et clamé haut et fort en ma qualité de président de l'Arrondissement de Sidi Belyout : l'axe menaçant ruine ne doit pas s'arrêter à la seule étude ou au seul diagnostic, comme l'estime l'Agence urbaine. Il faut aller bien au-delà par le traitement des cas recensés ou diagnostiqués. Devrais-je rappeler que le programme présenté au Roi parle de traitement des maisons affectées et non pas de la seule étude.

A quoi peut bien servir un diagnostic s'il n'est pas suivi d'actes concrets empêchant l'effondrement? Une ou des idées concrètes à proposer à ce propos, pour finir ?

Quitte à me répéter, je dirai que le programme relatif aux maisons menaçant ruine nécessite une volonté politique gouvernementale et locale qui en fait une priorité. Il faut dégager pour cela le financement qui correspond avec la création d'une structure qui lui sera exclusivement dédiée, une agence casablancaise de rénovation urbaine qui devra disposer de tous les moyens juridiques, humains et financiers qui lui permettront de s'attaquer de manière frontale et efficace à ce problème. Je lance par là et à travers votre journal, un appel à tous les patriotes dans ce pays, car la vie de centaines de personnes est menacée, pour leur rappeler que Casablanca la si généreuse a tant donné à travers l'histoire, au pays, que ce soit au plan économique, financier, sportif et avant tout cela dans la lutte pour l'indépendance du pays. La ville de Zerktouni, de Mansour, entre autres grands héros de l'indépendance nationale, mérite bien qu'on le lui rende aujourd'hui.


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