Une menace grandissante pour l’équilibre sanitaire
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Bien qu’en retrait par rapport à son apogée durant la pandémie, le scepticisme vaccinal continue de peser sur les mentalités, de façonner les comportements et de menacer des décennies de progrès en matière de santé publique. Ce phénomène, quoique global, a trouvé une résonance particulière au Maroc, où les facteurs culturels et sociaux jouent un rôle déterminant.
La méfiance envers les vaccins, autrefois limitée à une frange marginale, a aujourd’hui infiltré les débats quotidiens et gagné en visibilité et en influence, transformant un mouvement de niche en un défi majeur pour le système sanitaire. Ce n’est plus uniquement le vaccin contre le Covid-19 qui suscite la méfiance.
D’autres programmes, autrefois largement acceptés, comme la vaccination infantile ou les campagnes de prévention contre la grippe saisonnière, sont désormais remis en question et font l’objet de réticences croissantes. Ce phénomène, loin de s’estomper avec la pandémie, semble s’enraciner dans des perceptions culturelles et sociales, nourries par un environnement numérique où les fausses informations prospèrent.
Les réseaux sociaux, terrain fertile pour la désinformation
Durant la pandémie, les discours antivaccins ont trouvé dans l’incertitude ambiante un terreau fertile. Des récits alarmistes sur des effets secondaires supposés, des accusations de conspirations mondiales ou encore des dénonciations de "produits expérimentaux" ont inondé les réseaux sociaux, captant l’attention d’une partie de la population marocaine. Ces discours ont particulièrement touché les segments les plus vulnérables de la société, là où l’accès à l’information scientifique vérifiée est très limité.
Dans les zones rurales ou parmi les communautés peu instruites, les rumeurs relayées via WhatsApp ou Facebook ont rapidement pris le pas sur les explications scientifiques. Une simple vidéo ou un message vocal suffisaient à saper la confiance envers les vaccins, même parmi ceux qui avaient jusque-là adhéré sans hésitation aux différentes campagnes de vaccination.
Mohamed Amine Berjaoui, chercheur en communication et médias numériques, nous indique que «les réseaux sociaux ne font pas que transmettre des informations, ils façonnent des réalités». «Une rumeur devient une vérité pour une communauté si elle est répétée et partagée par des personnes de confiance», souligne-t-il.
«Dans notre société, la parole des proches et des figures influentes a un poids considérable, cela explique pourquoi un simple message WhatsApp peut avoir plus d’impact qu’un communiqué du ministère de la Santé», ajoute le spécialiste.
«Le vrai problème avec la désinformation sur les vaccins, ce n’est pas seulement qu’elle se propage rapidement, mais qu’elle s’installe durablement dans les esprits. Une fois qu’une personne est exposée à un récit négatif, il est très difficile de le corriger», précise Mohamed Amine Berjaoui, avant de rappeler que «les algorithmes des réseaux sociaux favorisent les publications avec ce genre de contenus, car elles sont souvent plus émotionnelles et donc plus engageantes».
Comment les contextes culturels et sociaux façonnent les perceptions
Le scepticisme vaccinal au Maroc ne peut être compris sans tenir compte des particularités culturelles et sociales du pays. Ce doute rampant, qui sape les efforts consentis en matière de santé publique, puise également ses racines dans une méfiance historique envers les institutions. Des épisodes passés de communication opaque, où l’information manquait de clarté, ont contribué à creuser un fossé entre les autorités et une partie de la population.
Ainsi, chaque initiative sanitaire est scrutée avec suspicion, laissant les rumeurs se substituer aux vérités scientifiques. Pour la sociologue Mouna Tahiri, «le scepticisme vaccinal au Maroc ne peut être dissocié de la méfiance généralisée envers les institutions publiques, qui s'est accumulée au fil des années». «Lorsque la transparence fait défaut, chaque décision gouvernementale, y compris en matière de santé, est perçue à travers le prisme du doute», explique la spécialiste.
A cela s’ajoutent, selon elle, des dimensions plus profondes, enracinées dans les croyances religieuses et les traditions locales. «Dans certaines communautés conservatrices, les croyances religieuses et les traditions locales influencent profondément la perception des vaccins, souvent considérés comme des interventions contre nature. Ces pratiques médicales modernes, bien qu’efficaces et scientifiquement éprouvées, sont parfois considérées comme une tentative d’intrusion dans l’ordre divin», souligne la sociologue.
«Quoique marginales, ces idées, nourries par des interprétations religieuses rigides ou mal informées, s’accompagnent d’un attachement aux remèdes traditionnels, transmis de génération en génération, et qui incarnent une forme de résilience culturelle face à la modernité», poursuit-elle. «Pour contrer ces perceptions, il ne suffit pas de fournir des vaccins ou de renforcer les campagnes de vaccination ; il est essentiel de dialoguer avec ces communautés en valorisant leurs traditions tout en démontrant, avec respect et pédagogie, que la vaccination ne s’oppose pas à la foi ou aux coutumes, mais qu’elle les complète en protégeant la vie, un principe sacré dans toutes les religions», recommande Mouna Tahiri.
L’éducation sanitaire, encore insuffisamment développée, joue également un rôle central. Beaucoup de citoyens manquent des outils nécessaires pour évaluer de manière critique les informations qu’ils reçoivent, laissant le champ libre aux rumeurs et aux discours anxiogènes, souvent plus accessibles et émotionnellement percutants que les messages scientifiques.
«Les campagnes de sensibilisation ne parviennent pas toujours à atteindre leurs cibles de manière efficace, faute de moyens, de ressources humaines ou d’approches adaptées aux contextes locaux. Le message scientifique, généralement présenté dans un langage trop technique ou déconnecté des réalités culturelles, échoue à convaincre et à rassurer», précise la sociologue, avant de rappeler que «l’éducation sanitaire passe non seulement par une meilleure diffusion des connaissances, mais aussi par une mobilisation collective pour créer une culture de la santé où le discernement et la confiance mutuelle deviennent des piliers centraux».
Une menace grandissante pour l’équilibre sanitaire
Aujourd’hui, le scepticisme vaccinal ne se limite plus au contexte de la pandémie. Il s’est élargi pour inclure d’autres vaccins, parfois avec des répercussions directes sur les comportements. De nombreuses familles marocaines hésitent désormais à faire vacciner leurs enfants contre des maladies évitables, invoquant des risques "à long terme" ou des soupçons sur l’efficacité réelle des vaccins.
Une étude marocaine publiée dans le Pan African Medical Journal met en lumière cette dynamique préoccupante. Basée sur une enquête menée auprès de 103 pédiatres, elle révèle que 15% des parents ayant refusé de vacciner leurs enfants durant les quatre dernières années ont été influencés par des croyances erronées, affirmant notamment que les vaccins affaibliraient l’immunité antivirale de leurs enfants.
Les conséquences de cette défiance vaccinale ne tardent pas à se manifester de manière dramatique. Des maladies naguère sous contrôle, comme la rougeole, font un retour fracassant sur le devant de la scène. Avec 25.000 cas recensés et 116 décès en quelques mois, cette épidémie rappelle cruellement les ravages causés par une couverture vaccinale qui s’érode dangereusement. Autrefois exemplaire avec des taux de 95%, la couverture vaccinale contre la rougeole a chuté à 75 % dans certaines régions, offrant ainsi un terreau fertile à la propagation de cette maladie dévastatrice.
«Si rien n’est fait pour rétablir une couverture vaccinale adéquate, les répercussions pourraient être dramatiques, non seulement en termes de santé publique, mais aussi sur le plan économique et social», révèle le pédiatre Wael Mikdar. «La rougeole n’est pas une maladie anodine : elle met en péril la vie des plus vulnérables, notamment des enfants, des personnes âgées et des immunodéprimés, tout en surchargeant des systèmes de santé déjà sous pression», affirme-t-il. Et d’ajouter : «le scepticisme vaccinal ne représente pas seulement une menace pour la santé individuelle, mais également pour la santé collective. La vaccination est avant tout un outil de protection communautaire, destiné à protéger les plus vulnérables. Lorsque la couverture vaccinale chute, ce sont les plus fragiles qui deviennent les premières victimes».
De même, les campagnes visant à introduire de nouveaux vaccins, comme celui contre le papillomavirus humain (HPV), crucial pour la prévention des cancers du col de l’utérus, sont confrontées à des résistances importantes. Des rumeurs circulent encore, prétendant que ce vaccin provoquerait la stérilité ou des maladies chroniques, des accusations dénuées de tout fondement mais qui influencent les décisions de nombreux parents.
«Cette situation illustre le poids des perceptions culturelles et des craintes irrationnelles dans l’adoption des nouvelles avancées médicales», souligne Dr Wael Mikdar. «Le vaccin contre le HPV est un excellent moyen de réduire considérablement l’incidence d’un cancer qui représente un lourd fardeau pour le système de santé», ajoute-t-il. «Cependant, sans une communication claire et une éducation ciblée, ces bénéfices risquent de rester hors de portée», conclut le spécialiste.
Démystifier la désinformation pour rétablir la vérité
Selon la psychologue Nezha Boussil, «la peur est une émotion puissante qui biaise notre perception des risques». «Lorsqu’une personne entend parler d’un «cas tragique» supposément causé par un vaccin, elle associe cette image à un danger imminent, même si les données montrent que les vaccins sont extrêmement sûrs», dit-elle.
«Ce phénomène est amplifié par la manière dont les informations sont présentées : plus elles sont choquantes, plus elles laissent une empreinte durable», assure cette spécialiste. Elle affirme également que «la désinformation sur les vaccins prospère parce qu’elle s’adresse directement aux émotions : la peur, l’inquiétude ou encore la méfiance. En revanche, la communication scientifique a tendance à s’appuyer sur des faits, souvent complexes et froids». «Au Maroc, où la culture des récits oraux est très ancrée, les campagnes doivent apprendre à parler avec émotion tout en restant rigoureuses. Ce n’est pas un compromis, c’est une nécessité», soutient-elle.
Face à ces défis, la lutte contre la désinformation vaccinale nécessite une approche coordonnée, impliquant les institutions publiques, les professionnels de santé, les leaders d’opinion et les acteurs du secteur éducatif. Une réponse efficace repose sur la restauration de la confiance à travers une communication claire, transparente et adaptée aux spécificités culturelles et sociales du Maroc. «Les autorités sanitaires, souvent perçues comme distantes ou bureaucratiques, doivent adopter une posture plus proactive, en multipliant les campagnes de proximité et en donnant une voix à des figures locales respectées, capables de transmettre des messages de santé publique de manière authentique et convaincante.
Les enseignants, les associations de quartier, les imams et même des influenceurs éclairés, peuvent jouer un rôle crucial pour déconstruire les mythes et promouvoir une compréhension éclairée des vaccins», souligne Nezha Boussil.
Il est également impératif de tirer parti des outils numériques pour contrer la désinformation sur les mêmes plateformes où elle prospère. «L’investissement dans des contenus visuels engageants, des témoignages, ainsi que des explications claires et vulgarisées des mécanismes scientifiques des vaccins est essentiel», précise la psychologue.
Et de poursuivre : «Une réforme structurelle de l’éducation sanitaire s’impose également. Introduire dès le plus jeune âge des modules pédagogiques sur les notions fondamentales de santé et d’immunologie pourrait progressivement bâtir une génération plus résiliente face aux manipulations informationnelles».
Enfin, la bataille contre la désinformation ne peut ignorer l’importance de l’émotion dans le processus de persuasion. «Si les rumeurs s’appuient sur la peur et l’incertitude, la riposte doit mobiliser l’espoir, la solidarité et la responsabilité collective», estime notre interlocutrice.
Parce que chaque enfant vacciné est une promesse de sécurité pour l’avenir, chaque parent sensibilisé devient un puissant allié dans cette quête pour préserver la santé publique. Il ne s’agit pas seulement de gagner une guerre contre un virus ou une rumeur, mais de redonner à la société marocaine le pouvoir de choisir la science comme boussole et le progrès comme horizon.
Mehdi Ouassat